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Constitution réciproque entre la personne et le monde environnant

Dans le document Le concept de personne chez Husserl (Page 43-46)

De cette thèse de la constitution réciproque, nous pouvons en tirer que le monde environnant de telle personne n’est pas celui de telle autre personne. Nous sommes revenus sur le fait que le monde environnant est un monde « pour moi », nous avons compris ce monde « pour moi » dans son opposition au monde « en soi », ce qui permettait d’insister sur la constitution subjective du monde environnant. Cette caractérisation peut être abordée sous un second angle : on peut également comprendre le monde « pour moi » en opposition au monde pour toi, qui serait le monde de l’autre personne. En effet, chaque personne a son propre monde environnant, comme le montre la phrase suivante : « En tant que personne je suis ce que je suis (et toute personne est ce qu’elle est) en tant que sujet d’un monde environnant100 ». L’auteur insiste sur le fait que l’autre personne n’est pas ce que je suis moi, mais bien ce qu’elle est, elle, puisque ce que je suis, je le suis corrélativement à mon monde environnant. Pourtant, si Husserl

99 « L’œuvre Fontaine ». Centre Pompidou. [En ligne], consulté le 06/05/19. URL: https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cMdzAer/rejLpXx 100 Ibid., p. 261.

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insiste sur l’appartenance exclusive d’un monde environnant à une personne particulière, il n’exclut pas l’autre dans la constitution du sujet personnel, bien au contraire. Comme nous le verrons dans la dernière partie, Husserl fait en effet de l’existence des autres personnes la condition de la reconnaissance de soi en tant que personne. Dans la Postface aux Idées

directrices, certainement parce qu’il est dans une posture de défense face aux objections, la

corrélation entre ce que je suis et la façon dont le monde m’apparaît est exposée de façon encore plus explicite :

Je « suis » uniquement dans la mesure où je me pose comme sujet pour ce monde qui, lui-même, se trouve alors posé comme monde dont je suis conscient d’une certaine manière, comme m’apparaissant sous une certaine forme, comme monde auquel je crois, sur lequel je porte des jugements prédicatifs, auquel j’attribue des valeurs et ainsi de suite101.

Le dernier point qu’il est important de souligner est le caractère permanent de la constitution réciproque. Le « monde pour moi » est « une production de soi ». Or le sujet qui est le centre de cette production n’est jamais fixé à jamais, mais toujours en devenir. Il faut donc en déduire que, de même, le monde environnant est toujours en devenir. « L’homme se conduit sans cesse différemment, il a sans cesse un monde environnant actuel différent102 ». Husserl associe effectivement les différents états du monde environnant aux différentes conduites de la personne. Les états du monde et les objets de valeur peuvent donc recevoir la fonction de « fil directeur du comportement du moi dans le monde103 ».

Le monde environnant est donc un monde toujours en constitution, et ainsi susceptible de nouvelles objectivations dépendantes du sujet personnel. Une double interrogation se pose à nous. Premièrement, au sujet du caractère unitaire à la fois du monde environnant, mais aussi de la personne : s’il est admis qu’ils sont en développement, la manifestation d’une unité minimale est tout de même nécessaire. Ce qui nous amène deuxièmement, à la question de la structuration du monde environnant et de la personne. Si le monde environnant est constitué par la vie de la personne et que cette constitution est toujours en devenir, nous devons donc nous demander quel est le principe structurant de la vie de la personne. Il s’agit de la loi de motivation, sur laquelle il convient maintenant de s’arrêter.

101 HUSSERL, Edmund. « Postface à mes idées directrices pour une phénoménologie pure » in Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie pures. Livre trois : La phénoménologie et les fondements des sciences. Trad. A. Kelkel. Paris : PUF, 1993. (Coll. Epiméthée). P. 190.

102 HUSSERL, Edmund. Idées directrices II. P 368.

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Chapitre 5 :

La motivation : la loi structurale de la vie de la personne

Husserl définit la personne comme un « sujet de motivation104 ». Il est consacré à cette dernière toute une section dont le titre est « La motivation en tant que loi fondamentale de

l’esprit ». Nous pouvons prendre ici ce terme de « fondamental » tout d’abord comme un indice

qui dénote l’importance de la motivation pour le monde de l’esprit. « Fondamental » peut donc être pris au sens où la motivation a pour fonction d’être au fondement de la constitution du monde de l’esprit, et a fortiori de la personne, qui est, comme nous l’avons montré dans la partie précédente, un sujet spirituel inhérent à la région de l’esprit. Il s’agira donc de se demander : que fonde la motivation et comment fonctionne-t-elle comme fondement ? Le terme de « loi » peut d’ores et déjà nous éclairer. Il fait en effet immédiatement penser au type de loi bien particulier que sont les lois de la nature, et donc à la causalité. Si la causalité et la motivation sont toutes deux des spécifications de loi, et ont en cela des points où elles se rejoignent, la causalité est la loi qui régit le monde de la nature, tandis que la motivation est la loi qui régit le monde de l’esprit. Il conviendra donc de se demander en quoi ces deux lois se distinguent de sorte qu’elles sont chacune associées à une région du monde. Il faudra également se poser la question suivante : la motivation est-elle à l’esprit ce que la causalité est à la nature ? En effet, une fois la distinction opérée entre la nature de ces deux lois, il demeure la question de leur application sur la région du monde sur laquelle elles s’appliquent respectivement. Il s’agira donc ici tout d’abord de définir négativement la loi de la motivation, en la distinguant de la causalité naturelle propre aux lois de la nature. Cela nous permettra de comprendre pourquoi la motivation ne peut être que la loi du monde de l’esprit, et la causalité que la loi du monde de la nature. Le fonctionnement respectif de ces deux lois est en effet indissociable, et donc essentiellement lié aux réalités auxquelles elles s’appliquent. Nous pourrons ainsi ensuite définir la motivation de manière positive, en montrant comment elle s’exerce sur la personne et comment celle-ci réagit face à cette loi.

104 Ibid., p. 353.

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1. Spécificité de la motivation : étude comparée à la causalité

Dans le document Le concept de personne chez Husserl (Page 43-46)