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Compréhension, expression et communication

Dans le document Le concept de personne chez Husserl (Page 74-76)

Il s’agit maintenant de se demander comment fonctionne la compréhension de la vie spirituelle, non plus au sens de simple reconnaissance, mais au sens d’accès aux vécus dont se compose une telle vie. Dans le paragraphe 51 Husserl reprend la distinction entre l’expérience originaire et l’expérience non originaire, qu’il avait développée au paragraphe 44 sur l’aperception des animalia par l’empathie. De même, l’intropathie me donne l’autre personne « seulement de façon médiate174 ». Je n’ai donc jamais accès au contenu propre à l’autre personne, puisque si j’ai en un sens accès à la vie de conscience de l’autre, ce n’est que par ma propre subjectivité personnelle. L’ego étranger175 a ses motivations, son conditionnement, son histoire personnelle. La compréhension de la vie de l’esprit de l’autre se faisant par analogie avec ma vie, je sais que l’autre fonctionne de la même façon que moi, mais selon sa subjectivité qui est la sienne. Le comprendre c’est donc comprendre comment il fonctionne avec sa subjectivité. La loi de motivation, qui avait déjà un intérêt capital lorsqu’il était question d’étudier le mode de constitution de toute personne et de comprendre ses comportements, prend de nouveau une importance considérable maintenant qu’il s’agit de comprendre comment est constituée et comment s’est constituée l’autre personne : « Je comprends pourquoi l’autre s’est décidé ainsi, je comprends pourquoi il a porté tel jugement176 ». Le pourquoi ici n’est évidemment pas le pourquoi de la causalité de la nature, mais bien celui de la motivation, qui met en évidence les raisons motivantes, les valeurs posées par le sujet qui le conditionnent à agir de telle ou telle manière. Or comme nous l’avions vu, l’ego personnel est l’unité formée par l’histoire des motivations. Ainsi, comprendre les motivations de l’autre permet de « pénétrer dans l’intimité de l’autre177 », c’est-à-dire accéder non plus seulement à de multiples

174 Ibid., p. 279.

175 On veut dire ici ego étranger au sens d’ego extérieur à moi afin d’insister sur l’impénétrabilité totale des subjectivités.

176 Ibid., p. 317. 177 Ibid., p. 368.

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manifestations de prises de position en réaction à des motivations, mais d’accéder à la cristallisation en personne unitaire, qui manifeste une personnalité à travers ses prises de position comprises par intropathie. Celle-ci est conditionnée par le fait que les personnes sont par essence capables d’expression, sur laquelle nous nous arrêterons maintenant.

La capacité d’expression est pour Husserl un trait caractéristique de la personne178. En effet si la compréhension est la reconnaissance et l’accès à la vie spirituelle, et que l’expression est ce qui permet l’accès à une telle vie, on peut légitimement dire qu’elle est la condition à toute compréhension. Or nous avons étudié dans le chapitre précédent que la compréhension est ce qui permet la reconnaissance de l’autre comme personne, reconnaissance qui est requise pour vivre en tant que personne. L’expression est donc bien essentielle à la constitution de la personne, qui doit de ce fait être considérée comme une « puissance expressive179 » pour reprendre l’expression de Laurent Perreau. Il faut comprendre par là qu’elle a toujours en elle une possibilité d’expression de sa vie spirituelle. Il écrit ensuite : « La communication impose un déchiffrement volontaire de l’expression qui ne cesse d’éprouver la distance qui sépare les corps et la différence radicale qui distingue les sujets entre eux180 ». La simple expression n’est en effet pas encore la communication, dans cette dernière il y a un caractère volontaire que l’on peut qualifier de double et qui reste encore absent au niveau de l’expression.

Il appartient naturellement […] au concept de communication que, tandis que je vise à communiquer et que je développe une communication, je suis en même temps compris et (objet d’expérience) pour l’autre, à titre de moi qui agit ainsi […] selon sa visée et son agir volitif.

La communication est l’expression volontaire de la vie de l’esprit. Il s’agit toujours dans la communication d’une volonté de faire connaitre quelque chose ou d’amener à une action. Elle suppose donc à la fois une adresse et une réception qui englobe à la fois une reconnaissance de l’adresse, un ajustement du comportement et enfin une réponse. C’est ce caractère réciproque des actes de communication qui permet une cristallisation en unité et qui rend possible leur

178 Dans cette section, nous présentons l’expression et la communication de manière condensée. Nous nous livrerons cependant dans les suivantes à une étude plus approfondie, à la fois de l’expression et de la communication. Il s’agit en effet dans la section présente de les présenter toutes les deux comme des traits fondamentaux de la personne, en tant qu’elles sont toutes les deux des moyens de la compréhension, elle-même au fondement de l’intersubjectivité personnelle. Dans la section suivante, nous nous pencherons donc sur l’expression en tant qu’expression d’une unité somato-spirituelle médiatisée par le corps, pour ensuite étudier la communication en tant qu’expression volontaire et réciproque, qui est le signe et la condition de toute vie personnelle et la condition de la socialité.

179 PERREAU, Laurent. Le monde social selon Husserl. P. 77. 180 Ibid., p. 80.

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capacité à être à l’origine d’une production « d’unité de conscience plus élevée181 ». Ce pourquoi Husserl qualifie les actes de communication d’actes sociaux, que l’on entend comme les comportements de personnes comprises comme membres d’une communauté. Or nous verrons dans le chapitre suivant que la communauté conditionne la vie de la personne. Ainsi, si la communication est la condition de la vie en communauté et que cette dernière est la condition de toute vie de type personnelle, on peut dire que la communication est la condition et le signe de la vie vécue comme vie de personne.

2. Compréhension et unité somato-spirituelle : le corps comme

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