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Définition négative et positive du monde environnant

Dans le document Le concept de personne chez Husserl (Page 38-40)

Dans quel monde vit la personne ? Dans la mesure où, à un sujet, est corrélatif un certain type d’appréhension du monde, cette question peut être reformulée en une autre qui serait la suivante : dans quel type de monde vit-elle ? Autrement dit quel est le monde qui correspond au sujet particulier qu’est la personne de telle sorte que ce monde soit corrélé au type d’appréhension qui lui est propre ? Ce à quoi, en citant les premières lignes du paragraphe 5579, nous pouvons répondre : « Un tel ego de l’intentionnalité80 se rapporte, dans le cogito, à son monde environnant et particulièrement à son monde environnant real81 ». Le monde de la personne est donc pour Husserl un monde environnant (Umwelt). Une interrogation quant au type de rapport que la personne entretient avec lui peut surgir, puisqu’il poursuit en écrivant : « Ce rapport n’est immédiatement nullement un rapport réal, mais bien un rapport intentionnel à un real82 ». Le problème est donc le suivant : le monde environnant de la personne est qualifié de real, mais tout rapport real immédiat de la personne à son monde environnant est exclu, le rapport défendu étant le rapport intentionnel. Si un rapport real immédiat est exclu dans le monde environnant, la précision « n’est immédiatement nullement un rapport real » va cependant en faveur de l’existence d’un rapport real médiat. On peut en effet admettre l’existence d’un tel rapport dans le monde environnant, mais uniquement par la médiation du rapport intentionnel. La personne, en tant que sujet agissant dans le monde, qui le transforme, agit effectivement avec les autres et avec elle-même, est en effet dans des rapports real mais de tels rapports sont des comportements produits en réaction à des rapports intentionnels83.

Le monde environnant étant donc le monde dans lequel seuls règnent des rapports de type intentionnel et de tels rapports étant des visées partant toujours d’une conscience, donc d’un sujet, nous pouvons en déduire que le monde environnant est un monde pour un sujet. Un

79 § 55 : « L’ego personnel dans son rapport à l’égard du monde environnant ». Ibid., p. 299. 80 Husserl parle ici de l’ego spirituel.

81 Ibid., p. 299. 82 Ibid.

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bref retour sur le terme allemand peut nous apporter un premier éclairage et va dans ce sens : « Um » signifiant « autour » et « Welt » signifiant monde, l’Umwelt est donc le monde autour d’un sujet. Une conception d’un tel monde a déjà été proposée par le naturaliste et biologiste allemand, Jakob Von Uexküll dans Mondes animaux et monde humain. Dans cet ouvrage, alors qu’il s’intéresse au monde des êtres vivants, et plus précisément au monde de la tique, qu’il reconstitue, l’auteur oppose l’approche que peut en faire un physiologiste, à celle que peut en faire un biologiste. Tandis que le premier se comporte en technicien qui examine une machine, l’autre, voit l’être vivant comme « un sujet qui vit dans son monde propre dont il forme le centre84 ». On peut entendre l’Umwelt de la personne dans le même sens : il s’agit non pas du monde matériel, mais du monde subjectivement déterminé par la personne et qui détermine la personne en retour. Le type de monde propre à un tel sujet spirituel se distingue donc du monde matériel, on passe en effet d’un monde « en soi » à un monde « pour moi85 ». Une nuance est cependant à apporter. Si les deux utilisations du terme de Umwelt se rejoignent sur le fait qu’il s’agisse d’un monde pour le sujet, elles se distinguent sur le fait que l’Umwelt de Von Uexküll, même s’il est aussi un monde pour l’action86, est avant tout déterminé par les organes sensoriels (donc de l’ordre du perçu). Chez Husserl, en revanche, l’Umwelt est avant tout déterminé par des actes de l’esprit (donc de l’ordre de l’évaluation), même si les organes sensoriels entrent en jeu, en soubassement comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents.

Il est donc un monde chargé d’un sens qui dépend des actes de l’esprit de la personne : c’est le monde que la personne aperçoit selon ses actes de représentation, de ressenti, d’évaluation, de désir, etc. Laurent Perreau dans Le monde social selon Husserl87

donne à ce titre trois dimensions de l’Umwelt : « perceptive, charnelle et sensible », axiologique et pratique. La première dimension est décrite comme une « position subjective au sein de la nature matérielle ». Dans la mesure où les rapports de la personne avec son monde environnant sont prioritairement des rapports intentionnels, on peut se demander ce qui permet à la personne d’être liée au monde. Sur ce point Yves Mayzaud semble aller dans le même sens que le premier, puisqu’il écrit justement : « Le Leib lie la personne dans un monde88 ». C’est en effet

84 VON UEXKÜLL, Jacob. Mondes animaux et mondes humains. Trad. Philippe Muller. Paris : Denoël, 1965 (Coll. Bibliothèque méditations). P. 16.

85 HUSSERL, Edmund. Idées directrices II. P 261.

86 La détermination pratique intervient en effet dans le monde propre à la tique tel qu’il est conçu par Von Uexküll puisqu’il présente la détermination par les organes sensoriels comme étant orientés par la chasse : « capable d’attaquer des animaux », « elle grimpe […] pour pouvoir se laisser tomber », « agit sur lui comme un signal », « n’a plus besoin que de son sens tactile pour trouver une place », etc.

87 PERREAU, Laurent. Le monde social selon Husserl. London : Springer, 2013. P. 185-188.

88 MAYZAUD, Yves. Personne, Communauté et monade chez Husserl : Contribution à l’étude des fondements de la phénoménologie politique. Paris : L’Harmattan, 2010. P. 107.

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le corps de la personne, le corps vivant point-zéro de l’orientation, qui établit le premier rapport de la personne à l’Umwelt. Laurent Perreau pense la seconde dimension, qui est celle de la valeur, comme étant « le mode privilégié de l’investissement personnel du monde environnant », ce que nous avons étudié avec l’attitude personnaliste qui nous avait permis de comprendre que la personne appréhende son monde par les sentiments. La troisième dimension est une dimension pratique et peut être pensée comme une spécification de la précédente. Le monde environnant étant, entre autres, évalué selon les buts poursuivis par la personne, qui est comprise par Husserl comme « un homme agissant89 ». Les choses du monde environnant sont donc des choses pour les actes, par exemple de transformation ou de communication.

Dans le document Le concept de personne chez Husserl (Page 38-40)