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Une légitimation incidemment nécessaire du processus décisionnel des autorités de régulation

Selon Gilles Dumont, l’autonomisation du processus décisionnel administratif, qui dérive de la complexification des fonctions administratives, condamne alors l’administration à « développer des procédures légitimantes, et ce même si le système administratif ne s’y prête

qu’imparfaitement »459. Cet auteur explique que l’incompatibilité a priori du système administratif et des procédés de légitimation découle de ce que la « légitimation par la

procédure »460 n’est nécessaire et possible que lorsqu’il existe une marge d’indétermination sur le résultat de celle-ci ; or cette indétermination est absente lorsque la décision est prise sur le fondement d’une norme d’habilitation liant la compétence de l’organe habilité. Toutefois, comme il a été souligné précédemment, le champ de la régulation économique n’offre qu’un espace réduit à ce type de décisions car l’économie générale de ses dispositifs implique justement de laisser cours à l’expression du pouvoir discrétionnaire des autorités indépendantes qui les pilotent461. Bien que la lettre de la jurisprudence constitutionnelle commande au

458 Cette rationalisation du processus de choix se traduit par la prolifération d’actes par lesquels les ARI rendent publiques les méthodes qu’elles entendent appliquer et les critères qu’elles mettent en oeuvre. Par ces actes aux dénominations diverses (lignes directrices, communiqués de procédure …), elles manifestent donc leur intention de standardiser – et non de lier – l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire.

459 Gilles DUMONT, « Théorie de la procédure », in Les procédures administratives, Dalloz, coll. Thèmes et Commentaires, 2015, p. 9

460 Ibid. La légitimation par la procédure se distingue d’autres formes de légitimation démocratique telle que la légitimation par le suffrage.

461 Cette marge de manœuvre est pleinement reconnue par le juge administratif. Ainsi, dans l’arrêt d’Assemblée Mathus et Hollande en date du 8 avril 2009, le Conseil d’État a jugé, à propos des pouvoirs du CSA, que « le

législateur a confié à l’autorité de régulation la mission d’assurer la garantie, dans les médias audiovisuels, de l’objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des courants de pensée et d’opinion, notamment politiques ; que cette autorité est tenue d’exercer pleinement sa mission, en veillant au respect de cet objectif par les services de radio et de télévision, selon des modalités qu’il lui incombe, en l’état de la législation, de déterminer ; qu’elle dispose, à cette fin, d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir,

législateur de circonscrire rigoureusement l’étendue de leur compétence réglementaire lorsqu’elle existe – les juges de la rue Montpensier semblant prima facie récuser l’attribution d’un pouvoir discrétionnaire en obligeant le législateur à enserrer le pouvoir de décision dans des limites strictes – le professeur Faure a pu relever à juste titre qu’il « apparaît toutefois

difficile d’éliminer toute compétence réglementaire dans des domaines techniques où l’association des professionnels membres de l’autorité indépendante se présente comme une garantie d’adaptation et d’acceptation de la règle »462. Il n’est pas inutile de souligner ici le lien étroit établi entre le pouvoir discrétionnaire des ARI et leur capacité à agir de concert avec les destinataires primaires des actes de régulation, à savoir les opérateurs économiques. Reconnaître la possibilité à ces derniers d’intervenir et d’influer dans et sur le processus décisionnel implique inévitablement que ce processus soit indéterminé, autrement dit que l’ARI jouisse d’une certaine marge de manœuvre.

Le développement d’une pratique décisionnelle d’ouverture et de dialogue à l’endroit des parties prenantes s’explique ainsi tant par « la forte technicité des décisions à prendre, qui

impose à l’autorité indépendante de s’éclairer en ayant recours à toutes les sources d’informations possibles, y compris le point de vue des intéressés » que par « le fort besoin de légitimité suscité par leur indépendance : n’étant ni gouvernées par des élus, ni politiquement responsables devant les élus, les AAI doivent veiller à la légitimité procédurale de leurs décisions »463. En somme, la technicité des questions traitées par les ARI justifie qu’elles disposent d’un large pouvoir d’appréciation dont l’existence requiert d’être légitimée aux yeux

les règles propres à assurer une présentation équilibrée de l’ensemble du débat politique national » (CE, Ass., 8

avril 2009, Mathus et Hollande, n°311136, nous soulignons).

462 Bertrand FAURE, « Le problème du pouvoir réglementaire des autorités administratives secondaires », Cahiers

du Conseil Constitutionnel, n°19, janv. 2006. Nb. : nous souscrivons à l’analyse du Professeur Faure sur cet aspect.

Cependant, l’usage de l’expression « compétence réglementaire » dans cette citation nous paraît porteuse de confusion car une compétence réglementaire peut être attribuée sans pour autant qu’elle puisse donner lieu à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Or, ce que borne la jurisprudence constitutionnelle dans les lois de régulation économique, c’est bien l’étendue substantielle de la compétence réglementaire des autorités administratives indépendantes et non le principe même de son attribution, désormais admis. Pour ces dernières, la décision n°86-217 DC pose que l’octroi d’un pouvoir réglementaire ne saurait concerner que « des mesures de portée limitée tant

par leur champ d’application que par leur contenu (…) ».

463 Pascale IDOUX, « La procédure devant les autorités administratives indépendantes en France », in Jean-Bernard AUBY (Dir.), Droit comparé de la procédure administrative, Bruylant, coll. Droit administratif, 2016, p. 553

des opérateurs. A défaut d’une authentique légitimité institutionnelle, qui dériverait d’une responsabilité politique et d’une reconnaissance constitutionnelle, cette dynamique de légitimation prend sa source dans la procédure464.

Cette dynamique n’est pas sans conséquence sur le pendant juridique de l’État de droit, c’est-à-dire sur le contrôle de légalité. En ce sens, concernant les décisions de la Commission prises en application du régime des concentration, le juge de l’Union souligne que son contrôle doit être effectué « compte tenu de la marge d’appréciation que sous-tendent les normes de

caractère économique faisant partie du régime des concentrations »465. Il en découle que « selon une jurisprudence constante, dans les cas où les institutions disposent d’un pouvoir

d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale »466. Parmi ces garanties, figurent notamment « l’obligation pour la Commission d’examiner, avec soin et

impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce, le droit de l’intéressé de faire connaître son point de vue ainsi que celui de voir motiver la décision attaquée de façon suffisante »467.

464 En ce sens, v. Pascal LOKIEC, « La contractualisation et la recherche d’une légitimité procédurale », in Sandrine CHASSAGNARD-PINET, David HIEZ (Dir.), la contractualisation de la procédure normative, actes du colloque du 11 au 13 oct. 2007, pp. 16-19 : « La promotion de la justice consensuelle a des raisons qui ne sont

pas qu’idéologiques. Elle constitue parfois le seul remède (…) à la complexité de situations qui rendent impossibles une solution imposée a priori. En effet, dans des domaines particulièrement complexes, se retrancher derrière la volonté des acteurs évite de trancher entre des valeurs qui ont toutes vocation à justifier une solution (…) ». Or « le lien entre contractualisation et procédure est presque systématique lorsque la contractualisation est invoquée comme mode alternatif d’élaboration de la règle (…) » dès lors que le modèle du contrat « met en adéquation la création (par les contractants) et l’application (aux contractants) de la norme, par contraste avec la norme imposée qui par définition n’est pas élaborée par celui ou ceux auxquels elle s’applique ». En

conséquence, le modèle du contrat « permet une contextualisation de la norme », et la procédure impliquée par le modèle du contrat « permet l’adaptation de la règle à son contexte d’application, tandis qu’une règle hétéronome

est plaquée indépendamment de ce contexte ».

465 CJCE, Gde. Ch., 15 fév. 2005, Commission c/ Tetra Laval, C-12/03, pt. 38 ; TPIUE, 16 mai 2018, Deutsche

Lufthansa AG c/ Commission, n° T-712/16, pt. 39

466 TPIUE, 16 mai 2018, Deutsche Lufthansa AG c/ Commission, n° T-712/16, pt. 40

467 CJCE, 21 nov. 1991, Technische Universität München, C-269/90, pt. 14 ; TPICE, 20 mars 2002, ABB Asea

Selon le Président de section du Conseil d’État italien, les actes de régulation sont d’abord « l’expression d’un pouvoir discrétionnaire technique »468. En effet, il s’agit « d’enquête,

d’évaluations et de mesures techniques, c’est-à-dire de décisions prises par rapport à des règles non juridiques »469, pour lesquelles la question de la légalité est avant tout affaire de légalité procédurale. Cela se traduit par un contrôle de légalité essentiellement « formel » consistant pour le juge à examiner « si le parcours logique suivi par l’autorité dans sa décision

(…) est suffisamment cohérent et fiable »470. Cette tendance du contentieux de la régulation appelle naturellement le développement et la multiplication des garanties procédurales471, qui seront autant de points de contrôle sur lesquels le juge s’appuie pour valider ou non le raisonnement de l’autorité.

B – La procéduralisation de la fonction de régulation, foyer

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