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CHAPITRE IV : MATÉRIEL ET MÉTHODE

A. Le livre et l’auteur

2. L'auteur du livre :

De même que pour le texte, l’auteur et son patronyme sont aussi sujet de polémique suivant le parti pris, pour telle appartenance de l’auteur à la sphère des savants musulmans ou européens, ou suivant les différents moments de sa vie.

D’autres noms lui sont affectés dont Leone Affricano, Leo Africanus, León el Africano ou Léon l’Africain/ al-Hassan al-Wazzan, nom que nous utiliserons pratiquement toujours dans ces pages, accompagné de son équivalent arabe.

a)

Sa vie

La variété de noms est significative du côté controversé de notre auteur et de sa singularité. Essayons donc de tracer les grandes lignes de sa vie, dont Rauchenberger fait un résumé dans un article en le présentant comme suit :

«Résumons ce que l'on peut dire de lui désormais, à partir des sources disponibles : Al-Hassan al-Wazzan, né à Grenade dans une famille influente, autour de la fin de la période musulmane, est élevé à Fez où il bénéficie d'une excellente éducation. Ayant obtenu la qualification de faqih (juriste), il est introduit à la cour Wattasside, où il est initié à l'administration de l'État et à la diplomatie, mais aussi à la pratique du commerce. Il est chargé, en 1512, d'une mission d'exploration sur la situation politique et commerciale au sud du Sahara. En 1515, il part en ambassade à Istanbul. Capturé par un chevalier de Saint Jean lors du voyage de retour, il se retrouve prisonnier au Vatican en octobre 1518. Avec les progrès réalisés dans la maîtrise de l'italien et du latin, il commence à participer à la vie intellectuelle de la Renaissance florentine- romaine, alors au faîte de sa splendeur. Ses connaissances sur le Maghreb, le Soudan, les métropoles musulmanes et la culture arabe en font un interlocuteur recherché des savants et des puissants. Le Pape Léon X lui-même le tient en haute estime au point de le baptiser en personne, et,

le libérant, de lui conférer ses propres noms : « Jean », celui du prince, et « Léon », celui du Souverain pontife, et même celui de sa dynastie « de Medici ».

La mort du Pape mécène contraint le jeune homme à chercher à gagner sa vie. C'est ainsi qu'il entreprend de rédiger ce qu'il n'avait jusque-là que raconté, et qui intéressait tant ses interlocuteurs italiens. Il produit de la sorte, entre 1521 et 1527, pas moins de 1500 pages : presque 1000 en italien (la Cosmographia), et le reste en latin — une œuvre considérable qui suppose une discipline intellectuelle intransigeante. Tout s'arrête à Rome avec le sac de la ville perpétré par les armées de l'Empereur, massacre qui laisse des plaies terribles. Expert en survie, Léon semble avoir profité du désordre pour retourner en Afrique, car on signale sa présence à Tunis en 1532. Mais la ville africaine est prise en 1534 par les Turcs, et reprise l'année suivante par Charles V. Avec les désordres qui s'en suivent, on perd définitivement la trace de Jean Léon l'Africain.»90

Nous avons présenté intégralement cette biographie résumée de la plume d’un spécialiste de la question, qui a, à notre sens, pu traduire réellement la physionomie d’un écrivain arabe, marocain, issue d’une culture islamique.

Essayons donc de rappeler les grandes lignes de la vie de cet exceptionnel personnage. -Fils de parents moresques probablement aisés, il est né à Grenade en Espagne islamique à une date entre 148891et 1496 ; origine dont il sera fier ;

-il se reconnait surtout comme originaire de la ville de Fez, où sa famille a émigré peu de temps après la chute de Grenade ; ville à laquelle il doit son éducation. Il a en effet étudié à l'Université d'Al-Qaraouiyine, et travaillé pour un certain temps dans le mâristân de Sidi Frej dans la même ville ; et devient par la suite, encore jeune, soldat, commerçant puis ambassadeur ;

-Il accompagne son oncle au cours d’une mission diplomatique dans les pays du Maghreb et à l’ouest de l’Afrique subsaharienne, pour atteindre la ville de Tombouctou, 90 RAUCHENBERGER, Dietrich, « Trickster Travels. In Search of Leo Africanus, a Sixteenth-Century

Muslim between World by Natalie Zemon Davis, Review by: Dietrich Rauchenberger », in Studia Islamica, No. 102/103 (2006), pp. 244-245.

91 Voir dans la Description la note 270 d’Épaulard (II, 121) qui interprète la correspondance entre

l’information sur l’âge de l’auteur lors de la première visite de Léon à Azafi alors qu’il avait, comme il l’écrit, « douze ans » et les deux références temporelles : « quatorze ans plus tard » et la date « 920 » H.

au Mali. Il entame plus tard une série d’autres voyages en Égypte, à Constantinople et en Arabie ;

- en 1518, de son retour par mer d’un voyage en Orient, l’embarcation se fait accoster par des pirates chrétiens, et al-Hassan -al-Wazzan se voit pris en captivité, mais au lieu d’être vendu en esclave, étant un homme de science, il sera présenté au pape Léon X qui le baptise Léon (d’où son nom latinisé). Il a dû traverser la Méditerranée plusieurs fois dans sa jeunesse ; Cette situation devait lui valoir une renommée de renégat.

-En 1525, il écrira en Italie sa principale œuvre, la Descrittione dell’Africa en italien sur un avant-projet vraisemblablement en arabe, aidé par un scribe libanais, qu’il achève bien après la mort du pape.

-Il écrit d’autres ouvrages en des dates séparées.

-Après de longues années en Europe, il entreprend un autre voyage ; et c’est dans une date entre 1550 et 1554, après son retour en Afrique (en Tunisie ?) qu’il meurt dans l’anonymat.

-Sa principale œuvre sera publiée en Italie, en 1550, par Ramusio, sous le titre de la

Descrittione dell’Africa.

« L’identité du personnage et le statut de son texte [sont] tous deux fortement

imbriqués.»92

Beaucoup d’indications sur la vie de l’auteur peuvent être dégagées de la Description. Nous pouvons nous centrer sur l’image qu’il se donne de lui-même ; les passages sont nombreux où l’auteur se décrit comme intellectuel et savant.

b)

Ses autres livres

En plus de son œuvre maîtresse, et qu’il entendait augmenter de deux autres volumes sur le Moyen Orient et sur l’Europe, ce qu’il n’a pas pu réaliser, Léon/ al-Hassan a certainement pu achever d’autres écrits, correspondant bien à ses centres d’intérêt comme juriste-faqih et homme de lettres et de sciences (savant érudit). Il a dû répondre aussi aux besoins de ses hôtes européens, en qualité d’étranger et de connaisseur de l’autre culture, 92POUILLON, François, « Traduttore, Traditore », Op. Cit., p. 13.

faisant de la vulgarisation et de la pédagogie à un public non averti. Selon Zemon les écrits qui lui sont attribués et qui sont signés par lui, sont bien ceux d’un juriste qui s’intéresse à la théologie, aussi écrit-il un livre sur la religion musulmane, d’un lettré bien épris de poésie et de grammaire arabes ; il aurait donc bien manipulé des « mukhtasar »93 de livre,

un genre bien établi dans la tradition arabe.

Ainsi peut-on citer les documents qui ont pu être réalisés et survivre :

-Le vocabulaire médical trilingue arabe/hébreu/latin (Ms Arabe 598, Escurial), dans sa partie arabe, est achevé fin janvier 1524. « Sans précédent, ses 236 pages contiennent

environ 2500 termes »94. Resté inachevé dans sa partie hébraïque et latine, et la langue

espagnole remplace la latine.

-Les Biographies des savants orientaux, Libellus de viris quibusdam illustribus apud

Arabes (Ms Plut. 36.35, 331), achevées en 1527. « La copie comporte 124 pages auxquelles s’ajoutent 14 pages traitant de la métrique de la poésie arabe »95, De Arte

Metrica Liber (Ms Plut. 36.35, 601).Il sera publié intégralement en 1664 par le Suisse

Hottinger. Le manuscrit existe toujours à la Biblioteca Medicea Laurenziana de Florence, en Italie. Le texte du Libellus comporte les biographies d’une vingtaine de philosophes, médecins et théologiens arabes classiques.

À ces principaux documents s’ajoutent d’autres contributions :

-Des Corrections sur la traduction latine du Saint Coran, par Johannes Gabriel : Al-

Qur’an, Ms D100 inf., 316 a. (Biblioteca Ambrosiana, Milan, Italie) ;

-Une transcription arabe des Lettres de Saint Paul signée en 1521, Ms Orientale 16- alfa.J.6.3. (Biblioteca Estense Universitaria, à Modena, Italie)

Sans compter bien sûr les projets de livres, annoncés dans la Description, comme : 93ZEMON DAVIS, Nathalie, 2006, Op. Cit., p. 88.

94 RAUCHENBERGER, Dietrich, « Essai de chronologie critique », in Pouillon, Léon l’Africain, 2009,

p.383.

-Abrégé de la Chronique mahométane

-De la foi et de la loi mahométanes selon l’École Malikite -Traité de grammaire arabe (perdu selon Massignon) -Traité sur la rhétorique arabe.