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La machinerie des vécus unifiée par le fil directeur de la motivation

Dans le document Le concept de personne chez Husserl (Page 55-57)

La personne est le sujet d’un flux de vécu qui est caractérisé par Husserl par la métaphore de la machine. Tout ce qui fait une machine converge vers un but de sorte que les éléments de la machine forment un organisme, un tout unitaire. Il en est de même pour la personne : ce qui fait une personne ce n’est pas des vécus collés les uns avec les autres, ils font machine. Ensemble, ils forment donc une unité qui est la personne. Celle-ci n’est ni une nouvelle personne à chaque changement, ni une somme de développements successifs mis bout à bout. Husserl affirme tout d’abord sa thèse : il y a une unité de l’ego personnel, et celle-ci est caractérisée comme « l’unité de l’ego qui se constitue dans le flux de sa vie126 ». La personne est ainsi l’unité qui émerge du flux de vécu, des multiples comportements de sa vie. Il indique ensuite la provenance de cette unité : « L’ego est une unité constituée à partir des prises de position127 ». Or nous avons justement étudié dans le chapitre précédant que le flux de la vie d’un ego personnel, donc ses prises de position, est structuré par la loi de motivation. Celle-ci peut donc être qualifiée de fil directeur qui unifie la vie de la personne.

Si les valeurs peuvent évoluer durant le cours de la vie de la personne, on parle bien d’évolution et de développement, et non de modification véritable des valeurs. Comme nous l’avons vu la loi de motivation a un caractère associatif, ainsi, toute nouvelle prise de position qui confère une valeur, est en connexion avec des prises de position antérieures. Lorsqu’une personne passe de l’amour à la haine, par exemple, doit-on dire qu’il ne s’agit plus de la même personne ? Il s’agit plutôt d’une nouvelle prise de position, en connexion associative avec une prise de position antérieure et donc édifiée sur une valeur précédemment attribuée. Il s’agit là du cas de nouvelles valeurs par une nouvelle prise de position. Il y a cependant un second cas de figure : « La motivation, les motifs efficaces peuvent être les mêmes, mais la force des différents motifs est différente128 ». Dans le cas présent, ce n’est donc pas tant la valeur qui change, c’est la force de motivation de celle-ci qui change selon les circonstances (Husserl

126 Ibid., p. 349.

127 Ibid., p. 359. 128 Ibid., p. 360.

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prend l’exemple d’une personne qui réagit différemment, car elle a mal dormi et est de ce fait apathique), et selon les périodes de la vie d’une personne (il prend l’exemple de la jeunesse et de la vieillesse). Reprenons l’exemple de l’homme pressé par son entretien d’embauche qui ne prête pas d’attention à la personne qui demande de l’aide. Pour quelle raison ne s’arrête-t-il pas ? On peut dire que la seconde personne fonctionne certes comme une excitation spirituelle, mais elle n’a pas une force de motivation assez forte pour que l’homme cède et s’arrête pour l’aider. L’entretien d’embauche qui permettrait d’avoir un meilleur statut social, de faire vivre la famille (il s’agit là « d’implications intentionnelles129 » que l’on peut comprendre comme des motivations possibles impliquées par les motivations actives) a, semble-t-il, une force de motivation supérieure.

Si le développement de la personne est avant tout une évolution dans ses réactions aux motifs qui l’excitent, on peut dire que le lieu de son développement est la loi de motivation. Comment le lieu du développement et le lieu de constitution de la personne en personne unitaire peuvent-ils être les mêmes ?

Aucune chose n’a en soi-même son individualité. L’esprit, par contre, se constitue de vécus, de prises de position, de motivations. Tout esprit a son mode de motivation, il a, à la différence de la chose, sa motivation en lui- même130.

Alors que pour la chose la causalité s’exerce de l’extérieur, la motivation est une loi qui s’exerce de l’intérieur. La personne peut donc être considérée comme un tout indivisible et cohérent et il n’est, de ce fait, pas contradictoire de dire que la motivation est à la fois le lieu de développement et le lieu d’unité où le flux de vécus est unifié. L’unité personnelle est donc une unité qui retrace l’histoire des motivations. Yves Mayzaud, dans le paragraphe 13 de son livre, insiste sur l’importance de définir l’histoire d’une vie humaine selon la motivation et non selon la causalité psychique. Comme nous l’avions vu dans le chapitre traitant du rapport de la personne avec la couche inférieure sur laquelle elle est édifiée (la couche de la nature), la personne subit l’influence aveugle d’associations, pulsions et affects relevant de sa nature psychique. Pourtant, l’unité de la personne, même si elle est influencée par de telles règles, est

129 Ibid., p. 362. On peut mettre cette idée en parallèle avec la conception du désir que développe Gilles Deleuze dans l’abécédaire enregistré entre 1988 à 1989, lorsqu’il répond à la question « Le désir c’était quoi ? », que lui pose son ancienne élève Claire Parnet. À cela, il répond en effet « Je ne désire jamais quelque chose de tout seul. Je ne désire pas un ensemble non plus, je désire dans un ensemble ». Si c’est bien un objet visé par la conscience qui motive la personne, on peut préciser qu’il ne motivera jamais vraiment seul, avec sa seule valeur. Tout motif englobe des motifs possibles, car il est toujours pris dans un ensemble, dans un réseau motivationnel.

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une unité qui retrace l’histoire homogène des motivations, et non le cours de la vie psychique. Ce qui lui permet de qualifier la loi de l’esprit de « moteur de l’histoire du sujet131 » dont la vie est caractérisée par une cohérence de sa naissance à sa mort.

La naissance et la mort sont en effet les bornes à l’intérieur desquelles le sujet peut se constituer de façon unitaire. On peut cependant admettre au sein de ces bornes la possibilité d’une « désubstantialisation du sujet132 » donc d’une dégénérescence du caractère unitaire de la personne. Dans le cas particulier de la folie, que présente Emmanuel Housset, en effet tout le système de valeurs subit, non pas des évolutions et développements, mais au contraire des bouleversements successifs. « Le fou n’est pas celui qui a perdu l’esprit, mais celui qui ne parvient plus à constituer le monde et à se constituer133 ». De ce fait, la personne n’est plus en mesure de constituer son monde environnant, et par là même n’est plus en mesure de se constituer comme sujet unitaire. Il s’agit cependant d’un cas particulier. Nous devons donc nous demander comment la personne se cristallise en un « centre d’identité134 ». Il conviendra donc d’étudier l’unité du sujet qui parvient à émerger et à persister dans le développement, et qui fait l’ipséité de la personne. La manifestation de la personnalité se fait à travers les typiques et le caractère, dont il va maintenant être question.

Dans le document Le concept de personne chez Husserl (Page 55-57)