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4. Discussion

4.1. Interprétation des résultats

Lien entre les deux tâches d’évaluation de la segmentation

Pour rappel, le premier objectif de ce projet était l’élaboration de deux tâches permettant l’évaluation des capacités de segmentation d’événements des individus. Nous nous attendions donc, lors de l’exploration, à observer une corrélation positive entre les scores obtenus par nos participants dans les deux tâches. Cela n’est malheureusement pas le cas. En effet, on constate même une corrélation négative tendancielle entre le score d’accord de segmentation et l’indice d’identification claire des frontières. Ce résultat suggère que nos deux tâches ne mesurent pas le même processus. En effet, nous aurions pu argumenter qu’elles mesuraient toutes deux les capacités de segmentation d’événements mais que l’existence d’autres facteurs entrant en jeu dans l’exécution de l’une ou l’autre tâche diminuait la force du lien entre les deux tâches si nous observions une corrélation (significative) faible mais positive. Ici, la présence de la tendance négative indique que l’objectif d’élaborer deux tâches d’évaluation d’un même processus n’a pas été atteint.

Notre tâche de segmentation de vidéos est une adaptation d’une procédure d’évaluation de la segmentation utilisée en recherche et nous ne pensons pas que les modifications que nous y avons apportées soient suffisantes pour que le processus évalué ne soit plus le même. Cela étant dit, il est possible que cette tâche ne sollicite pas exactement le même processus que la segmentation d’événements telle qu’elle est mise en jeu dans la vie quotidienne. Notamment, l’activité qui est segmentée dans la vie quotidienne est, la majeure partie du temps, l’activité propre de l’individu. Dans la tâche de segmentation de vidéos, l’activité à segmenter est celle d’un inconnu, que le participant observe sans avoir la possibilité d’interagir. Nous reviendrons sur ces aspects lorsque nous évoquerons les limites des tâches élaborées durant ce projet.

L’entretien clinique d’évaluation de la segmentation et l’indice d’identification claire des frontières qui y est associé ont quant à eux été construit sur des bases théoriques solides mais n’étaient pas directement dérivés d’une procédure expérimentale antérieure. Il est donc possible que l’indice d’identification claire des frontières cible un autre processus et ne

constitue finalement pas un indicateur des capacités de segmentation d’événements. Nous reviendrons également sur les limites de cette tâche dans la suite de ce travail.

Score d’accord de segmentation et mesures de la mémoire épisodique

Nous avions également fait l’hypothèse que nos deux mesures des capacités de segmentation (i.e., le score d’accord de segmentation et l’indice d’identification claire des frontières) prédisent les performances des participants aux tâches mesurant leurs capacités mnésiques pour des contenus segmentables, à savoir les scores de rappel généraux et détaillés des vidéos, le score à la tâche de reconnaissance d’images, les scores de rappels immédiat et différé du sous-test Mémoire Logique de la MEM-IV et les scores à la question générale et aux rubriques segmentables du QAM.

Nous commencerons par commenter les résultats obtenus relativement à la tâche de segmentation de vidéos et donc au score d’accord de segmentation. Lorsque la performance à une certaine mesure prédit les résultats obtenus à une autre, on observe nécessairement une corrélation entre deux. Or, dans notre échantillon, seul l’indice de rappel détaillé des vidéos était significativement corrélé avec le score d’accord de segmentation. Nous reviendrons sur les autres mesures des capacités mnésiques par la suite. Puisque le rappel détaillé des vidéos et l’accord de segmentation corrèlent, nous avons décidé de mener une analyse de régression linéaire multiple sur l’indice de rappel détaillé. En effet, nous cherchions à vérifier l’hypothèse selon laquelle le score à cet indice est prédit par le score d’accord de segmentation. Comme cela a été indiqué dans les résultats, nous avons ajouté au modèle de prédiction deux variables : le genre et le score total à la Mattis. L’effet du genre sur les mesures de mémoire épisodique est fréquemment relevé dans la littérature. Particulièrement, les femmes obtiennent généralement des performances supérieures à celles des hommes dans les tâches nécessitant le rappel d’un contenu de nature verbale ou qui peut être verbalisé (Herlitz & Rehnman, 2008). Dans notre cas, l’information présentée est visuelle (et dans une moindre mesure auditive) mais le rappel est verbal. La meilleure performance des femmes au rappel détaillé des vidéos, caractérisée par la corrélation positive entre cette variable et la variable de genre, cadre donc avec la littérature. Il nous a semblé pertinent d’inclure le genre afin de contrôler son effet sur notre variable d’intérêt. Concernant le score total à la Mattis, il a été inclus car il corrèle également avec l’indice de rappel détaillé et il permet de contrôler l’effet du fonctionnement cognitif global des participants. L’analyse a révélé que les trois variables prédisent significativement le score à l’indice de rappel détaillé. Le score d’accord de segmentation reste donc bien un prédicteur du rappel détaillé même lorsque l’on tient compte des effets du genre et du fonctionnement cognitif global. Ce résultat s’accorde avec

ceux de Bailey et collaborateurs (2013) et Sargent et collaborateurs (2013) qui montrent que l’accord de segmentation est un prédicteur de la mémoire des événements et suggère que la tâche telle que nous l’avons adaptée permet une évaluation satisfaisante des capacités de segmentation. Notons cependant que ce modèle n’explique que 52% de la variance des scores à l’indice de rappel détaillé. Près de la moitié de la variance de cette variable reste donc inexpliquée et d’autres facteurs sont certainement en jeu.

Concernant les autres mesures de mémoire épisodique, il n’y a pas de corrélation significative entre le score d’accord de segmentation et l’indice de rappel général des vidéos.

Ce résultat est relativement surprenant étant donné qu’il s’agit de deux mesures portant sur le traitement du contenu des mêmes vidéos. La segmentation d’événements étant un processus qui permet de structurer l’information à mettre en mémoire, nous pouvions supposer que de bonnes capacités de segmentation permettraient une extraction plus efficace de la structure globale de l’activité observée, et de ce fait une meilleure performance au rappel des événements généraux la composant. Cet effet n’est pas observé dans notre échantillon. Nous notons par ailleurs que le score à l’indice de rappel général est significativement corrélé aux autres mesures de performance mnésique de notre procédure : les scores de rappels immédiat et différé de la MEM-IV, respectivement r(31) = .353, p < .05 et r(31) = .393, p < .05, et le sous-score Mémoire de la Mattis, r(31) = .391, p < .05. Le score à l’indice de rappel général des vidéos semble donc être lié aux performances plus générales en mémoire épisodique et il est possible qu’il dépende plus d’autres processus sous-jacents au fonctionnement de la mémoire que du processus de segmentation d’événements.

Contrairement à nos attentes, nous n’observons pas non plus de corrélation significative entre le score d’accord de segmentation et le score à la tâche de reconnaissance d’images. La nature des « erreurs » contenues dans les images leurres pourrait être une piste pour expliquer ce résultat. En effet, ces images montrent presque toutes des actions qui ont réellement été effectuées par les acteurs de la vidéo. Ce qui les distingue des images vues, dans la plupart des cas, a trait à la chronologie des actions dans la vidéo. Concrètement, dans les images leurres, la présence ou l’absence de certains objets indique soit qu’une action a déjà été faite alors que dans la vidéo cette action suivait celle montrée dans l’image, soit qu’une action n’a pas encore été faite alors que dans la vidéo elle précédait celle montrée dans l’image. Par exemple, dans la vidéo de la préparation de la fête, l’homme dresse la table avant de commencer à décorer la pièce. Une des images leurres associée à cette vidéo montre l’homme en train de placer des décorations alors que la table n’est pas encore mise. Une bonne performance à la tâche de reconnaissance d’images implique donc surtout d’avoir bien

mémorisé l’ordre des différentes actions (événements) de chacune des vidéos. Or théoriquement, la segmentation d’événements permet la distinction des différents événements qui composent une activité, mais n’est pas directement impliquée dans la mémorisation de l’ordre de ces événements. La performance à la tâche de reconnaissance serait donc sous-tendue par d’autres mécanismes, inhérents à la mémorisation de l’ordre de la séquence temporelle des événements, plutôt que par le processus de segmentation d’événements lui-même. Rappelons cependant qu’empiriquement, le lien entre segmentation d’événements et mémoire de l’ordre des événements a été mis en évidence puisque les résultats de l’étude de Zacks et collaborateurs (2006) ont montré une corrélation significative entre l’accord de segmentation et la capacité à remettre dans l’ordre des images issues de la vidéo segmentée dans un groupe de participants âgés (M = 78 ans).

Le score d’accord de segmentation n’est pas non plus corrélé aux scores obtenus aux rappels immédiat et différé du sous-test Mémoire Logique de la MEM-IV. Nous avions choisi ce test parmi les batteries classiques d’évaluation de la mémoire épisodique car il s’agit d’un test de mémoire de récits, contenu que nous considérons comme étant segmentable. La nature segmentable de ce contenu nous menait à faire l’hypothèse que les capacités de segmentation des participants prédiraient la performance à ce test. Nous relevons cependant que la cotation des réponses à ce test porte principalement sur le rappel de détails isolés (e.g., le nom des personnes ou des lieux mentionnés dans les récits), le rappel du contexte n’étant généralement pas nécessaire. En d’autres termes, un participant pourrait rappeler une histoire totalement différente mais intégrant les mêmes éléments et obtenir une bonne part des points. Par exemple, l’histoire B relate les mésaventures d’une femme qui a été victime d’une attaque dans la rue, et qui le rapporte au poste de police de la mairie. Un participant qui rappellerait l’histoire d’un policier qui se promène dans la rue près de la mairie obtiendrait néanmoins des points pour la mention du policier, de la rue et de la mairie. Ainsi un rappel désorganisé, potentiellement lié à une difficulté à segmenter le récit, peut tout de même permettre d’obtenir un très bon score à ce test. Le mode de cotation semble donc être une explication possible pour l’absence de corrélation entre le score d’accord de segmentation et les scores de rappels immédiat et différé du sous-test Mémoire Logique.

Enfin, nos résultats ne révèlent pas non plus de corrélation significative entre le score d’accord de segmentation et les différentes rubriques du QAM. Nous nous attendions à ce que la réponse à la question générale et le score aux rubriques segmentables soient prédits par le score d’accord de segmentation. Deux interprétations sont possibles concernant ce résultat.

Tout d’abord, il se peut que les capacités de segmentation d’événements n’aient pas

l’importance que nous postulions dans le bon fonctionnement de la mémoire au quotidien (tant en général que pour les domaines des rubriques que nous avions sélectionnées).

Cependant, comme nous l’avons déjà évoqué, il est aussi possible que la performance lors de la segmentation d’une vidéo ne reflète pas tout à fait les capacités de segmentation d’un individu dans la vie quotidienne. Cela pourrait expliquer l’absence de corrélation avec les rubriques du QAM, qui porte sur la fréquence des difficultés mnésiques dans la vie de tous les jours. Concernant le score à la rubrique non-segmentable du QAM, le fait qu’il ne soit pas corrélé au score d’accord de segmentation correspond à nos attentes. Cependant, ce résultat devait être en contraste avec la corrélation attendue entre le score d’accord de segmentation et les autres rubriques du QAM. L’interprétation de ce résultat pris isolément paraît donc peut pertinente.

Score à l’indice d’identification claire des frontières et mesures de la mémoire épisodique

Nous n’observons aucune corrélation significative entre l’indice d’identification claire des frontières et les mesures de la mémoire épisodique utilisées dans notre étude. Nous ne relevons que deux corrélations tendancielles négatives : la première lie l’indice d’identification claire des frontières au score à la tâche de reconnaissance et la seconde au score aux rubriques segmentables du QAM. Notons que ces tendances négatives indiquent qu’un plus haut score à l’indice d’identification claire des frontières est associé à une moins bonne performance à la tâche de reconnaissance, mais également à un score plus bas au QAM, marquant une moindre fréquence autoreportée des difficultés mnésiques dans la vie quotidienne. Ces deux résultats paraissent relativement contradictoires et compte tenu de l’incertitude soulevée précédemment concernant le construit évalué par l’indice d’identification claire des frontières, sont difficiles à interpréter.

Lien entre les tâches d’évaluation de la segmentation et la mesure de la routinisation avec l’EPR

Notre dernière hypothèse portait sur le lien entre nos mesures des capacités de segmentation et le score à l’Echelle de Préférence de Routinisation. Ce questionnaire ne présentant pas une consistance interne acceptable dans notre échantillon, nous n’avons pas pu tester cette hypothèse.