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Le modèle traditionnel du castanéïculteur qui ramasse la châtaigne à la main sur de petits vergers tend à s’éteindre, car pas viable économiquement, et se modernise peu à peu sous l’impulsion des syndicats pour alimenter les coopératives. Pourtant, des modèles agricoles qui cherchent à s’émanciper de ces structures se développent. L’essor du marché de la transformation, en pleine extension, incite les castanéïculteurs à revoir leur stratégie de distribution. Ne souhaitant pas être contraints par les prix d’achat fixés par les coopératives, ces exploitations ont pris le parti d’assurer la transformation en interne de leur production et de distribuer directement leurs produits aux consommateurs. Bien que leur capacité à transformer la châtaigne soit limitée en raison des faibles quantités produites, de par la taille modeste de leur laboratoire et souvent d’un manque de main-d’œuvre, ils arrivent tout de même à s’affranchir des coopératives et proposer des produits dont l’image construite mêle le traditionnel, le local et l’innovation. La promotion d’une image traditionnelle de la châtaigne auprès des consommateurs ne repose pas, bien sûr, uniquement sur une réappropriation des méthodes de distribution et du développement d’une offre

dite « local ». Dans leurs stratégies de développement, les castanéïculteurs travaillent aussi fortement sur la

communication car ils constatent que la grande majorité de leurs collègues sont invisibles, noyés dans les coopératives qui les distribuent à des grossistes, ou perdus sur des petits marchés pour les quelques-uns qui complètent leurs revenus par de la vente directe. Dans ce modèle alternatif, les exploitants s’appuient donc sur les nouvelles technologies de communication pour se faire connaitre auprès du public. Site internet, boutique en ligne et/ou boutique physique, visite de leur exploitation, journée porte ouverte, publicité, … (Castanéïculteur 3, entretien 2019). Les stratégies sont nombreuses et semblent porter leurs fruits :

« Aujourd’hui la vision du produit se transforme et devient presque un produit de luxe. On a voulu rehausser

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les gens, tout le monde ne peut pas se le permettre mais on va essayer de toucher des gens qui veulent revenir sur des produits sains, traditionnels et naturels » (Castanéïculteur 3, entretien 2019).

Au niveau des pratiques, les castanéïculteurs impliqués dans la démarche modernisent leur système de production (machinerie, irrigations et accessibilité des parcelles) pour optimiser la production et faciliter la récolte dans une démarche qui se veut respectueuse de l’environnement. La transformation en interne des châtaignes permet aussi aux producteurs de mieux faire face aux pertes liées aux ravageurs ou au

changement climatique : « si les périodes de ramassages fluctuent ou si la production est moindre on peut

faire une plus-value sur la transformation. On peut d’ailleurs les transformer toute l’année » (Castanéïculteur

3, entretien 2019). La transformation serait donc une solution pour permettre aux castanéïculteurs de vivre de leurs productions. Au final, ce modèle alternatif, liant image locale/traditionnelle et innovation, montre, comme le souligne DELBOSSE (2000), que la patrimonialisation est non seulement instrument de revalorisation de productions minorées ou marginalisées mais aussi un excellent outil d’intégration des restes ou survivances artisanales dans la logique industrielle de nos échanges économiques.

3.2.1.2 D'un fruit aux qualités insoupçonnées à une diversité des productions

Ces nouvelles dynamiques d’exploitation et de transformation offrent aux agriculteurs la possibilité d’accroître leur gamme de produits. La capacité à transformer la châtaigne en une multitude de formes permet de fortement diversifier son utilisation. En farine pour faire des gâteaux, du pain, ou autres pâtisseries. Il peut être transformé en compote pour les desserts ou utilisé dans des plats salés. Il est mélangé avec d’autres légumes dans des veloutés. Il n’y a finalement que peu de limite à son utilisation :

« On a beaucoup d’idées mais on a encore beaucoup de choses à apprendre. On envisage de faire de la bière à partir de la châtaigne quand nous serons en capacité de transformer de plus grosse quantité. Au niveau des petits déjeuners, on envisage de produire des petits gâteaux salés. On est simplement limité par notre imagination » (Castanéïculteur 3, entretien 2019).

On oublie souvent que la châtaigne, a contrario de la noix ou de la noisette, est un fruit frais

au même titre qu’une pomme ou une poire. Ses qualités gustatives peu communes en font un produit

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sain » s’est démocratisé. Les populations s’intéressent de plus en plus à ce qu’ils consomment. Calories,

vitamines, oligo-éléments sont scrutés à la loupe et sont pris en compte dans l’achat de la nourriture. La

châtaigne n’a pas été épargnée par cette nouvelle dynamique. Dès le XIXe siècle, les qualités calorifiques

de cette ressource ont été rapidement soulignées mais ses apports nutritionnels ont été décelés bien plus tôt par les populations. Ce petit fruit qui, a première vue, peut difficilement satisfaire la faim d’un individu sans en consommer beaucoup, a limité drastiquement les famines et les disettes au cours des siècles (DUPRE, 1936). Mais la châtaigne ne constitue pas qu’une source calorifique importante. Peu de gens ont connaissance de ses qualités nutritionnelles : elle est sans gluten, elle contient du phosphore pour le cerveau et pour la croissance des fœtus. Sa concentration en magnésium assure une production d’énergie et une régénération musculaire des sportifs, et elle contient des omégas 3, etc. La châtaigne a énormément de bénéfices qui mériteraient d’être mis en avant. (Animatrice filière 1 et 2, entretien 2019 ; Castanéïculteur 1, 2 et 3, entretien 2019). Certains exploitants transformateurs mobilisent ces caractéristiques pour faire la promotion de leurs produits et développer la filière. La châtaigne est donc un aliment riche qui convient dans de nombreuses alimentations. Il se retrouve sur les tables d’EHPAD ou de maisons de retraite du Périgord car il coupe rapidement la faim et constitue un produit complet. En raison de sa capacité à ne pas contenir de gluten, un marché pour bébé se développe peu à peu. Un marché qui semble demandeur et en hausse.

« Les diététiciens avancent que la châtaigne ne contient pas de gluten. De plus en plus de bébés sont intolérants au gluten et la châtaigne pourrait être une solution. » (Castanéïculteur 2, entretien 2019).

Certains acteurs avancent même que la châtaigne pourrait être un produit qui pourrait, à la fois remplacer la viande, mais également répondre à d'éventuelles disettes alimentaires futures liées au changement climatique. Même si la teneur calorifique du fruit est en effet avérée, il semble un peu bravache de confirmer si tôt ces éléments. Il est en effet intéressant de noter qu’à surfaces égales, les vergers ont une production calorifique plus importante que de nombreuses cultures céréalières comme le blé (DEPAIN, 1936). Mais il est important de réviser cette donnée au vu des progrès réalisés depuis la réalisation de cette étude dans les années 30. De plus, malgré sa haute concentration énergétique, les surfaces de châtaigniers sont loin d’être suffisantes pour assurer la subsistance de nombreux individus. Concernant la viande, il semble difficile d’envisager la châtaigne comme produit de substitution. En effet, bien que

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celle-ci concentre un fort taux de glucide, elle comprend au contraire peu de protéines. Elle ne permet donc pas de pallier les apports carnés comme peuvent l’être certains légumineux (soja, quinoa, tofu, etc.) et oléagineux (noix, noisettes, amandes, etc.).

Ce modèle, tout en s’émancipant des coopératives à travers la transformation de la châtaigne, s’appuie fortement sur la diversification de sa production pour assurer sa pérennité. À travers des stratégies de communication, les castanéïculteurs mettent en avant, à la fois, la production locale de ce fruit mais également ses qualités nutritionnelles. Cependant, il ne faut pas oublier l’importance du patrimoine dans la valorisation de cette ressource. S’appropriant l’histoire de ce produit, les producteurs tentent de créer une nouvelle image de la châtaigne : d’un aliment réservé aux pauvres et aux animaux à un produit

naturel, sain, presque « bourgeois ».

3.2.2 Une stratégie patrimoniale entre ancrage territorial et image verte