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B – Un principe « disruptif » : la capacité d’innovation et la dynamique de collaboration associées à la transparence administrative

L’exploitation des technologies de l’information par les ARI peut être considérée comme une « innovation disruptive »634 par rapport au modèle administratif classique, en ce sens qu’elle va au-delà de la simple amélioration des procédures existantes. La transparence

630 Ibid.

631 ARCEP, « Neutralité du net et des réseaux – propositions et recommandations », septembre 2010

632 ARCEP, « Rapport au Parlement et au gouvernement sur la neutralité de l’internet », septembre 2012

633 Avis n°2015-1316 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes relatif au projet de loi pour une République Numérique, 12 novembre 2015

634 Nous empruntons l’expression au vocabulaire des sciences du management et de la gestion. La notion d’innovation disruptive est apparue dans les années quatre-vingt-dix, sous la plume de Clayton Christensen, pour désigner les innovations « qui se distinguent fondamentalement de l’existant, le plus souvent car elles fournissent

un bien ou un service plus simple, plus accessible et moins cher », le plus souvent liées à l’économie numérique

(Laurent VALLEE, « Un droit de l’innovation ? », Les nouveaux cahiers du Conseil Constitutionnel, 2016/3, n°52, p. 29).

administrative est sans cesse amplifiée par l’expérimentation de nouvelles passerelles de communication avec le milieu régulé635.

En France, l’ARCEP est sans conteste l’autorité la plus active en la matière. Cet avant-gardisme est logique compte tenu de la matière qu’elle régule, à savoir les réseaux de communication. Selon son président, Sébastien Soriano, la régulation « doit accepter d’être transformée par la

révolution numérique : il nous faut questionner nos méthodes à l’heure de la disruption »636. Depuis septembre 2016, l’Autorité a dévoilé l’ambition de « réguler par la data »637, méthode qu’elle définit comme le fait « d’utiliser la puissance de l’information pour orienter le marché

dans la bonne direction »638. Concrètement, cela implique tout d’abord de « donner du pouvoir

aux utilisateurs en leur fournissant une information précise et personnalisée que celle-ci provienne des utilisateurs eux-mêmes (crowdsourcing) ou qu’elle soit collectée par l’ARCEP auprès des opérateurs (dégroupage de la data) »639. Pour élargir la diffusion de l’information, l’Autorité envisage de « généraliser la diffusion en open data des données issues de ses

observatoires »640. Ensuite, il s’agit de « mobiliser les utilisateurs pour faire remonter les

problèmes rencontrés via un espace de signalement, en passant d’une logique de plainte consommateur à un acte citoyen »641. La mobilisation de la notion de citoyenneté fait apparaître

635 La CNIL indique ainsi que dans le cadre de son activité d’étude, d’innovation et de prospective, sa mission consiste à « expérimenter », c’est-à-dire « piloter des projets d’innovation, de recherche, de prototypage (par le

développement d’outils, par les partenariats, par les méthodes internes, par le design) ». Dans cet esprit, la

Commission a lancé le LINC (Laboratoire d’Innovation Numérique de la CNIL), qu’elle présente comme un dispositif « de réflexion, d’information et de partage sur les tendances émergentes d’usage du numérique et des

données » et « de conduite de projets d’expérimentation et de prototypage d’outils, de services ou de concepts autour des données ». Par ce média, la CNIL entend proposer « un regard différent en mettant en avant les activités d’innovation de la CNIL qui, au-delà de son action de régulation, participe et catalyse des débats sur les enjeux reliant éthique, libertés, données et usage du numérique ». Le LINC se conçoit aussi comme « un espace de création de liens avec les acteurs – entreprises, institutions, associations et membres de la société civile - qui participent à la révolution numérique » (v. le site dédié : https://linc.cnil.fr/propos-de-linc )

636 Sébastien SORIANO, « Barbariser la régulation pour réguler les barbares », Huffington Post, 5 novembre 2015

637 « La régulation par la data », rubrique Grands dossiers de l’ARCEP, 14 septembre 2016, en ligne :

http://arcep.fr/index.php?id=13329

638 Ibid.

639 Ibid.

640 Ibid.

très clairement l’inspiration démocratique de la nouvelle méthode de régulation prônée par l’ARCEP642, qui vise à ce que « chaque utilisateur participe à la régulation »643.

D’autres autorités de régulation ne sont cependant pas en reste. L’AMF et l’ACPR se sont par exemple associées pour mettre en place une nouvelle instance consultative et de dialogue avec les professionnels « pour mieux appréhender les enjeux de réglementation et de supervision

liés à l’innovation financière »644. Dénommée « Forum FinTech »645, cette instance pourra être consultée sur l’évolution de la réglementation ou la modification de la doctrine de ses deux autorités « mères ». Elle a également vocation à faire remonter auprès de ces dernières les préoccupations des professionnels. Cette instance regroupe donc les deux grands types de fonction de la consultation identifiés par le Conseil d’État. Il s’agit tout autant pour l’ARI de consulter « parce qu’elle ne sait pas et (…) parce qu’elle veut faire savoir »646, autrement dit de pallier aux limites de ses connaissances techniques tout en préparant « ses interlocuteurs à

la position qu’elle prendra en définitive »647. La création de cet espace de dialogue

642 L’ARCEP va même jusqu’à qualifier sa démarche de « démarche d’alliance avec la multitude ».

643 Ibid.

644 « L’AMF et l’ACPR lancent le forum FinTech », communiqué de presse, 18 juillet 2016, en ligne :

http://www.amf-france.org/Actualites/Communiques-de-presse/AMF/annee-2016.html?docId=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%2Ffef66ab3-71de-4e2b-b707-d0ca87df1509 ; « Les régulateurs veulent encadrer la fintech sans l’étouffer », Les Echos, 18 juillet 2016, en ligne :

http://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/0211136657440-les-regulateurs-veulent-encadrer-la-fintech-sans-letouffer-2015200.php?xECfe1KXY5uuFi9A.99

645 Cette prise d’initiative conjointe par l’AMF et l’ACPR s’inscrit également dans un contexte global de compétition entre les places financières nationales. Les régulateurs nationaux ont en effet aussi pour objectif de faire de la France un leader en matière d’innovation numérique financière. Ainsi, seulement deux mois après l’annonce de la création de cette instance, la Security and Exchange Commission (S.E.C.) annonçait elle aussi la mise en place aux États-Unis d’un forum de dialogue autour des FinTech pour approfondir la collaboration entre les régulateurs, les entrepreneurs et les experts de l’industrie (v. communiqué de presse :

https://www.sec.gov/news/pressrelease/2016-195.html ). La course à l’innovation financière entraîne dans son sillage une certaine forme de « dumping » entre les régulateurs nationaux, qui cherchent à acquérir une emprise sur ces nouvelles pratiques financières tout en adaptant le plus justement possible le cadre réglementaire aux attentes des professionnels du secteur.

646 Conseil d’État, Consulter autrement. Participer effectivement, Rapport public pour 2011, La documentation française, p. 20-22

s’accompagne de la mise en place d’un pôle à l’ACPR et d’une division spécifique à l’AMF648

dédiés aux innovations technologiques dans le domaine financier, afin de « coordonner l’action

des deux autorités en matière d’accueil et de régulation des projets innovants portant sur les services d’investissements »649.

La création de ce forum à vocation délibérative et consultative n’a pas été officialisée par un texte. Cet état de fait conduit à s’interroger quant à sa conformité avec le droit positif et, plus généralement, quant à sa compatibilité avec la politique de rationalisation administrative menée par l’État, qui prêche la réduction du nombre de commissions consultatives650. Le décret du 8 juin 2006 prévoit à cet égard que, sauf lorsque son existence est prévue par la loi, une commission ne peut être créée que par décret et pour une durée maximale de cinq ans. En outre, sa création doit être précédée d’une étude destinée à vérifier que la mission qui lui est confiée répond à une nécessité et ne peut être assurée par une commission existante651. Rien n’indique qu’une telle étude n’ait été menée préalablement à l’installation du Forum FinTech, ni que ce dernier soit installé pour une durée déterminée. Or un décret du 29 avril 2011652 avait créé le Conseil National du Numérique, réformé en 2012653, dont la mission est précisément de « formuler de manière indépendante et de rendre publics des avis et des recommandations sur

toute question relative à l’impact du numérique sur la société et l’économie ».

Ce dernier exemple montre encore que le volontarisme des ARI dans la mise en place de méthodes ouvertes s’exprime souvent sur un mode informel et, par suite, affranchit des règles générales. Cet aspect était d’ailleurs souligné par le rapport d’évaluation du Sénat sur les autorités administratives indépendantes. Il pointait « la pratique courante de l’organisation par

les autorités administratives indépendantes de rencontres sur un modèle qui oscille entre le

648 Division FinTech, innovation et compétitivité (FIC)

649 « L’ACPR crée un pôle FinTech innovation au 1er juin 2016 », communiqué de presse, 1er juin 2016, en ligne.

650 V. Circulaire du Premier Ministre n°5618SG du 30 novembre 2012 relative à la réduction du nombre de commissions consultatives

651 Article 2 du décret n°2006-672 du 26 septembre 2006 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de commissions administratives à caractère consultatif

652 Décret n°2011-476 du 29 avril 2011 portant création du Conseil National du Numérique, NOR : INDX1111287D, JORF n°0101 du 30 avril 2011, p. 7530 (abrogé).

colloque universitaire et la réunion diplomatique »654 ainsi que la pratique des forums, qui expriment un « pouvoir de faire savoir »655. A la question de savoir s’il fallait organiser juridiquement ces pratiques, il était répondu sans conviction que « le législateur pourrait

vouloir donner des règles plus fixes en la matière, à moins qu’il estime que ces marges de discrétion permettent pour chacune des autorités concernées en fonction des missions et des cas de mieux exercer leur office »656. Il y a cependant un enjeu de légitimité réel à encadrer juridiquement la publicité donnée aux discussions qui ont cours lors de ces forums dans la mesure où elles peuvent influencer les décisions prises par les autorités de régulation.

Conclusion de la section.

La montée en puissance des nouvelles technologies de l’information et de la communication a accentué de manière significative le mouvement d’ouverture des processus décisionnels, en permettant au régulateur d’être en dialogue constant avec son « écosystème ». Cette exaltation de la transparence et de la consultation constitue une véritable « rupture méthodologique avec l’administration traditionnelle »657. Le « faire savoir » tend à devenir une mission à part entière des autorités de régulation, qui n’hésitent plus à recourir à des « community manager » pour piloter leur stratégie de communication. La visibilité des institutions est devenue « une condition nécessaire à la création de la

confiance »658. Alors que l’indépendance des ARI semblait à l’origine synonyme d’intimité de leur action – intimité supposée les préserver des influences extérieures – cette conception semble désormais tombée en désuétude. L’interactivité des procédures qui structurent leurs interventions apparaît aujourd’hui comme l’affluent principal de leur processus de légitimation (Section 2).

654 Office parlementaire d’évaluation de la législation, Les autorités administratives indépendantes : évaluation

d’un objet juridique non identifié, n°404 (2005-2006) de M. Patrice GELARD, 15 juin 2006, t. 2, Annexes, point

8.1.12

655 Ibid.

656 Ibid.

657 Ibid. p. 53

658 John PITSEYS, « Le concept de gouvernance », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2010/2, vol. 65, pp. 207-228

Section 2 – L’interactivité des procédures garante de la

légitimité des autorités de régulation

Le système de l’administration bureaucratisée qui s’est enraciné à la fin du XIXème siècle se présentait comme l’antinomie d’une administration démocratique, dès lors que « son

caractère démocratique ne provient pas de son organisation interne, mais de sa subordination par rapport aux élus politiques »659. La légitimité démocratique de l’administration découlait d’une inféodation à ces derniers, auxquels ils revenaient de fixer des orientations que l’administration devait se borner à mettre en œuvre. Un tel système de légitimation s’est avéré incompatible avec un système de régulation publique indépendante, où s’est nettement imposée une approche dialogique de la légitimité (§ 1), aujourd’hui promue à travers le concept sybillin d’ « État-plateforme » (§ 2).

§ 1 – La domination d’une approche dialogique de la légitimité dans

les procédures de régulation économique

Selon le Professeur Timsit, les phénomènes de régulation ont en commun de « vouloir

substituer, et pour combattre leurs défaillances, à la normativité spontanée du marché et à la normativité imposée de l’État, une normativité dialoguée », c’est-à-dire une « normativité fondée sur le dialogue de ceux et avec ceux auxquels elle est destinée » à même de « retrouver et réinventer sa légitimité face à ceux, et parfois avec ceux-là même qu’elle prétend régir »660. La légitimité des règles par lesquelles transitent les politiques de régulation économique repose donc sur l’organisation d’un dialogue – requis par la densification des normes en matière économique (A) – permettant un couplage vertueux de l’expertise et de l’expérience respectives des autorités de régulation et des opérateurs (B).

659 Jacques CHEVALLIER, « De l’administration démocratique à la démocratie administrative », RFAP 2011/1, n°137/138, p. 219

660 Gérard TIMSIT, « Normativité et régulation », Cahiers du Conseil Constitutionnel n°21, dossier spécial « La normativité », janvier 2007

A – Une demande de régulation générée par la densification des normes en

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