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L’objectif de ce chapitre n’est pas de faire une description analytique exhaustive de la liturgie juive, déjà traitée longuement dans les ouvrages de référence de grands érudits tels que Leopold Zunz1, Seligmann Baer2, Ismar Elbogen3, Abraham Idelsohn4, Stefan Reif5 ou Naftali Wieder6, pour ne citer que les plus importants. Le rôle fondamental de ce chapitre est de situer le contenu liturgique du Maḥzor Vitry dans un contexte de la liturgie ashkénaze, comme nous l’avons expliqué dans l’introduction. Dans l’aire géographique d’Ashkenaz, qui englobe l’Europe de l’ouest et de l’est, on distingue deux rites liturgiques, à savoir le rite germano- et franco- ashkénaze. La liturgie juive d’Ashkenaz va être abordée ici par deux éléments essentiels, à savoir la prière et les lois relatives aux pratiques religieuses et quotidiennes. A partir de là, le contenu et la structure liturgique des manuscrits du corpus du Maḥzor Vitry pourront être décrits. C’est alors qu’une description brève des types de textes liturgiques classés en quatre groupes sera faite. Cette description est complétée par un tableau comparatif du contenu liturgique des dix manuscrits du corpus du Maḥzor Vitry, qui se trouve en annexe dans le volume II (p. 369).

1. Les rites germano- et franco-ashkénazes

Comme il a été précisé au chapitre précédent, le corpus des manuscrits du Maḥzor Vitry comporte trois manuscrits (O1, O2, et O3) qui suivent le rite germano-ashkénaze, plutôt que celui dit franco-ashkénaze. Ces trois manuscrits ne contiennent que des différences mineures avec le rite franco-ashkénaze, tant au niveau de leur liturgie que de leur contenu de poésies liturgiques, et de ce fait, leurs variantes ne seront pas évoquées en détail au cours du présent chapitre.

1 Zunz, L., Die Synagogalen Poesie des Mittelalters, vol.1. et Die Ritus des Synagogalen Gottesdienstes, vol. 2, Hildesheim, Georg Olms Verlagsbuchhandlung, 1967 (édition originale de Leopold Zunz: Die Ritus des Synagogalen Gottesdienstes geschichtlich entwickelt, Berlin, Julius Springer, 1859).

2 Baer, S., Avodat Israel, Rödelheim, 1868.

3 Elbogen, I., Jewish Liturgy. A Comprehensive History, traduit par Raymond Scheindlin, Philadelphie, Jérusalem, Jewish Publication Society, 1993.

4 Idelsohn, A., Z., Jewish Liturgy, New York, Sacred Music Press, 1932.

5 Reif, S.,C., Judaism and Hebrew Prayer : New Perspectives on Jewish Liturgical History, Cambridge, Cambridge University Press, 1993.

6 Wieder, N., The Formation of Jewish Liturgy in the East and West. A Collection of Essays, (hébreu), 2 vol., Jérusalem, 1998. A titre informatif, il serait important de mentionner l’oeuvre d’Israel Ta-Shma, intitulée The Early Ashkenazic Prayer (Ha-tefilah ha-Aškenazit ha-qedumah), (hébreu), Jérusalem, The Magnes Press, 2004, et d’ajouter que cet auteur a écrit plusieurs articles au sujet de la liturgie juive.

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Les dénominations germano- et franco-ashkénazes permettent la distinction de deux rites liturgiques pratiqués au sein de la même aire géographique d’Ashkenaz7. Situons plus précisément ces rites, étudiés dans ce chapitre depuis leurs origines jusqu’aux Xe et XIe siècles. Le rite germano-ashkénaze (nusaḥ Ashkenaz) était en usage dans la province rhénane de la Lotharingie et le rite franco-ashkénaze (nusaḥ Ṣarefat) était en usage dans les communautés du Nord de la France8. En plus de sa qualification géographique, l’aire d’Ashkenaz était considérée comme une seule unité sur un plan spirituel, culturel et intellectuel jusqu’au dernier quart du XIe siècle9. Cependant, si on se concentre seulement sur le plan religieux, on distingue bien dans la liturgie d’Ashkenaz deux rites, mais inclus dans une même famille liturgique plus globale, appelée « rite ashkénaze », en comparaison avec les rites dits « italien », « séfarade » ou encore « yéménite », pratiqués dans la diaspora juive.

Pour mieux intégrer les distinctions entre les rites germano- et franco-ashkénazes, la compréhension de la formation du rite dit « ashkénaze » (nusaḥ Ashkenaz) est primordiale, car elle est à la fois basée sur les traditions dites « babylonienne » et « palestinienne ».Nous allons retracer brièvement le développement de la prière juive et de sa codification dans l’orient et sa transmission vers l’occident.

Il est reconnu que l’ordre des prières n’a pas existé sous forme bien définie avant les IXe-Xe siècles de notre ère10. Toutefois, le contenu des prières est perçu comme une version

7 Le nom d’Ashkenaz est mentionné trois fois dans la Bible: Gn 10:2, I Chron 1:6 et Jer 51:27. Dans le chapitre 10, verset 2 de la Genèse, il est indiqué qu’Ashkenaz est le fils d’un certain Gomer. Le nom de ce dernier a été repris par les Sages du Talmud, à cause de ses ressemblances phonétiques avec Germamya, (région à l’est du Rhin nommée de cette façon par les Romains) et de ce fait, ils ont créé le lien en établissant Gomer comme faisant référence à Germamya et alors, par déduction Ashkenaz, le fils de Gomer, est associé à Germamya (ou Germania). Voir le Talmud de Babylone, traité Yoma, 10a. Pour une autre référence dans le Talmud de Babylone sur Germamya, voir le traité Megilah, 6b.

8 Le rite franco-ashkénaze était également pratiqué par les juifs établis en Angleterre depuis 1066, date de l’invasion par Guillaume le Conquérant et jusqu’en 1290, date de leur expulsion par Edouard Ier (1272-1307).

Ce rite a été enrichi de coutumes propres aux juifs d’Angleterre. Pour plus d’information sur les juifs en Angleterre, voir Olszowy-Schlanger, J., Les manuscrits hébreux dans l’Angleterre médiévale : étude historique et paléographique, Paris-Louvain, Peeters, 2003et Mundill, R., R., England’s Jewish Solution : Experiment and Expulsion, 1262-1290, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.

9 Voir supra chapitre II, note 26, où il a été expliqué que, dès le dernier quart du XIe siècle, les communautés juives de la France du Nord sont de plus en plus indépendantes des communautés rhénanes, de Spire, Worms et Mayence, épicentres culturels, intellectuels et spirituels d’Ashkenaz. Ce n’est véritablement qu’après la date fatidique de la première croisade, qui a débuté en 1096, où les communautés rhénanes sont anéanties, que ce centre se déplace au Nord de la France, en particulier grâce à l’Ecole de Rashi, installée à Troyes. Voir Grossman, A., The Early Sages of France, Their Lives, Leadership and Works (Ḥakhmei Ṣarefat ha- rišonim) (hébreu), Jérusalem, The Magnes Press, 1995, p. 540 et Ta-Shma, I., Early Franco-German ritual and Custom (Minhag Ashkenaz ha-qadmon), (hébreu), Jérusalem, The Magnes Press, 1999 (3e édition) (1e édition: 1992), p.

15-16.

10 Voir Reif, S., C., op. cit., note 5, p. 139.

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écrite de ce qui était connu sous forme orale depuis longtemps, tant dans le domaine juridique (halakhique) que dans le domaine liturgique. Les Geonim, Sages de Babylone actifs entre la première moitié du VIe siècle et la première moitié du XIe siècle de l’ère commune11, sont considérés comme les continuateurs de la tradition talmudique12 en tant qu’auteurs de la réalisation textuelle et exégétique d’un processus de codification de la Tradition orale. Celle-ci a été éditée au IIe siècle de l’ère commune dans le code de la loi appelée Mishna et complétée aux IVe et Ve siècles par des discussions et commentaires ajoutés et appelés Guemara, qui ensemble constituent le Talmud13. La période des Geonim est celle d’une grande créativité et d’une expansion intellectuelle sans précédent14, en particulier pour la fondation de la prière rabbinique. En effet, à partir du IXe siècle, naissent les premières codifications de halakha babylonienne15 tels les Halakhot Pesuqot par Yehudai Gaon et les Halakhot Gedolot par Simeon Qeraya. C’est dans cette ambiance générale de codification et de création de codes juridiques que la liturgie finit par être codifiée à son tour. Le premier code liturgique est le Seder ͑Amram Gaon, écrit par le Gaon ͑Amram ben Šešnah (mort vers 875) vers 860 de l’ère commune ou encore le Siddur Sa ͑adiah Gaon écrit cent ans plus tard par Sa ͑adiah ben Joseph Gaon de Sura (882-942)16. Par ailleurs, la mise par écrit de la prière et la codification continue de la liturgie depuis le IXe siècle17 coïncide avec l’adoption du codex par les juifs. Le codex devient un médium favori de transmission et de diffusion des textes. Sans pour autant remettre en cause la tradition de la transmission orale, celui-ci apparaît désormais comme le moteur nécessaire à toute autorisation et institutionnalisation des textes, afin de limiter les variantes dans ceux-ci18. Ces premiers codices liturgiques ont été conçus dans le but de consolider les pratiques liturgiques de communautés juives fleurissant au sein des pays islamique et où un nombre important d’émigrés suivant la tradition babylonienne se sont installés19. En particulier, au IXe siècle, les juifs de la péninsule

11 Pour la datation de la période des Geonim, voir Brody, R., The Geonim of Babylonia and the Shaping of Medieval Jewish Culture, New Haven, Yale University Press, 1998, p. 3-18.

12 Le Talmud est finalisé au IVe siècle en Palestine (Talmud de Jérusalem) et en Babylonie au VIe siècle (Talmud de Babylone). Cette époque constitue l’amorce d’une volonté de canonisation du service synagogal, pratiqué dans ces deux régions. En outre, le Talmud de Jérusalem était connu et employé par les juifs d’Ashkenaz et Jacob bar Samson est connu pour avoir été le premier Sage de la France du Nord qui a utilisé des sources du Talmud de Jérusalem dans ses commentaires; voir infra note 103 et voir Grossman, A., op. cit., note 9, p. 415.

13 Voir Reif, S., C., op. cit., note 5, p. 139.

14 Contrairement à la tendance générale de certains chercheurs tels que Seligman Baer et Ismar Elbogen, d’ignorer l’influence gaonique majeure sur le développement de la liturgie rabbinique.

15 Voir Reif, S., C., ibid., p.131 et 154.

16 Voir supra chapitre II.2. pour plus d’ample information sur ces oeuvres, voir Brody, R., op. cit., note 11.

17 Voir Reif, S., C., ibid., p. 148.

18 Voir Carruthers, M., J., The Book of Memory. A Study of Memory in Medieval Culture, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 215.

19 Voir Reif, S., C., ibid., p. 185.

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ibérique, arrivés probablement avec la conquête romaine de l’Espagne20, ont demandé des instructions concernant la liturgie aux académies de Babylone. C’est à leur demande que le Gaon ͑Amram ben Šešnah produit le Seder Amram Gaon; un arrangement systématique des prières du cycle annuel, ainsi que des lois pertinentes à celles-ci21. Cet ouvrage a joui d’une grande notoriété au cours des siècles suivants et a été employé comme une importante source liturgique par des autorités rabbiniques espagnoles, provençales, françaises et allemandes22.

La fixation de la liturgie juive a donc été imposée par les Geonim babyloniens et allait de pair avec la systématisation de la codification halakhique relative à la prière, dont la source principale est le Talmud de Babylone. De ce fait, la liturgie a progressivement acquis un caractère conservateur et immuable, définissant ainsi la tradition dite « babylonienne ».

Comme nous allons le voir, la tradition ancienne de la Terre d’Israël (ʾEreṣ Israel) ou dite « palestinienne » a coexisté avec la tradition babylonienne. En opposition avec cette dernière, une caractéristique de la tradition palestinienne est le manque de standardisation et la décentralisation cultuelle, laissant la place à une tradition orale importante qui se concrétise en une variété de coutumes23. C’est pour cela que les chefs spirituels des communautés en Terre Sainte se sont tournés vers les autorités babyloniennes, qui prônaient la standardisation et la systématisation pour la forme normative de la prière. En outre, la disparition des communautés juives après la conquête de la Terre Sainte par les Croisés en 1099 a provoqué une diminution de la pratique de la tradition palestinienne dans cette aire géographique;

permettant l’autorité rabbinique babylonienne de l’époque, à s’affirmer par l’augmentation de la pratique du rite babylonien dans la plupart des communautés juives de Palestine. La tradition palestinienne, quant à elle, ne laissa par conséquent, que des traces mineures sur l’ensemble des prières fixes et obligatoires de la liturgie juive24.

20 Voir Schechter, A., I., Studies in Jewish Liturgy: Based on a unique manuscript entitled Seder Ḥibur Berakhot, Philadelphia, Dropsie College for Hebrew and Cognate Learning, 1930, p. 40.

21 Pour une description plus détaillée du Seder Amram Gaon, voir supra chapitre II, p.17-20, Seder Amram Gaon : Hebrew Text with Critical Apparatus, Part I, Hedegard, D. (éd.), Lund (Lindstedt), 1951, voir Šešnah ʾAmram ben, Seder Amram Gaon Part II: The Order of Sabbath Prayer, text edition, an annotated English translation and introduction by Tryggve Kronholm (éd.), Lund (Sweden), CWK Gleerup, 1974 et Goldschmidt, E.,D, (éd.), Seder Rav Amram Gaon, Jérusalem, Mosad ha-Rav Kook, 1972.

22 Voir Reif, S., C., op. cit., note 5, p. 186.

23 Voir Ta-Shma, I., op.cit., note 6, p. 6.

24 voir Reif, S.,C., ibid., p. 160-161.

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Cette caractéristique de décentralisation et de manque de codification du culte dans la tradition palestinienne a permis non seulement une plus grande liberté dans le service divin, où un grand nombre de textes ajoutés, tels des Psaumes, poèmes liturgiques (piyyutim) et bénédictions (berakhot) ont été intégrés à la liturgie, mais aussi à l’importance du rôle de la dévotion personnelle du fidèle envers Dieu. Néanmoins, la nécessité de faire respecter les six-cents treize commandements (miṣvot) et surtout l’étude quotidienne de la Torah (la Loi Ecrite) sont deux aspects qui ont été observés dans les deux traditions babylonienne et palestinienne.

Le service divin dans la tradition palestinienne possède avant tout quatre composantes principales qui lui sont propres et sont intégrés de manière intrinsèque dans sa liturgie : de nombreux poèmes liturgiques (piyyutim)25, des traductions araméennes de la Bible (Targumei ha-Miqra)26, des compositions faisant partie de la littérature homilétique du Midrash27 et des passages tirés de la littérature mystique ancienne de la Merkavah28. Le mysticisme de la Merkavah, qui fait partie de la littérature des Heikhalot (Palais) s’est surtout développée en Palestine pendant les Ie et Ve siècles et ses textes relatent principalement les périples célestes de leurs auteurs dans la montée progressive, traversant les six palais divins (heikhalot) par étapes, jusqu’à l’arrivée au Char/Trône (merkavah) sur lequel est posé le trône divin (appelé Trône de la Gloire, Kiseʾ ha-Kavod) décrit dans le premier chapitre du Livre d’Ezéchiel et dans le chapitre 14 du Livre d’Enoch. L’œuvre du Ma ͑aseh Merkavah, basée sur des enseignements attribués à des Sages du IIe siècle, comporte davantage de textes de type liturgique (en particulier des hymnes de louanges solennels) que n’importe quelle autre œuvre dans la littérature des Heikhalot 29 . Cette littérature mystique était en outre bien connue des

25 Les poèmes liturgiques (piyyutim) seront développés plus loin dans ce chapitre.

26 Voir Brody, R., op. cit., note 11, p. 170. Il existe des conjectures au sujet de l’origine des traductions araméennes de la Bible : soit babyloniennes, soit palestiniennes; mais la position dominante de la recherche est qu’elles ont vu le jour en Palestine (Judée) autour du IIe siècle de l’ère commune ; voir Encyclopedia Judaica, vol. 4, p. 843-847, s.v. « Targums to the Pentateuch », voir aussi infra note 96.

27 Bien qu’il existe des textes du Midrash d’origine babylonienne, la plupart sont incorporés dans le Talmud de Babylone et sont inférieurs en quantité et en qualité à ceux compilés en Palestine. Pour une description détaillée de la littérature du Midrash, voir Encyclopedia Judaica, vol. 11, p. 1507-1523, s.v. « Midrash ».

28 Titre donné au premier chapitre du Livre d’Ezéchiel dans le Talmud de Jérusalem, (traité Ḥagigah 2:1). Ce terme désigne les spéculations complexes, homélies et visions du char-trône divin, mais n’apparaît pas dans le Livre d’Ezéchiel. Il est tiré de I Chr 28 :18, où il est question du roi David remettant, entre autres, les plans du char céleste à son fils Salomon ; voir Encyclopedia Judaica, vol.11, p.1386-1388, s.v. « Merkabah mysticism ».

29 Cette littérature mystique, mentionnée dans le Talmud et des Midrash, ainsi que des textes remontant aux Ier et IIe siècles de l’ère commune (dont deux textes mentionnés dans la Mishna : Heikhalot Rabati, Heikhalot Zutrati), octroie une place importante aux traditions sur la description des six palais et des mystères du Char-Trône divin, voir Encyclopedia Judaica vol.10, p. 500-506, s.v. « Kabbalah » et voir Swartz, M., D., Mystical Prayer in Ancient Judaism: An Analysis of Ma ͑aseh Merkavah, Tübingen, J.B.C. Mohr, 1992, p. 5-11; voir Reif, S., C, op. cit., note 5, p. 132-133 et Dan, J., « Mysticism in History, Religion and Literature » in Studies in Jewish Mysticism, Proceedings of Regional Conferences Held at the University of California, Los Angeles and McGill University in April 1978, Cambridge (Mass.), Association for Jewish Studies, 1978, p. 3. Il est

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Sages babyloniens et commentée pendant la période des Geonim30, mais incluse uniquement de manière périphérique dans leur corpus littéraire31.

La tradition dite « palestinienne » a été donc imprégnée à la fois par la codification liturgique des prières fixées par les Geonim babyloniens et par ses propres compositions variées de genres liturgiques (targum, midrash, piyyut) et ses coutumes, créant de ce fait un rite flexible et en constante évolution32, en comparaison avec la constance du rite babylonien.

Le rite dit « palestinien » a été transmis depuis la Terre d’Israël à l’Europe occidentale grâce à l’Empire byzantin, qui l’a véhiculé selon un axe Sud-Nord, depuis l’Italie du Sud, puis au centre et au Nord de l’Italie, pour s’étendre par la suite jusqu’en région germanique d’Ashkenaz, en traversant les Alpes vers la vallée du Rhin. Des liens socio-économiques existaient entre la Palestine et l’Italie déjà entre les VIIe et Xe siècles33, rendant l’Italie héritière spirituelle de la tradition byzantino-palestinienne34. En outre, l’Italie a été fortement influencée par la systématisation de la codification rabbinique initiée par les Geonim babyloniens, avec la pénétration du Talmud de Babylone aux VIIIe et IXe siècles en Europe chrétienne35. Au moment de cette acculturation, la halakha (la Loi) issue de la tradition palestinienne, souvent en contradiction avec la halakha du Talmud de Babylone, a été en quelque sorte « sanctifiée » au niveau du minhag (coutume) local, prenant une place plus

intéressant de préciser que Gershom Scholem est le premier à avoir démontré l’importance du courant du mysticisme de la Merkavah dans le contexte du judaïsme dans l’Antiquité tardive et son rapport avec la liturgie rabbinique à cette époque; voir Scholem, G., G., Major Trends in Jewish Mysticism, New York, Schocken Books, 1974, p. 40-79 et Scholem, G., G., Jewish Gnosticism, Merkavah Mysticism and Talmudic Tradition, New York, JTS Press, 1965, p. 20-30 et p. 101-117.

30 L’œuvre du Ma ͑aseh ha-Merkavah reflète un long processus d’évolution rédactionnel depuis la Palestine des IIIe et IVe siècles jusqu’à sa compilation finale en Babylonie entre les VIe et VIIIe siècles pendant la période des Geonim. Ce que l’on connaît du mysticisme de la Merkavah aujourd’hui est en réalité une adaptation tardive babylonienne d’éléments liturgiques et apocalyptiques développés à l’origine en Palestine ; voir Swartz, M., D., op. cit., note 29, p.11 et 220.

31Voir Reif, S., C., op.cit., note 5, p. 133 et voir Brody, R., op. cit., note 11, p.142-147 et 170.

32 Voir la découverte récente de fragments de rituels de prière de rite dit « palestinien » dans la Gueniza du Caire. Ils ont été longuement étudiés par Ezra Fleischer dans son ouvrage intitulé Eretz Israel Prayer and Prayer Rituals as Portrayed in the Genizah Documents (Tefilah u-minhagei tefilah ʾEreṣ Israel bi-tequfat ha-Geniza), (hébreu) Jérusalem, Magnes Press, 1988.

33 Voir Reif, S., C., ibid., p. 164.

34 Le rite italien appelé Nusaḥ Romaʾ (rite de Rome), dérivant principalement de la tradition palestinienne a été recensé dans un premier ouvrage appelé le Seder Ḥibur Berakhot (‘Compilation de l’ordre des bénédictions’), écrit par Menaḥem ben Salomon au XIIe siècle. Ce rituel est une source comparative importante pour certaines bénédictions et poésies liturgiques (piyyutim), tout à fait similaires au rite français. Voir Reif, S., C., ibid., p.

164-165 et Schechter, A., I., Studies in Jewish Liturgy: Based on a unique manuscript entitled Seder Ḥibur Berakhot, Philadelphia, Dropsie College for Hebrew and Cognate Learning, 1930.

35 Voir Ta-Shma, I., op. cit., note 6, p. 4.

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importante que celle de la halakha prescrite par le Talmud de Babylone36. En réalité, la norme rabbinique dans ces communautés n’a jamais pu se substituer à la diversité coutumière communément admise dans les localités et de ce fait, le minhag est devenu aussi valide qu’une loi dans le lieu où il est pratiqué. Ce caractère local de la coutume convient parfaitement aux communautés juives d’Ashkenaz. Elles ont, en effet, cette spécificité de décentralisation de leurs communautés37 et ce, d’une part à cause de l’organisation interne et de la structure sociale des communautés juives38, se basant sur les principes talmudiques, mais

importante que celle de la halakha prescrite par le Talmud de Babylone36. En réalité, la norme rabbinique dans ces communautés n’a jamais pu se substituer à la diversité coutumière communément admise dans les localités et de ce fait, le minhag est devenu aussi valide qu’une loi dans le lieu où il est pratiqué. Ce caractère local de la coutume convient parfaitement aux communautés juives d’Ashkenaz. Elles ont, en effet, cette spécificité de décentralisation de leurs communautés37 et ce, d’une part à cause de l’organisation interne et de la structure sociale des communautés juives38, se basant sur les principes talmudiques, mais