• Aucun résultat trouvé

Malgré son expansion en Dordogne et la prospérité de son exploitation durant plusieurs siècles,

le châtaignier est fragilisé au XVIIe siècle par plusieurs aléas climatiques qui insinuent le doute quant

à la pérennité de cette culture. La répétition des années noires (1709,1766 et 1789) entraine en effet le dépérissement d’un grand nombre de châtaigniers :

« Les châtaigneraies étaient autrefois bien plus communes en France qu'à présent, les grandes gelées de 1709 en ont détruit la plus grande partie » (Journal oeconomique, 1758, in BRUNETON-GOVERNATORI, 1984).

L

A

D

ORDOGNE

,

UN

TERRITOIRE

PROFONDÉMENT

INFLUENCÉ

PAR

L

'

ESSENCE

CHÂTAIGNIER

C

HAP

II.

« Nous voyons avec grand-peine que la négligence sur cet objet est portée dans tout notre département au point qu’il n’y a pas de replanté le vingtième des châtaigniers, noyers et autres arbres fruitiers détruits par l’hiver de 1709 » (Intendant Aubert de Tourny, 1733, in BRUNETON-GOVERNATORI, 1984).

Les disettes et famines qui suivent rappellent la dépendance et la vulnérabilité des populations locales. Conjuguées au progrès technique, ces catastrophes conduisent ainsi les périgourdins à se détourner peu à peu de cette ressource au profit de cultures plus modernes qui tendent à se développer en France (BRUNETON-GOVERNATORI, 1984). Parmi celles-ci, la vigne connait un fort développement sur le territoire. Sur les côteaux et les hauteurs escarpés qui étaient, jusque là, réservés aux châtaigneraies, la vigne est plantée en masse afin de profiter des conditions géographiques idéales pour cette culture et répondre à un marché économique important et bien plus rentable :

« Les défrichements des bois, même des châtaigniers, qu’on fait chaque jour sur les hauteurs et les croupes de bords escarpés sont destinés à la plantation de la vigne, … » (DESMARET, 1764 in CHATELLIER et al., 2007).

La première révolution agricole qui débute au XVIIIe siècle, transforme peu à peu le paysage agricole

périgourdin. Les paysans, subissant à la fois la multiplication des disettes et une pression de la part des pouvoirs publics, modifient leur pratique d’exploitation. On aurait cependant pu croire que la révolution agricole bénéficierait aux châtaigneraies en boostant les productions. Mais ces nouveaux outils et modes de pratiques ne sont pas adaptés à cette culture. Les paysans, pour subvenir à leurs besoins alimentaires et à la recherche d’une meilleure rentabilité, commencent à délaisser cet arbre fruitier. Ils privilégient d’autres cultures comme le maïs, le tabac, la fraise ou encore la pomme de terre dont la consommation, bien que plus

tardive dans le département, se généralise. À la fin du XIXe siècle, le froment et la pomme de terre remplacent

la châtaigne dans l’alimentation de base des paysans (DEPAIN, 1936). De moins en moins consommé par les populations, ce produit sert désormais surtout à nourrir le bétail.

Parallèlement, les forêts du département, comme dans l’ensemble du territoire français, connaissent un défrichement généralisé corrélé à la croissance démographique. Les taillis de châtaignier qui représentent en Dordogne 350 000 ha en 1804 s’effondrent à 200 000 ha dans les années 1860 lors du maximum de population recensé sur le territoire : 501 000 habitants (PINAUD, 1976). Ces massifs forestiers, bien moins étendus à l’époque qu’aujourd’hui (408 000 ha en 2013 (IGN, 2013), sont surexploités pour répondre aux besoins de cette population nombreuse et alimenter les forges locales. Le châtaignier transformé en charbon

L

A D

ORDOGNE

,

UN

TERRITOIRE

PROFONDÉMENT

INFLUENCÉ

PAR

L

'

ESSENCE

CHÂTAIGNIER

C

HAP

II.

de bois est utilisé en combustible par ces industries et près de 140 forges sont recensées à la fin du XVIIIe

siècle. Cette déforestation se poursuit jusqu’à la fin du second empire où la révolution industrielle et l’exode rural entrainent le déclin de ces petites industries locales. L’exploitation de l‘arbre pour le charbon de bois est néanmoins assez vite remplacée par les industries tanniques (LEMPIRE, 2011). Particulièrement riche

en tannin, le châtaignier est en effet très recherché entre le milieu du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle

pour l’industrie du cuir. Ce produit permet de rendre les peaux souples et imputrescibles. La création de cette nouvelle ressource provoque une surexploitation de l’arbre et les paysans constatent très vite qu’il est plus rentable pour eux d’abattre leurs vergers, souvent constitués de sujets pluri centenaires, pour le tannin, que de les soigner et de les cultiver pour leurs fruits. À travers cette nouvelle dynamique économique, de nombreuses châtaigneraies disparaissent; au profit des industries tanniques; participant à la fois au déclin de la filière castanéïcole et à la disparition de gros châtaigniers.

2.2.1.2 Apparition des ravageurs et début de l'exode rural

Le déclin de la culture castanéïcole s’accélère réellement avec l’arrivée du Phylloxéra qui provoque une crise majeure des territoires viticoles entre les années 1870 et 1920. S’attaquant avec virulence aux pieds de vignes, ce petit insecte nuisible contamine très rapidement l’ensemble des vignobles français, entraîne

leur dépérissement et provoque in fine l’effondrement de cette filière (PIJASSOU, 1962). Cette production,

qui contribuait fortement à l’économie périgourdine, fut un des facteurs favorisant l’exode rural. Bien entendu, cet évènement n’est pas spécifique à la Dordogne et affecte l’ensemble des espaces ruraux dans le sillage de la révolution industrielle, du déclin des économies vivrières, de la paupérisation du monde paysan et de la saignée démographique provoquée par la Première Guerre Mondiale. Mais le Périgord est frappé de plein fouet par le déclin de ses principales filières que sont alors la viticulture et les forges. Le rôle joué par le Phylloxéra n’est pas totalement anecdotique car la Dordogne fut le département qui, à la fois, pâtit le plus de cette maladie et qui accusa la plus forte migration (TANET et HORDE, 2001). Faute de main-d’œuvre, les châtaigneraies sont de moins en moins entretenues et elles sont peu à peu abandonnées.

En sus, de cet évènement majeur qui impacta l’économie périgourdine, un autre problème

phytosanitaire frappe la Dordogne dans les années 1880 : la maladie de l’Encre provoquée par le Phyotophtora

cinnamini. Ce champignon parasitaire contamine les racines de l’arbre et le fait dépérir en quelques années.

Si sa diffusion est au départ assez lente, il va finir par contaminer la majorité des châtaigneraies. Son impact se ressent réellement entre 1910 et 1929 où les surfaces de vergers de châtaigniers s’effondrent passant de

L

A

D

ORDOGNE

,

UN

TERRITOIRE

PROFONDÉMENT

INFLUENCÉ

PAR

L

'

ESSENCE

CHÂTAIGNIER

C

HAP

II.

52 000 ha en 1910 (Châtaignes et châtaigniers, 1910) a à peine 4350 ha en 1929 (Enquête agricole de

1929 en Dordogne, 1929, in CHATELLIER et al., 2007) (tableau n°2). De nombreux taillis de châtaigniers

périssent sous la violence de ce champignon et les propriétaires forestiers profitent du développement de l’industrie tannique, très rentable, pour abattre des taillis contaminés ainsi que les vergers dépérissant, accélérant par la même occasion la disparition progressive des châtaigneraies. Si l’exode rural et les ravageurs favorisent la déprise agricole en général, et le déclin des châtaigneraies en particulier, la filière

forestière résiste mieux. Quasiment à son minima dans les années 1860 (22 % du territoire (PINAUD, 1976)),

le couvert forestier ne cesse par la suite de progresser pour atteindre près de 45 % du département en 2013 (IGN, 2013). Conséquence de la conquête des friches agricoles par la végétation, cette expansion se nourrit aussi de la conversion des vergers en taillis, en cultures ou en boisement (pin maritime notamment) plus rentable (LEMPIRE, 2011). De plus, bien que rudoyé par l’Encre, le châtaignier trouve encore de nombreuses utilisations autres que pour le tannin : en bois d’œuvre, en piquet, en lambris, etc. L’industrie des feuillards (illustration n°1 et n°2) notamment explose à cette période. Ces longues nattes étaient notamment utilisées pour cercler les barriques de vin dont la filière, fortement touchée par le Phylloxera, se régénérait grâce à la plantation de portes greffes américains résistant à cette maladie. Les feuillards étaient également utilisés dans la vannerie pour faire des paniers ou encore des pieux de clôture et des échelas, via la caractéristique imputrescible du bois. Généralement, les feuillards sont des jeunes pousses de châtaignier de 5 à 7 ans issu de taillis. Un même taillis de châtaigniers pouvait alors être exploité tous les cinq ans environ. Mais cette industrie florissante au début des années 1900 commence aussi à décliner avec l’apparition des feuillards en fer (plus résistant que le châtaignier pour le déplacement des barriques) entre 1910 et 1920 (PINAUD, 1976).

Dans les années 1950, l’état de la filière agricole et sylvicole n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut. Les problèmes phytosanitaires et les bouleversements du monde rural ont profondément impacté et transformé

Date

Surface (ha)

Sources

1835 98000 Enquete Brard, Archives départementales de la Dordogne, 6 M 531, in CHATELLIER et al., 2007 1848 98500 Statistique générale de la France, in CHATELLIER et al., 2007

1862 76000 Statistique générale de la France, in CHATELLIER et al., 2007 1870 71000 DEPAIN, 1936

1880 57000 DEPAIN, 1936

1910 52000 Châtaignes et châtaigniers, 1910

1929 4350 Enquête agricole de 1929 en Dordogne, in CHATELLIER et al., 2007

1930 2300 DEPAIN, 1936 Source : MB

L

A D

ORDOGNE

,

UN

TERRITOIRE

PROFONDÉMENT

INFLUENCÉ

PAR

L

'

ESSENCE

CHÂTAIGNIER

C

HAP

II.

les modes de gestion et d’exploitation de la ressource châtaignier. Loin d’être seulement économique et technique, la dépréciation dont fait l’objet cette essence se retrouve également dans les valeurs sociales et morales qui lui sont progressivement associées. Déclin et déqualification se conjuguent ainsi pour ouvrir la voie à des alternatives.

2.2.2 Stratégies de déqualification et remplacement du châtaignier déprécié