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A - Méthode appliquée

La méthode empruntée a consisté, partant de la réalité juridique « palpable » des textes législatifs et réglementaires et d’un échantillonnage de la pratique décisionnelle des autorités de régulation, à réaliser une étude topologique des procédures de régulation pour identifier celles dont la mécanique interne donne prise à la volonté des parties. Comme le suggère le professeur Idoux, « l’observation des procédures de régulation économique et des contentieux

qu’elles génèrent ou voisinent font figure de révélateurs d’évolutions et d’interrogations certes non spécifiques mais qui prennent un relief particulier dans le domaine observé »222. C’est donc

précisément ce relief de la volonté dans les procédures de régulation que nous avons entrepris de cartographier. Dans cette phase exploratoire, nous avons consciemment renoncé à l’étude systématique de la jurisprudence, « observatoire traditionnel du juriste »223, afin de parer le risque « de ne saisir qu’une faible part de la réalité »224 du « remodelage des dispositifs

juridiques »225 lié à la progression de la logique managériale. La nature même du sujet impliquait un regard de science administrative, appréhendée dans sa « conception

juridique »226. Il s’est agi d’analyser le « fonctionnement concret d’une administration devenue

omniprésente »227 dans la vie économique, en analysant les instruments et mécanismes juridiques par lesquels les autorités de régulation modèlent l’exercice de leurs pouvoirs et entrent ainsi dans des relations de réciprocité avec le milieu régulé. L’étude s’est concentrée sur le droit interne, mais le droit de l’Union européenne est néanmoins convoqué chaque fois qu’il permet d’éclairer, par la convergence ou la contradiction, le fonctionnement des mécanismes procéduraux analysés.

Cette démarche empirique d’arpentage des procédures de régulation a permis de prendre la mesure du dénivelé creusé par la volonté des parties, plus ou moins fort en fonction du champ étudié. Le souci de proposer une approche transversale des champs régulés et l’ambition d’entreprendre une réflexion globale sur l’organisation des procédures de régulation se sont traduits par le recours au comparatisme juridique228. La méthode n’est cependant pas celle d’une authentique démarche de droit comparé interne, car les dispositifs procéduraux étudiés n’appartiennent pas à des univers juridiques radicalement étrangers l’un à l’autre, mais plutôt à des contextes d’application différents229. Il s’agit davantage d’une démarche de droit comparé

223 Mathieu DOAT, « Gurvitch et le droit administratif », Droit et société, n°2016/3, n°94, pp. 537-546

224 Ibid.

225 Ibid.

226 Sur cette approche : Jacques CHEVALLIER, Science administrative, PUF, 5ème éd., 2013, pp. 29-30

227 Ibid.

228 Le droit comparé ou le comparatisme juridique est « la science de la comparaison des droits » (Boris BARRAUD, « Le droit comparé », in La recherche juridique (les branches de la recherche juridique, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2016, p. 91

229 Il serait commode de considérer que chaque champ est régi par une branche juridique distincte : le droit de la concurrence, le droit de l’énergie, le droit de la protection des données personnelles, le droit des marchés financiers

etc. Cependant, cette vision segmentaire des droits applicables aux activités économiques régulées est

intersectoriel230. Le but de l’adoption d’un angle de vue comparatiste a été de dégager des éléments identiques, des invariants, afin de pouvoir généraliser des constantes, des tendances. Dans la logique d’Henri Poincaré, « les faits (…) dignes d’être étudiés sont ceux (…) qui nous

révèlent des parentés insoupçonnées entre autres faits, connus depuis longtemps, mais qu’on croyait à tort étrangers les uns aux autres »231. Cette méthode a permis l’apparentage de dispositifs procéduraux divers, dont il s’agissait alors d’analyser les facteurs d’émergence pour proposer des clés de compréhension. Une fois la topologie établie, nous avons analysé ses points d’accroche avec la géographie générale des univers juridiques auxquels ces procédures se rapportent : celui, vaste et ancien, du droit public, d’une part, et l’environnement familier des systèmes de régulation, d’autre part. Les procédures de régulation n’étant ni des cités suspendues, ni des citadelles interdites, toute modification substantielle affectant leur logique et leur construction n’est pas sans conséquence sur leurs ancrages.

Enfin, cette recherche a été conduite avec le scepticisme inhérent au juriste-chercheur quant à la scientificité de sa démarche. Comme le souligne Michel Miaille, « malgré les constructions

quelquefois les plus formalisées par les juristes, persiste toujours un certain scepticisme qui provient de la conception très relative de la notion de « science » que les juristes se font eux-mêmes de leur production »232. Elle a aussi été poursuivie avec la conviction que toute construction doctrinale présente une irréductible dimension spéculative233, particulièrement dans une matière « dont le fonctionnement ne se laisse pas réduire à une conception mécaniste

mouvement : le statut des autorités de régulation indépendantes, les pouvoirs de ces autorités, leurs méthodes, la logique finaliste qui les imprègne etc.

230 A l’instar des travaux entrepris par le « Club des régulateurs », organisés par la Chaire Gouvernance &

Régulation de l’Université Paris-Dauphine.

231 Henri POINCARE, La valeur de la science, Flammarion, 1920 cité par Alexandre MARC, De la méthodologie

à la dialectique, Presses d’Europe, 1970, p. 12

232 Michel MIAILLE, « Désordre, droit et science », in Paul AMSELEK (Dir.), Théorie du droit et science, PUF, 1994, p. 92

233 Selon les mots de Jean-Jacques Bienvenu, « la fidélité au droit positif est un authentique mythe stérilisant la

production doctrinale. Le respect du donné est certes une condition première de toute œuvre pédagogique et de recherche scientifique mais il ne doit pas absorber toute l’activité doctrinale au point d’en faire une épuisante entreprise de légitimation et de cohésion de l’ordre juridique existant » (Jean-Jacques BIENVENU, « Remarques

de manifestations objectivées »234. La construction proposée, à l’image de son objet, présente des saillies. Mais en droit comme ailleurs, « c’est l’incertitude qui nous charme. Tout devient

merveilleux dans la brume »235.

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