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1. Cadre théorique

1.3. La mémoire épisodique

1.3.1. Définition

La mémoire épisodique est une composante du système général de mémoire à long terme (suivant l’approche des systèmes de mémoire multiples ; Schacter, Wagner, & Buckner, 2000), qui comprend également la mémoire sémantique, la mémoire procédurale, les systèmes de représentation perceptive et la mémoire autobiographique. Elle permet le

souvenir et la prise de conscience des événements personnellement vécus dans un contexte spatial et temporel particulier (Van der Linden, 2014). Par extension, la mémoire épisodique permet le voyage mental dans le temps, tant vers le passé lors de la récupération du souvenir d’un événement vécu, que vers l’avenir lors de la constitution de projections mentales vers le futur (i.e., la formation de représentations de ce que pourraient être nos expériences futures).

Le voyage mental dans le temps est associé à un état de conscience particulier, la conscience autonoétique, qui désigne la capacité de se représenter mentalement et de prendre conscience de ses expériences subjectives, en étant conscient du temps subjectif dans lequel ces expériences se sont produites (Tulving, 2002 ; Van der Linden, 2014). La capacité de voyager mentalement dans le temps est essentielle au sentiment d’identité et de continuité de l’existence.

Pour qu’un contenu mnésique puisse être ressenti comme épisodique, quatre capacités sont nécessaires (Klein, German, Cosmides, & Gabriel, 2004). La première est la capacité de réfléchir sur ses propres états mentaux. La deuxième est le sentiment d’être la cause de ses pensées et actions, que l’on nomme le sentiment d’agentivité personnelle. La troisième est le sentiment de propriété personnelle, qui consiste à ressentir ses pensées et actions comme étant à soi. Enfin, la dernière est la capacité de prendre conscience de la dimension temporelle de ses propres expériences.

Plusieurs processus sont impliqués dans le fonctionnement de la mémoire épisodique.

Le premier d’entre eux est l’encodage. Van der Linden (2014, pp.211-212) définit l’encodage comme « le processus par lequel les caractéristiques d’un stimulus ou d’un événement sont traitées et converties en une trace mnésique ». Cette trace mnésique serait plus solide en cas de traitement profond (i.e., sémantique) de l’information (Craik & Lockart, 1972).

L’encodage est également plus efficace et permet une récupération plus aisée lorsque le traitement de l’information revêt un caractère distinctif, et que l’information encodée est élaborée (i.e., une certaine quantité de traitement lui est accordée ; Lockart & Craik, 1990).

Plus concrètement, un encodage efficace repose sur l’utilisation d’un certain nombre de stratégies d’optimisation de l’encodage, telles que l’organisation, l’extraction de la structure ou la catégorisation du matériel à mémoriser (dans le cas d’un matériel au contenu signifiant), l’imagerie mentale ou encore les procédés mnémotechniques (imposition d’une signification à un matériel peu signifiant). À noter enfin que la trace mnésique ne contient pas uniquement l’information cible, mais aussi le contexte dans lequel l’information a été mise en mémoire (Van der Linden, 2014). Ce contexte constitue une caractéristique distinctive de l’information cible et peut donc constituer un indice de récupération. La récupération permet d’accéder à la

trace mnésique correcte et également de déduire des informations utiles à partir de celle-ci (Van der Linden, 2014). Selon le principe de spécificité d’encodage (Tulving, 1984) les opérations mises en place lors de la récupération doivent être identiques à celles employées lors de l’encodage pour que la récupération soit efficace. Autrement dit, pour qu’un indice de récupération soit efficace, il doit contenir une information ayant été encodée et donc faisant partie de la trace mnésique. Dans le cadre de ce travail, nous nous intéressons particulièrement au traitement de l’expérience vécue en référence aux buts personnels. C’est pourquoi nous nous arrêterons sur le modèle du Self Memory System de Conway (2005), qui est à ce jour une des conceptions les plus élaborées du fonctionnement de la mémoire épisodique en lien avec l’identité et les buts de l’individu.

1.3.2. Modèle de Conway

Dans la conception de Conway (2005), la cognition et tout particulièrement la mémoire sont guidées par les buts. Avant de présenter le modèle lui-même, il est nécessaire de définir deux principes en compétition qui régissent le fonctionnement de la mémoire des événements personnellement vécus. Le premier est le principe de correspondance, qui se rapporte à l’exigence du stockage précis – proche de l’expérience vécue – des activités récentes ou en cours, permettant de ne pas répéter des actions déjà effectuées (Conway, Singer, & Tagini, 2004). Ce principe est particulièrement lié à la réalisation des buts à court terme. Par exemple, si le matin en vous apprêtant à sortir, vous n’avez pas conservé en mémoire une trace précise du moment où vous avez fermé vos fenêtres, vous serez poussé à vérifier que vous avez bien effectué cette action.

Le second principe est celui de cohérence. Il correspond à l’exigence d’un enregistrement sur le long terme cohérent avec notre identité et stable. Les souvenirs épisodiques non pertinents pour le self (tels que la fermeture des fenêtres citée ci-dessus) ne restent facilement accessibles que pour une courte durée de temps. A l’inverse, les événements qui resteront accessibles à long terme sont ceux qui sont liés à nos buts actuels et à long terme, nos croyances et notre représentation de soi (Van der Linden, 2014). Les souvenirs de ce type nous renseignent sur nos buts à long terme et guident donc nos actions également sur le long terme. Il est important de préciser ici que ces souvenirs ne seront pas des reproductions fidèles de l’expérience vécue, mais plutôt des reconstructions basées d’une part sur certains éléments des événements tels qu’ils se sont déroulés, et d’autre part sur nos croyances, valeurs et buts actuels (conception constructiviste de la mémoire épisodique ; Schacter, Norman, & Koutstaal, 1998). Dans le modèle du Self-Memory System de Conway

(illustré à la Figure 2), le fonctionnement coordonné de trois systèmes permet de répondre aux exigences des principes de correspondance et cohérence : le self de travail, la mémoire épisodique et le self à long terme.

Figure 2. Représentation schématique du Self-Memory System (Conway, 2005, adapté par Van der Linden, 2014)

Le self de travail a pour première fonction de gérer la réalisation de nos buts à court terme. Il organise également le présent psychologique, conçu comme la période allant de la mise en place d’un but jusqu’à sa réalisation. On peut donc relier l’activité du self de travail à la notion d’événement telle qu’elle a été décrite plus haut, dans le cas d’événements correspondant à des activités personnellement réalisées. Il permet la mise en mémoire des différents moments psychologiques (définis par l’installation d’un but et une focalisation de l’attention durant l’accomplissement de ce but ; Van der Linden 2014) sous la forme de souvenirs épisodiques.

La mémoire épisodique est le système qui contient ces souvenirs épisodiques, qui consistent en des enregistrements résumés de l’expérience. Conway (2009) précise qu’ils sont proches de l’expérience et y correspondent mais ne sont pas pour autant des enregistrements littéraux de l’expérience vécue. Ils contiennent des détails de différentes natures (i.e., sensoriels, perceptifs, sémantiques et émotionnels) concernant les événements. Conway a par ailleurs proposé de distinguer trois types de représentations en mémoire épisodique : les éléments épisodiques, les souvenirs épisodiques simples et les souvenirs épisodiques complexes.

Les éléments épisodiques sont les représentations en mémoire à long terme les plus proches de l’expérience vécue. Ils sont souvent formés d’images visuelles. Lorsqu’un élément épisodique s’accompagne d’un cadre conceptuel, ils constituent ensemble un souvenir épisodique simple. Notons qu’un même cadre conceptuel peut être lié à plusieurs éléments épisodiques. L’accès à un souvenir épisodique simple peut être élicité par un indice de récupération portant soit sur le contenu de l’élément épisodique, soit sur le cadre conceptuel.

Cet accès peut être intentionnel (le plus souvent via le cadre conceptuel) ou non. Les souvenirs épisodiques simples peuvent être mis en lien avec les notions de correspondance et cohérence décrites plus haut. En effet, les éléments épisodiques correspondant plus ou moins directement à l’expérience vécue, ils remplissent une fonction proche du principe de correspondance. Le cadre conceptuel peut quant à lui être conçu comme un type d’interprétation des éléments épisodiques qui leur confère une signification personnelle, et se rapproche donc plus du principe de cohérence. L’association de plusieurs souvenirs épisodiques simples, partageant un cadre conceptuel d’un ordre plus élevé, constitue un souvenir épisodique complexe. Par exemple, les souvenirs épisodiques simples « suivre un cours », « déjeuner avec ses camarades » et « participer aux travaux pratiques » peuvent constituer le souvenir épisodique complexe de la journée d’un étudiant à l’université. Nous l’avons déjà évoqué, de nombreux souvenirs épisodiques sont formés au cours d’une journée (e.g., celui de la fermeture des fenêtres), mais seuls ceux qui ont une certaine pertinence par rapport à nos buts resteront aisément accessibles intentionnellement sur le long terme. Cette conservation de l’accessibilité volontaire du souvenir passe par son intégration au self à long terme.

Le self à long terme contient les connaissances nécessaires pour que le self de travail puisse organiser et mettre en œuvre la réalisation des buts. Il est constitué de deux sous-systèmes : la base de connaissances autobiographiques et le self conceptuel. La base de connaissances autobiographiques renferme des connaissances personnelles qui, en interaction avec la mémoire épisodique, permettent la génération des souvenirs autobiographiques. Les connaissances comprises dans cette base sont organisées en trois niveaux hiérarchiques. Le plus haut niveau est celui des récits de vie, et reflète la compréhension que nous avons de notre histoire de vie intégrée dans notre culture. Le second niveau, celui des périodes de vie, se réfère à des buts très globaux, et représentent donc des intervalles de temps relativement larges (i.e., plusieurs mois ou années). Enfin, le dernier niveau est celui des événements généraux, qui sont des catégories d’événements s’étendant sur un période de temps brève (i.e., quelques heures à quelques jours) ou organisés autour d’un thème commun.

Le self conceptuel contribue à l’organisation des unités hiérarchiques et thématiques de la base de connaissances autobiographiques. Il consiste en une connaissance personnelle abstraite (i.e., non reliée directement à un contexte) concernant les croyances sur soi, autrui et le monde, les attitudes et les valeurs d’un individu. Il permet aussi d’activer des souvenirs épisodiques spécifiques qui exemplifient ou illustrent lesdites croyances et valeurs.

Les souvenirs autobiographiques peuvent être définis comme des représentations mentales transitoires, composées à la fois de souvenirs épisodiques et de connaissances sémantiques sur sa vie et sur soi. Ils sont le fruit de l’interaction des trois systèmes définis ci-dessus : le self de travail, le self à long terme et le système de mémoire épisodique. S’agissant de représentations construites en partie sur la base des buts actuels de l’individu, les souvenirs autobiographiques ne sont pas immuables. Ils sont au contraire mis à jour et renouvelés à chaque réactivation. La récupération d’un souvenir autobiographique peut se dérouler selon deux processus distincts. Le premier est un processus intentionnel de récupération stratégique et cyclique : un contexte de récupération est établi, ce qui conduit à l’accès à des connaissances autobiographiques, et enfin à l’accès à l’épisode précis. Une évaluation est menée concernant l’épisode récupéré (s’agit-il bien de l’épisode recherché ?) et en fonction du résultat de cette évaluation, la récupération prend fin ou un nouveau cycle de récupération est mis en place. Le second processus pouvant mener à la récupération d’un souvenir autobiographique est spontané (i.e., non intentionnel). Il s’agit de la récupération directe qui se produit lorsqu’un individu est exposé à un indice externe suffisamment spécifique pour provoquer l’activation du souvenir.