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Un développement permanent : la personne au sein d’une histoire

Dans le document Le concept de personne chez Husserl (Page 53-55)

Comme nous l’avions montré au début du mémoire, la personne est radicalement à distinguer de la chose. L’une des raisons invoquées était le constant développement de la personne, opposé à l’invariabilité de la chose. En présentant ce qu’il appelle un point décisif, 119 Husserl indique que la personne, contrairement à la chose, même si elle est cette personne- ci, n’est pas contrainte de se comporter de cette façon-ci. Elle peut réagir autrement à des circonstances pourtant semblables. La personne est donc en un sens, un sujet qui n’est jamais le même, mais qui se développe sans cesse. Son inscription au sein d’un développement est même une nécessité, comme le montre la phrase suivante, dans laquelle Husserl associe la vie du sujet personnel au développement de ce dernier : « Je suis le sujet de ma vie et c’est en vivant que le sujet se développe 120». Ainsi, si la personne doit être distinguée de la chose, à laquelle, sans action de l’extérieur, on réserve la mêmeté, on ne peut refuser à la première une forme unitaire, qui est d’emblée définie comme l’unité d’un sujet qui se développe. Que comprendre par développement de l’ego personnel ?

Il constitue sans cesse son en-face et, dans ce procès, il est motivé, et motivé de façon toujours, et ce non pas de manière quelconque, mais au sein de l’ « autoconservation »121

Si la personne peut être motivée de façon différente, même nouvelle, il ne faut cependant pas en déduire que la valeur de l’objet motivant, et l’unité de la personne avec, sont balayées à chaque nouvelle prise de position. Husserl fait un retour sur la phrase que l’on entend couramment : « il aurait agi différemment si…122 ». Si monsieur X avait été moins pressé par son entretien d’embauche et qu’il avait accordé du temps à monsieur Y qui demandait de l’aide,

119 Ibid., p. 360.

120 Ibid., p. 343. 121 Ibid., p. 345. 122 Ibid., p. 362.

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doit-on pour autant dire que monsieur X aurait été une autre personne ? Avec cette idée d’autoconservation on ne peut que répondre par la négative, puisque celle-ci maintient à la fois la valeur de ce qui motive en sédimentation, et l’unité du sujet personnel qui constitue cette valeur.

On peut en outre observer que Husserl ne parle pas de changements radicaux, mais bien de développements. Or il y a dans celui-ci une idée de continuité qui sous-tend l’idée d’histoire, sur laquelle il convient de s’arrêter. Il y a deux façons de concevoir le flux de vécu : d’une part par une appréhension accumulative, dans laquelle la vie de la personne serait considérée comme une somme d’événements123 hétérogènes assemblés artificiellement, de sorte qu’il serait bien difficile de concevoir la personne comme une unité. À cette première conception, on peut opposer une appréhension de la vie de la personne sous la forme d’une histoire, dans laquelle les comportements de la personne seraient comme les perles d’un collier qui forment un tout unitaire. Yves Mayzaud écrit que la personne se constitue « autour d’un noyau qui n’est pas autre chose qu’une tension entre le présent déterminé et le passé déterminant124 ». Cette assertion met en évidence les idées de protension et de rétention dont il est question à partir du moment où la personne est considérée comme un sujet inscrit dans une histoire. Husserl défend en effet l’idée d’un système de protensions, qu’il distingue de l’attente125. Cette dernière étant ce qui se situe dans l’arrière-plan de la conscience (ce qui est visé actuellement par la conscience, mais qui se situe dans l’arrière-plan de la visée intentionnelle), alors que le système de protensions renvoie à des tendances, qui sont des comportements passés qui conditionnent les comportements futurs de la personne. Ainsi, si l’ego personnel est toujours un sujet qui agit selon des motivations, qui sont conditionnées par des valeurs constituées par des prises de position antérieures, on peut en déduire que la personne est le sujet de son histoire. Son unité doit donc être pensée comme étant inscrite dans une histoire qui rend compte de son développement.

Ce questionnement sur le développement de la personne a deux intérêts. D’une part, montrer que le développement n’est pas un obstacle à la forme unitaire du sujet personnel, mais plutôt, qu’il est le signe distinctif de la personne et qu’il est constitutif de son unité. D’autre part, étudier malgré quel, ou plutôt, au sein de quel développement l’unité de la personne

123 Nous employons ici volontairement le terme « d’événement » pour insister sur le caractère fugace et imprévisible qu’auraient les comportements de la personne dans une telle conception de la vie de conscience. 124 MAYZAUD, Yves. Personne, communauté et monade. P. 42.

125 HUSSERL, Edmund. Idées directrices II. P. 348. « Ce comportement n’est donc pas une attente proprement dite, dans la conscience d’arrière-plan, mais une protension dirigée sur ce qui va se produire à l’avenir […] ».

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émerge et persiste. Il s’agit maintenant d’étudier le fil directeur qui fait que la personne est une histoire à elle-même et non un amas chaotique de vécus disparates.

2. La machinerie des vécus unifiée par le fil directeur de la

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