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A - La fonction informative du lobbying auprès des autorités de régulation

Les autorités de régulation sont confrontées à de nombreux « obstacles

informationnels » qu’il leur appartient de surmonter pour éviter les erreurs. En effet, « des décisions de régulation d’organisation des activités (…) basées sur de mauvais choix (…) induisent des évolutions irréversibles parfois extrêmement coûteuses pour les acteurs de l’offre, pour les consommateurs, donc pour l’ensemble de la collectivité »798. Lorsque ces défauts de régulation799 se produisent, ils sont fréquemment le résultat d’une absence d’information ou d’une information défectueuse. Dès lors, « le jeu de la révélation d’informations et de son

traitement constitue un élément crucial de la qualité de la régulation »800.

Selon le professeur Benzoni, les autorités peuvent mobiliser deux catégories d’instruments pour obtenir une information adéquate. En premier lieu, elles peuvent produire elles-mêmes de l’information à travers les enquêtes et les études qu’elles diligentent grâce à leur propre capacité d’expertise ou qu’elles font réaliser par des tiers sous leur autorité. Le choix de cette première catégorie d’instruments a néanmoins un coût financier et temporel important. En second lieu, elles peuvent « faire remonter l’information par les acteurs du marché eux-mêmes : données

sur les marchés, les coûts, les prix, entretiens bilatéraux, consultations publiques »801. Il s’agira alors pour les opérateurs d’exercer par ces canaux un lobbying pour espérer « influer et modifier

la perception des autorités de régulation et infléchir alors leurs décisions »802.

Mais les consommateurs peuvent aussi être amenés à exercer une forme de lobbying auprès des autorités de régulation. Dans son rapport d’évaluation sur les autorités administratives indépendantes, le sénateur Gélard faisait notamment état de la position exprimée par la CNIL à ce sujet. Selon elle, « s’agissant des associations de consommateurs, elles sont régulièrement

consultées au même titre que les professionnels dans le cadre des missions de réglementation

798 Laurent BENZONI, « Le maniement par les autorités de régulation du mécanisme de responsabilité des opérateurs. Un point de vue économique. », in Marie-Anne. FRISON-ROCHE (Dir.), Droit et économie de la régulation.5. Responsabilité et régulations économiques, Presses de sciences-po, coll. Thèmes et commentaires, 2007, p. 46

799 Traduit de l’anglais « regulatory failures ».

800 Ibid., p.47

801 Ibid.

et de régulation de la CNIL (…) » et « se font également le relais des plaintes des consommateurs »803.

La prise en compte du lobbying par les autorités de régulation économique est une conséquence logique de la recherche prioritaire par ces dernières de la coopération des acteurs du secteur régulé. En effet, cette ouverture aux pratiques de lobbying, qui s’opère par voie formelle ou informelle, permet en retour « de délivrer une meilleure information à l’administration (…) sur

l’objet (…) d’un futur règlement »804. Le lobbying « est un levier essentiel d’information, de

proposition, de dialogue et donc, de prise de décision »805. Sous cet angle, le lobbying permettrait d’atteindre la congruence tant convoitée entre l’intérêt du destinataire des décisions de régulation et l’intérêt général, et in fine de parvenir à une meilleure efficacité de la décision publique.

Cette perception positive du lobbying doit évidemment être nuancée. Le choix par les autorités d’instruments « ouverts » les expose à un risque de capture806, en particulier par les opérateurs les plus puissants qui sont souvent mieux organisés pour faire valoir leurs arguments dans ce genre de procédures. La reconnaissance de la fonction informative du lobbying suppose donc de le réglementer en parallèle afin de garantir l’égal accès au droit807. Cette notion se comprend comme le droit pour une personne privée de « démarcher » une autorité publique pour faire valoir ses intérêts ; elle a été progressivement élargie « à la possibilité de devenir acteur du

droit, en contribuant à son élaboration »808. Au-delà de l’impératif d’égal accès au droit, la définition des moyens destinés à préserver l’effet utile du lobbying suppose de s’interroger sur

803 « Les autorités administratives indépendantes : évaluation d’un objet juridique non identifié », Rapport de l’office parlementaire d’évaluation de la législation n°404 (2005-2006) de M. Patrice GELARD, 15 juin 2006, Tome 2, Annexes, point 8.1.8, note 234

804 Grégory HOUILLON, « Pédagogie et efficacité du droit », in Philippe RAIMBAULT (Dir.), La pédagogie au

service du droit, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2011, p. 346

805 Jean-Paul Charié, Rapport d’information sur le lobbying, présenté à l’Assemblée Nationale au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, n°613, 16 janvier 2008, p. 7

806 La théorie de la capture de la régulation publique par un opérateur ou une catégorie d’opérateurs économiques a été élaborée par le prix Nobel d’économie Georges Stigler en 1971 dans son ouvrage intitulé The theory of

economic regulation.

807 Maria-Magdalena VLAICU, « Accessibilité du droit et réglementation du lobbying : l’influence du système des États-Unis sur l’Union Européenne », Jurisdoctoria n°1, 2008

le « degré de perméabilité »809 des autorités de régulation lorsqu’elles sont confrontées « à

l’unanimité de la position des professionnels en présence d’un problème déterminé »810 et, plus généralement, lorsqu’elles font face aux pratiques des opérateurs du marché.

L’émergence du lobbying est à relier avec la dépendance croissante des entreprises vis-à-vis de l’État à partir des années quatre-vingt. En effet, dès lors que les autorités publiques se sont données comme ordre de mission d’organiser les marchés et d’en éviter les défaillances – par la réduction du périmètre du secteur public et l’instauration d’autorités indépendantes de régulation – les opérateurs privés ont été contraints de se tourner vers ces dernières pour obtenir les autorisations et agréments nécessaires à l’exercice de leur activité811. Cette « fabrique

publique des marchés »812 les a naturellement conduits à vouloir exercer une influence sur les règles et décisions qui déterminent leurs droits et obligations. Le phénomène de régulation a donc créé une dépendance mutuelle entre les opérateurs et les autorités indépendantes, ces dernières étant forcées de s’appuyer au moins en partie sur les premiers pour obtenir la matière première de la réalisation de leurs missions : l’information.

809 Jean-Pierre BORNET, intervention lors de la table ronde : la réception par les autorités administratives indépendantes, in Les pratiques juridiques en tant que source du droit des affaires, rencontres Petites Affiches du 5 février 2003, LPA, 27 nov. 2003, n°237, p. 60

810 Gérard GARDELLA, intervention lors de la table ronde : la réception par les autorités administratives indépendantes, in Les pratiques juridiques en tant que source du droit des affaires, rencontres Petites Affiches du 5 février 2003, LPA, 27 nov. 2003, n°237, p. 60

811 Cette remarque s’applique à plus forte raison aux secteurs dits « libéralisés », qui reposent sur l’octroi d’un droit d’accès aux opérateurs pour entrer sur le marché. Il n’en demeure pas moins qu’elle s’applique également à la régulation concurrentielle, si l’on songe au droit des concentrations, ainsi qu’à la régulation des données personnelles, si l’on songe aux autorisations ou aux obligations déclaratives nécessaires pour certains traitements.

812 Pierre France, Antoine VAUCHEZ, Sphère publique, intérêts privés : enquête sur un grand brouillage, Presses de Sciences Po, 2017

B - L’encadrement de la « concurrence informationnelle »

813

devant les

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