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par Maïté Bouyssy

Dans le document Les 120 mondes vacillants de Philip K. Dick (Page 88-91)

LES ÉCONOMIES URBAINES

Ce sont donc des politiques de la ville sous in-fluence(s) que nous allons visiter, et la force de ces analyses précises est de nous dire notre quo-tidien, car nous avons tous expérimenté ce « plus que vrai » que nous vivons, que nous avons vécu.

Sommairement résumé, on pourrait croire que l’on feuillette un magazine informé ou progres-siste. Non, c’est l’inverse : ces travaux de fond, sous une trentaine de chapitres, les alimenteront, d’autant que l’index thématique final et ses 139 entrées aide les enquêtes hâtives, et la bibliogra-phie de presque quarante pages cite des articles souvent liés à la géographie « radicale » anglo-saxonne qui donne des sources primaires trop dispersées pour être bien connues.

De nouveaux phénomènes récurrents encadrent nos vies, mais ils veulent tous se vendre en don-nant une image de modernité et de développe-ment durable alors que, pour ce faire, ils s’em-parent de la circulation de l’information ; et celui qui sait finit par alimenter le décideur dans la concertation voulue et organisée des administra-tions des villes, de leurs élus et des entrepreneurs de projets en quête de points de chute. Ainsi se font les grandes réalisations de la financiarisation qui doit creuser les manières d’accroître une rente immobilière difficilement au niveau d’avant 2008. Il faut donc soit condenser soit accroître des initiatives, inventer des chantiers, et mainte-nir l’état des choses par une présence intrusive.

Après la ville industrielle qui devait produire et avait ses banlieues, après la ville keynésienne qui devait pouvoir consommer et s’est étendue avec le triomphe de la voiture et de banlieues de plus en plus lointaines sous les trente glorieuses vers le pavillon désiré – plus que jamais célébré lors de nos confinements –, ce sont les villes en proie à la moindre productivité du capital et à la reven-dication capitaliste qui doivent gérer les niches de la plus-value forcenée. Ainsi invente-t-on la ville qui se reconstruit dans de vastes zones d’ha-bitat populaire souvent immigré et à valeur fon-cière faible, que ce soit à Hambourg (Wilhelm-sburg) ou à Roubaix-Tourcoing-Wattrelos afin de mieux ségréguer, trier et reléguer les populations qui ne peuvent accéder à la gentrification de la

populations ; beaucoup partent, ceux qui s’ac-crochent doivent liquider à bas coût et aux en-chères et, en attendant, la location sous forme de taudis n’est pas moins lucrative ; des arnaques non moins « habituelles » passent, pour ceux qui croient accéder à la propriété, par les sociétés dites « Phoenix », du nom des pavillons inhabi-tables qui sont construits à la va-vite, et, dès la livraison, ces sociétés promotrices disparaissent, laissant les victimes sans recours devant des lo-caux inhabitables. Le contrôle et la ségrégation vont de pair, ruinant tout « droit à la ville » des indésirables et de ceux que l’on produit comme tels avec une certaine élasticité au fil des proces-sus de légitimation et délégitimation.

Pour ceux qui évitent ces traquenards parce qu’ils sont solvables et appartiennent aux couches moyennes ou supérieures éduquées, la ville du-rable préconise des pratiques sociales parfaite-ment intégrées au capitalisme, qu’ils le veuillent ou non ; on y pratique les transports doux, le tri des ordures, on multiplie les panneaux photovol-taïques et les murs végétalisés. Ces lieux en marge des villes, ces éco-quartiers, se res-semblent et s’appuient sur des innovations tech-niques qui intègrent les réponses à la critique d’un urbanisme lié à de grosses opérations fon-cières et d’équipements.

Les couches supérieures, aux rêves de conquête et de domination, peuvent aussi privatiser la ville par la hauteur : la tour Australia 108 à Mel-bourne, haute de 317 mètres, marque un urba-nisme de distinction. Fort de ses 100 étages, ce gratte-ciel comporte ses piscines privées et des lieux partagés non moins privés. Soumises ou l’image des villes qui les ont appelés.

À la marge des villes reconquises, reconstruites, surtout si elles comportent quelque front de mer ou vue sur fleuve, se développe la nouvelle em-prise des logistiques, essentiellement routières, non plus fluviales ni maritimes. Elles reprennent des friches industrielles, au service d’une écono-mie absolument délocalisée ; ces plateformes pèsent économiquement au point de pouvoir ignorer et les riverains et les autorités politiques, dont le livre, à travers tous ses cas, montre soit l’insuffisance, soit la concertation et la coalition avec les financiers. Quoi qu’il en soit, la ville

LES ÉCONOMIES URBAINES

reste le lieu de capitalisations intenses, la crise financière de 2008 n’ayant fait que renforcer les phénomènes qui l’avaient produite. Par divers mécanismes, les titrisations précisément expli-quées reprennent de plus belle, et les dix plus grosses sociétés mondiales de portefeuille vouées à ce secteur ont triplé de valeur entre 2008 et 2018.

L’imagerie qui se développe pour célébrer les villes fait aussi partie du dispositif, la performati-vité des images accompagne le marketing, car toute ville est en recherche de capital symbolique : les campagnes publicitaires font de Lyon la ville attractive pour les millennials et on désire y atti-rer les personnes aisées qui viennent en week-end. La course au slogan inventif et au graphisme

choc a permis le succès du I love New York (1977), que Only Lyon (2007) ou encore cOPEN-hagen veulent imiter.

On sort de cette lecture rassuré de voir qu’on n’a pas eu la berlue en partant de nos propres consta-tations : je n’ai cessé de penser à Bordeaux alors que cette ville n’est, je crois, jamais citée. Cette lecture donne à voir ici ou là le même et le simi-laire, le monde commun en mal d’appro-priation privée ; les processus de reconquête finan-cière sans merci ne se modélisent qu’en fonction de la capacité des payeurs que nous sommes tous si nous ne vivons pas de cette rente ou à son ser-vice. Lourde tâche donc que d’imaginer une so-ciété alternative.

Oklahoma City (2017) © Jean-Luc Bertini

1. À l’eau ! – les animaux

la belle aubaine, une telle occasion Dans ce désert, cet affreux territoire !

Boire y pouvons plus sûrement qu’en Loire – Il fait bon suivre vertu claire et raison.

– la licorne

Je chasse et ôte tout venin et poison D’eaux et de fleuves par ma vertu notoire – Qui voudra donc après moi venir boire Se précipite, car c’est bien de saison.

(Henri Baude, Dits moraux)

2. De circonstance

(anthologie d’étrennes poétiques établie avec Mathilde Vidal)

Bon an, bon jour et bonne étrenne, Ma dame, vous soit aujourd’hui donnée Au commencement de l’année.

Comme à mon amour souveraine Et la plus belle qui soit née, Bon an, bon jour et bonne étrenne, Ma dame, vous soit aujourd’hui donnée.

De mon cœur et corps vous étrenne :  Je vous donne tout cette journée Et pour être mieux étrennée Bon an, bon jour et bonne étrenne, Ma dame, vous soit aujourd’hui donnée Au commencement de l’année.

(Eustache Deschamps, rondeau, XIVe siècle)

***

Ce nouvel an, pour étrennes vous donne Mon cœur blessé d’une nouvelle plaie.

Contraint y suis, Amour ainsi l’ordonne En qui un cas bien contraire j’essaie : Car ce cœur-là, c’est ma richesse vraie.

(Clément Marot, « Étrennes à Anne », 1538)

***

Si ne te puis pour étrennes donner Chose, qui soit selon toi belle, et bonne, Et que par fait on ne peut guerdonner Un bon vouloir, comme raison l’ordonne, Au moins ce don je le présente, et donne, Sans autre espoir d’en être guerdonné : Qui, trop heureux ainsi abandonné, Est, quant à toi, de bien petite estime : Mais, quant à moi, qui tout le t’ai donné, C’est le seul bien, après toi, que j’estime.

(Maurice Scève, « Dizain CCV », Délie Objet de plus haute vertu, 1544)

***

Voici le père au double front Le bon Janus, qui renouvelle Le cours de l’an, qui en un rond Amène la saison nouvelle.

    Renouvelons aussi     Toute vielle pensée,     Et tuons le souci     De Fortune insensée.

Sus donc’, que tardons-nous encore ? Avant que vieillards devenir,

Chassons le soin, qui nous dévore, Trop curieux de l’avenir.

    Ce qui viendra demain,

Dans le document Les 120 mondes vacillants de Philip K. Dick (Page 88-91)