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Si Castanea fait référence à l’origine géographique du châtaignier, sativa signifie semé, cultivé

(THOMAS et BUSTI, 2009). De nombreuses autres espèces portent cette épithète comme l’avoine (Avena

sativa), le chanvre (Cannabis sativa) ou encore la laitue (Lactuca sativa). Le châtaignier n’était ainsi pas

considéré comme un arbre forestier en Europe et en France. C’était une essence cultivée au même titre que de nombreuses autres plantes, et sa première utilisation était de subvenir aux besoins alimentaires et industriels des populations par son fruit et son bois.

2.1.2.1 Une culture portée par les nécessités alimentaires à la fin du Moyen Âge

Le modèle d’exploitation du châtaignier qui se constitue au VIe siècle, se développe réellement

à partir du XIIIe siècle. À cette époque, les nations occidentales connaissent une forte croissance

démographique et un manque de nourriture lié aux troubles provoqués par la fin du régime féodal. En dépit du progrès des techniques agraires, les capacités agricoles restent insuffisantes et peinent à satisfaire les besoins alimentaires de la population (BORDONOVE, 1971). La situation est particulièrement difficile en Périgord en raison des faibles étendues céréalières disponibles et d’un rendement insuffisant lié aux sols difficiles à exploiter. Pour lutter contre la multiplication des disettes et des famines, les

populations se sont donc notamment tournées vers le châtaignier : « Une infinité de peuples ne vit d'autre

chose que de ce fruit » (ESTIENNE et LIEBAUT, 1583, in BRUNETON-GOVERNATORI, 1984). C’est à cette

époque que les techniques de greffes sont mises en place avec pour objectif de sélectionner des variétés plus productives. Les considérations alimentaires prévalant, la production de châtaignes devient une priorité pour les populations au détriment du bois malgré ses qualités imputrescibles et ses possibilités d’utilisation multiples. Les taillis de cette essence sont donc en partie remplacés par des châtaigneraies ; la ressource s’adaptant aux besoins conjoncturels de l’époque.

Le châtaignier devient une véritable culture et non une simple ressource secondaire et de cueillette qui complète l’alimentation des périgourdins en hiver. Des règlementations et des redevances

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se mettent en place pour encadrer ce marché. À la fin du Moyen Âge, plusieurs études démontrent qu’une châtaigneraie entretenue peut produire deux à trois fois plus de calories à l’hectare que certaines céréales comme le blé ou le seigle cultivé (DEPAIN, 1936) dans les conditions de l’époque. Les châtaigneraies vont

continuer à se développer ainsi jusqu’au XIXe siècle. Ces nouvelles stratégies d’exploitation marquent,

peut-être, l’origine de ce manque de littérature sur le châtaignier en tant que ressource bois mais également sa faible reconnaissance auprès du public. Bien que ce matériau soit utilisé tout au long de l’histoire, il reste en marge, peu perceptible. Le châtaignier renvoyant directement à l’image construite de la châtaigneraie et de son fruit.

2.1.2.2 L'Âge d'or - du XVIIe au XIXe siècle

Au cours du XVIIe siècle, l’expansion de la culture du châtaignier ralentit en raison d’épisodes

climatiques difficiles. Épisodes souvent qualifiés de petit âge glaciaire. Son exploitation se redéveloppe de

nouveau et connaîtra la période la plus prospère de son histoire entre le XVIIe siècle et le XIXe siècle : les trois

grands siècles de la castanéïculture (BRIAN et JIMENEZ, 2016). La châtaigne constitue alors l’alimentation de base des Périgourdins et ses capacités nutritionnelles permettent à ce territoire rural de conserver une certaine vitalité démographique malgré la vulnérabilité et la fragilité des conditions de vie de la

petite paysannerie locale : « l’on pourrait dire que sans les ressources des châtaigniers, le peuple de ce

département serait souvent embarrassé pour la vie » (LA VALLEE, 1798 in TANET ET HORDE, 2001).

En 1880, la production française de châtaignes s’élève à près de 512 000 tonnes contre 42 000 tonnes en 1976 (BRUNETON, GOVERNATORI, 1976) et à peine 10 000 tonnes en 2010 (Livre blanc de la châtaigne, 2012). Malgré cette production substantielle durant cet âge d'or, la demande en châtaignes de la part des populations locales est telle qu’il est difficile d’organiser un grand marché d’exportation malgré une demande importante de la part d’autres régions ou même d’autres pays : « L’exportation de châtaignes

eut été beaucoup plus grande, vu l’abondance de cette récolte si l’habitant n’eut été forcé de les consommer en très grande partie pour suppléer à la disette du maïs et autres grains, […] et a merveilleusement servi à l’engrais des porcs » (Annuaire DELFAU, an XII (1804) in MARACHE, 2012). Le châtaignier est ainsi considéré

comme l’arbre nourricier par excellence et les populations locales sont très attachées à cette culture. Pourtant,

à la fin du XVIIIe siècle, A. Parmentier démontre tous les avantages et intérêts nutritionnels d’un nouveau

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animaux, ce tubercule se démocratise et va connaître un grand succès dans toute la France. Mais les paysans périgourdins en raison notamment de leur fort attachement au châtaignier vont refuser cette

mutation (CHATELLIER et al., 2007) des modes de pratiques et il faudra encore un siècle pour que cette

plante détrône la châtaigne en Dordogne.

Lors des années fastes, une partie de la production locale peut être exportée et vendue dans un certain nombre de régions. Le fleuve de la Dordogne assure le transport de ces marchandises

jusqu’à Libourne et irrigue ainsi le marché Bordelais. Dès le XVIIe siècle, de nombreux navires hollandais

s’équipent spécialement pour conserver les châtaignes de l’humidité afin de transporter ces fruits dont

ils sont friands6. Entre 1830 et 1880, le marché de la châtaigne a connu une grande expansion à travers

la création du chemin de fer qui relie Limoge à Périgueux, et l’ouverture de deux routes départementales

(CHATELLIER et al., 2007). Parallèlement, le développement de la vigne sur le territoire et les nombreuses

aciéries présentes ont abouti à une exploitation intensive des taillis de châtaignier. Ce bois à la densité très proche de celle du chêne et résistant à la pourriture était prisé pour ses nombreuses utilisations. Un important marché d’échalas et de tuteurs émerge pour répondre aux besoins des viticulteurs. Le bois y est également exploité pour produire des feuillards utilisés pour les cercles de barriques (Animatrice Territoriale, entretien 2019 ; Forestier 1, entretien 2019). Les nombreuses aciéries présentent sur le territoire, en raison du sous-sol très riche en fer, ont nécessité un gros apport de bois. Le châtaignier est une essence qui pousse en taillis et qui se régénère très vite. Ses caractéristiques très avantageuses ont incité les populations à privilégier son implantation au détriment de d’autres espèces forestières habituellement considérées plus nobles, comme le hêtre ou le chêne (Animatrice forestière 1, entretien 2019). Le bois de châtaignier a tendance à craqueler quand il brûle et à projeter des escarbilles. Comme alternative, une grosse industrie de charbon de bois de châtaignier est créée. Plus en marge, ce bois de qualité est utilisé en menuiserie, en vannerie, en ébénisterie ou encore dans la fabrication de nombreux outils. Cette essence, également très mellifère, produit un miel de bonne qualité recherché et ses feuilles constituent une base pour la pharmacopée de l’époque, qu’ils utilisent contre les bronchites ou les rhumatismes (NOUARD, 2018). Le châtaignier, aussi bien sur le plan alimentaire qu’industriel est une essence sur laquelle la population locale tire sa subsistance et qui constitue une grande partie de l’économie locale :

« La plantation du châtaignier est encore une de celles qui doit être le plus encouragée. Le châtaignier est l’arbre à pain de l’Europe. Plus d’une fois dans ce département, son fruit a sauvé le pauvre de la famine.

Notes : Glossaire p. 129

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C’est l’arbre cher au peuple. Il pourvoit à sa nourriture ainsi qu’à celle de ses bestiaux ; il lui donne un chauffage abondant, lui procure les bois propres à la construction de ses bâtiments, et son feuillage fournit l’engrais nécessaire à ses terres (…) » (Annuaire DELFAU, An XII (1804), in CHATELLIER et al., 2007).

Plébiscité en tant qu’essence fruitière avant d’être utilisé en tant qu’essence forestière, le châtaignier s’est implanté et diffusé en Dordogne en raison notamment du faible potentiel agricole de ce territoire éminemment rural. Il a permis de valoriser des sols pauvres et pierreux peu propices aux grandes cultures céréalières, de maintenir une économie vivrière et d'offrir une nourriture riche à une population paysanne souvent démunie. Territoire de la civilisation du châtaignier, la Dordogne l’est d’autant plus que l’appropriation, plus tardive, de ses qualités ligneuses ont également favorisé le développement d’une industrie locale avec la vigne et l’aciérie. Dès lors, on peut se demander pourquoi et comment cette ressource si importante et si structurante pour de nombreuses populations et plusieurs territoires ruraux a connu une telle déqualification et un tel déclin ?

2.2 LE XIX

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SIÈCLE, LES PREMICES DE LA DECHEANCE DU CHÂTAIGNIER

Le châtaignier à travers sa pluralité d’utilisation, a grandement participé au développement de la Dordogne, pourtant cet arbre, parfois surnommé l’arbre providence, va peu à peu tomber en désuétude et devenir accessoire pour les populations. Une multiplicité de facteurs économiques, écologiques, sociaux et culturels explique cette déqualification.

2.2.1 Des bouleversements dans l'agriculture périgourdine