• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE V : DES SAVOIRS TECHNIQUES ET DES FAITS MATÉRIELS DE

C. Maladies en Afrique du Nord

Léon/ al-Hassan consacre dans le livre I un chapitre aux maladies répandues dans l’Afrique du Nord et le Sahel qu’il intitule « Maladies les plus fréquentes chez les Africains ». Ce chapitre est précédé d’un court chapitre sur la « brièveté de la vie et longévité » des populations de l’Afrique du Nord (I, 59), qu’on peut reformuler comme suit :

En général, les gens de la Berbérie (le Maroc) atteignent des âges entre 65 et 70 ; exception faite des populations des montagnes et de l’Atlas (a priori, les populations d’origine berbère). Ces derniers ont une bonne longévité et atteignent les 100 ans, en bonne santé, notamment les gens de Chichaoua (II, 113).

En Numidie (Bilad el-Jarid) : les gens vivent plus longtemps, si ce n’est qu’ils perdent la vue et les dents. La cause de la perte des dents réside, selon l’auteur, dans la nourriture faite essentiellement de dattes et la baisse de la vue est causée par le vent et la poussière des sables.

En Libye : les gens, « gaillards et sains jusqu’à 60 ans », vivent moins longtemps que les précédents.

Le Sahel (Pays des Noirs) : Les gens vivent encore moins longuement, ayant pour cause le mode de vie excessif (« luxure »). Mais leur santé et leurs dents restent intacts.

123VERNET, Juan et SAMSO, Julio, “Les développements de la science arabe en Andalousie”, in RASHED,

Les notes médicinales de la Description ont d’abord l’avantage de nous renseigner sur les principales infections et pathologies de l’époque, ne serait-ce qu’à titre indicatif.

La plupart des infections et pathologies sont :

- Des maladies dermatologiques : teigne, gale, lèpre. -Ophtalmies : trachome (ﺪﻣر)

- ORL : catarrhe

-Des céphalées inexpliquées

-Des maladies abdominales : coliques néphrétiques ou hépatiques.

-Des maladies vénériennes : syphilis ou chancrelle et blennorragie (I, 60) ; -Maladies épidémiques : paludisme, peste.

-Maladies endémiques (goitre au Maroc, III, 273, 287) éléphantiasis (Égypte).

-En plus de la lèpre, c’est la maladie de la peste dans des contextes de guerre ou d’exodes (notamment au Moyen-Orient et en Égypte) qui revient le plus souvent comme maladie fréquente du temps de l’auteur. Un des rois hafsides de Tunis, Zakaria ben Yahia, « mourut de la peste » (V, 405).

En parlant des Africains (les Maghrébins), Léon/ al-Hassan constate les maladies de la teigne (maladie du cuir chevelu, très contagieuse). Pour la teigne, elle n’épargne pas même les fils des rois ; ainsi l’un des fils du roi de Tunis du temps de l’auteur, en plus de mauvaises mœurs, « était teigneux » (366).

D’autres pathologies sont signalées : les maux de tête sans fièvre, les maux de dent, le mal du flanc (qu’Épaulard explique par les coliques hépatiques ou néphrétiques) ; la hernie (sic) est plus fréquente en Égypte qu’en Berbérie. La ‘‘morphée’’ (sic) est aussi une sorte de maladie fréquente dans la région (C’est probablement une maladie cutanée.)

Léon/ al-Hassan relève aussi l’hypertrophie des testicules qu’il a constatée en Égypte. Le cancer est aussi évoqué dans le cas de l’un des fils du Roi de Tunis, « fils injuste et brutal ». C’est justement parce qu’il « s’enivrait constamment », qu’il « finit par mourir

d’un cancer qui lui rangea les flancs » (366), entendons le mot ‘‘flanc’’ pour le foie, donc d’un cancer du foie, très probablement. Ce qui permet de situer une des pathologies de notre temps bien loin dans l’histoire et de souligner l’étiologie toxique des hépatopathies.

Les maux psychologiques sont connus pour être aussi fatals : ainsi la « mélancolie » et « chagrin » d’un Caid de Tunis était tellement grand « qu'il en devint malade et mourut en quelques jours.» (367)

Institutions médicales

Léon/ al-Hassan souligne cette dégradation des pratiques de santé et de médecine dans un paragraphe édifiant, rappelant une situation connue il n’y a pas longtemps au Maroc et dans le monde arabo-musulman d’après l’indépendance.

Parlant justement des Marocains de son époque, il écrit :

«Toute instruction est inconnue dans ce pays. On n'y trouve personne qui sache lire, à l'exception de quelques hommes de loi dépourvus de tout autre savoir que celui-là. Il n'existe aucun médecin d'aucune sorte, ni aucun chirurgien, ni aucun droguiste. À peu près tous les remèdes et traitements consistent en cautérisations ignées, comme pour les bêtes. On trouve à la vérité quelques barbiers qui n'ont d'autre office chirurgical que de circoncire les enfants. On ne fait pas de savon dans le pays ; à sa place on utilise la cendre. » (II, 73)

C’est Fès, ville donnée comme modèle de civilisation, qui est désormais affectée par la décadence ; pourtant elle continue à donner l’exemple en matière d’institutions de santé et des pratiques de soin, de prévention et de pharmacopée, de contrôle sanitaire et hygiénique, même dans leurs pires états.

Le maristan de Fès, Sidi Frej, est décrit dans l’état de décadence du Maroc du temps de la dynastie wattaside en plein contexte de crise politique, culturelle et financière.

De même, les boutiques des drogueries sont décrites avec leur organisation dans la ville. Le bimaristan du Caire est aussi évoqué en meilleur état de fonctionnement.

(1) Hôpitaux (Maristans)

Épaulard utilise dans sa traduction deux termes ‘‘hospice’’ et ‘‘hôpital’’ pour parler des institutions de santé décrits dans la Description. Il s’en trouve effectivement de nombreuses à Fès. Le premier terme désignerait sans doute les établissements destinés à l’accueil des malades dans le besoin de soins palliatifs, alors que le deuxième terme correspondrait au vrai bimaristan médiéval. Celui de Fès (Maristan de Sidi Frej (note 151 d’Épaulard, III, 188) s’érige en même temps en asile psychiatrique dépeint avec tous les traits caractéristiques d’une dégradation du milieu, et des services. L’hôpital serait devenu hospice, l’hospice devenu asile psychiatrique pour internement des fous. Rien à voir avec l’hôpital arabo-musulman de l’âge d’or médiéval de l’Empire musulman. Léon/ al-Hassan rappelle justement le contexte historique et politique qui explique le déclin.

(2) Drogueries et droguistes

Au cours d’un exposé sur l’évolution de la pharmacopée maghrébine classique dans le cadre de la médecine arabo-islamique, Bellakhdar (2006) renvoie au récit des voyageurs anciens et notamment à Léon l’Africain/ al-Hassan al-Wazzan pour leurs rapports sur « la grande place réservée dans ces droguiers (arabo-islamiques) à la nouveauté et aux médicaments observés chez d’autres peuples, sous d’autres latitudes » et sur « une ouverture d’esprit remarquable aux médecines étrangères »124.

En décrivant justement les drogueries de Fès, connues par leurs « armoires » (III, 214), Léon/ al-Hassan établit une comparaison avec des boutiques du même genre à « Tauris,

ville de Perse » (III, 200), qu’il dit avoir visité. Mais, au rapport de l’auteur, celles de Fès sont bien plus organisées et achalandées.

Les droguistes sont organisés en corporation de métier dans les grands marchés des deux métropoles du Maghreb, à Fès et à Tunis principalement. Ils forment même un petit marché, à eux seuls, à Fès.

À Fès justement, les médicaments sont confectionnés par les médecins mais ne sont livrées aux malades, contre ordonnance, que dans les drogueries. Ces boutiques constituent donc des sortes de pharmacies, qui se chargent uniquement de la vente des médicaments. C’est là une preuve de l’autonomie qui s’est bien opérée dans la culture médicale arabe classique entre la médecine d’un côté et la pharmacologie de l’autre, séparation professionnelle acquise dès les Abbassides.

« Les médecins composent en effet leurs préparations chez eux et les envoient à leurs [droguistes,] boutiques où les employés les délivrent contre ordonnance médicale.» (III, 200). Cette note atteste de manière tangible des traces d’une pratique médiévale de haut niveau de performance dans l’exercice de la médecine et de la médication dans les « pays d’islam », plus proche de la performance scientifique institutionnelle et savante.