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Médicalisation de la mort

Dans le document UNIVERSITÉ DU QUÉBEC (Page 18-22)

Chapitre 1. Problématique

1.3. Médicalisation de la mort

Hirsch & Bacqué (2004) mettent en exergue la tendance moderne à la médicalisation d’une période de la vie où les processus d’acceptation et de détachement devraient pourtant y être priorisés. En ce sens, l’essence de la médecine en soins palliatifs repose davantage dans le « devoir de compassion et de solidarité humaine devant la souffrance », que dans la pertinence de son arsenal technologique spécialisé (Nkulu Kabamba, 2011, p. 436).

Au Québec, entre 1997 et 2001, 43.3 % des personnes qui auraient pu avoir accès aux soins palliatifs ont eu au moins un contact avec l’urgence dans les deux dernières semaines de leur vie, alors que les urgences sont la porte d’entrée pour 78.7 % des hospitalisations menant au décès (Bédard et al., 2006). Les personnes admises en centre hospitalier « décèdent souvent dans les lits dits de soins aigus. Elles reçoivent des soins [...] généralement sans approche palliative et sans égard à l'intensité requise des services de fin de vie. » (Saint-Arnaud, Gratton, Hudon & Routhier, 2007, p. 87).

Il convient ici de définir en quoi consiste l’approche palliative à laquelle les auteurs réfèrent. Cette philosophie de soins encourage la collaboration inter et multidisciplinaire, en plus de mettre à contribution l’environnement social de la personne malade afin d’améliorer sa qualité de vie (Bruera & Castro, 2003). L’espace accordé à l’échange, à la communication et au dialogue y est fondamental. La valeur du temps y est reconnue, de même que la participation de la personne aux décisions la concernant (Foley, 2010). De l’avis de Bruera & Castro (2003), l’approche palliative devrait être privilégiée précocement dans le parcours de la maladie, elle pourrait alors contribuer à la qualité de vie des malades, enrichir les trajectoires de soins, voire allonger la vie.

En contrepartie, la peur de la population en regard de la nature des soins palliatifs et la méconnaissance généralisée quant à ses bénéfices portent préjudice à leur déploiement.

De multiples mythes, peurs et représentations en lien avec l’approche et les soins palliatifs sont dénombrés dans la littérature. Les malades, leurs proches, mais aussi les

professionnels, en ont une connaissance sommaire et parfois erronée (Allard, Aubin, Bergeron, Lemieux & Vézina, 2001 ; Bionaz & Muzi, 2005 ; Dany, Duffaud, Favre, Rousset & Salas, 2009 ; Marsella, 2009). En ignorant les fondements de l’approche palliative, en se méprenant sur ses valeurs et sa mission, les personnes malades ne peuvent défendre leur accès aux soins palliatifs, tandis que les soignants peuvent difficilement en faire la promotion. Dans une organisation des soins dominée par l’approche curative, par la parcellisation des malades et l’investissement des nouvelles technologies, l’approche palliative revendique, au travers une démarche holistique des soins, les valeurs de respect et de considération.

Sharon Kaufman (2015), anthropologue médicale, dénonce la tendance occidentale à retarder la mort par une panoplie de traitements complexes, intrusifs et coûteux. L’auteure estime qu’aux États-Unis, près de 25% de tous les malades hospitalisés sont traités aux soins intensifs avant leur mort, y compris les personnes en phase terminale.

En 2013, la Société canadienne du cancer a réalisé une recherche par entretiens qualitatifs auprès de professionnels, de proches et de bénévoles ayant vécu de près l’accompagnement en fin de vie. Parmi les témoignages recueillis, celui d’un gestionnaire en soins palliatifs : « Les pires souvenirs sont ceux des malades que nous avons accompagnés et enveloppés pendant des semaines et qui se retrouvent à mourir seuls ou presque dans le brouhaha d’une urgence. » (p.1).

Une étude menée par Daneault, Dion, Hudon, Mongeau, Paillé, Yelle, & Lussier (2002) mentionne que la durée de la prise en charge palliative s’est considérablement écourtée depuis les années 1980 au Québec. En exemple, l’unité de soins palliatifs de l’Hôpital Notre-Dame accueillait en 1982 les malades sur une période qui dépassait les quatorze jours, alors qu’elle se situe tout au plus à neuf jours d’hébergement dans les années 2000. On constate que le resserrement des critères d’admission aux soins palliatifs est considéré comme une condition de réussite et d’atteinte des objectifs pour les instances publiques. Parmi d’autres, le territoire des Laurentides propose de resserrer les critères à un mois plutôt que trois mois l’admission des personnes dans les maisons de soins palliatifs pour atteindre les cibles gouvernementales fixées par l’Agence de santé et de services sociaux des Laurentides (2007). Le temps, contrainte sine qua non de la démarche éthique et du contexte palliatif, demeure incompatible avec les pratiques institutionnelles

contemporaines, modelées par la médicalisation de la mort et les visées de performance promues par la nouvelle gestion publique (Tremblay, 2008).

Les orientations du Plan de développement 2015-2020 en soins palliatifs et de fin de vie (MSSS, 2015) sont essentiellement les mêmes que celles proposées en 2004. Les visées réfèrent aux décisions centrées sur la personne, au patient partenaire, au travail multidisciplinaire, à la formation académique et continue des professionnels, à l’accessibilité, à la continuité de soins et au choix du domicile (MSSS, 2015). Illustre médecin en la matière, le docteur Serge Daneault a collaboré à la rédaction de la Politique en soins palliatifs et de fin de vie (MSSS, 2004). Pour lui, les avancées réalisées depuis 2004 à l’égard des personnes mourantes et de leurs proches sont modestes et motivent l’itération des objectifs (Daneault, 2011). Néanmoins, une distinction substantielle s’impose entre les deux documents ministériels3 et occupe la priorité à atteindre dans le plan d’action de 2015-2020 : « Assurer l’accès à l’aide médicale à mourir. » (MSSS, 2015, p. 26). En privilégiant l’alternative euthanasique au déploiement des soins palliatifs, les orientations adoptées soulèvent un questionnement réel sur les intentions politiques et l’investissement solidaire de notre gouvernement à l’égard des plus vulnérables (Boitte, 2002 ; Grenier, 2011a).

Les soins palliatifs forment à eux seuls un véritable univers social (Baszanger, 1995).

Or, le mouvement paradoxal de médicalisation du mourir contemporain porte atteinte à l’essence fondamentale de la mort et de ce qui la précède (Moulin, 2000). De l’avis de Doucet (1998), « le renouveau de l’éthique médicale […] n’a pas permis d’humaniser la médecine au point que celle-ci devienne centrée sur la personne. » (p. 143). Pour ce théologien, repousser sans cesse la maladie et chercher à combattre la mort à tout prix demeure une orientation sans issue, coûteuse et impossible à soutenir socialement. Il invite plutôt à réfléchir à la considération et à la compassion qui doivent être adressées aux personnes vulnérables acculées devant la mort. Apprivoiser cette dernière, aujourd’hui redoutée comme la « Grande Ennemie » (Doucet, 1998, p. 134), constituerait une transformation sociale conséquente à l’éthique de la communauté promue par Edgar Morin

3 La Politique en soins palliatifs et de fin de vie (MSSS, 2004) et le Plan de développement 2015-2020 en soins palliatifs et de fin de vie (MSSS, 2015) sont deux documents faisant état des objectifs sur le déploiement des soins palliatifs et de fin de vie au Québec.

(2004). Morin croit que le « sens de la communauté » est foncièrement humain et ancré dans l’espèce (Cyrulnik & Morin, 2000, p. 50). L’autonomie et les libertés individuelles engendrent des risques pour l’équilibre social, alors que l’expression d’une éthique de la communauté accroît la responsabilité citoyenne, renforcit les liens, pousse l’initiative et la créativité. Une réponse créative aux enjeux globaux protège les intérêts des membres d’une société, elle contribue à son développement et à sa pérennité.

En somme, plusieurs éléments se dégagent de la problématique sur les soins de fin de vie. L’accessibilité aux soins palliatifs, la disponibilité des professionnels et la pertinence des ressources offertes sont des facteurs substantiels à considérer dans l’expérience des personnes malades. Les valeurs et la compréhension des différents acteurs quant aux traitements disponibles doivent être discutées, le mouvement et les intentions pour la médicalisation de la mort devraient être questionnés pour que soit confirmée sa légitimité. Les soins de fin de vie, plus particulièrement la légalisation de l’aide médicale à mourir, soulèvent de nombreux questionnements sociaux, politiques, juridiques et éthiques auxquels il faut s’attarder. Ces multiples composantes influencent la direction donnée à cette recherche. Orientés selon la perspective du travail social, les objectifs proposent une réflexion sur le déploiement des ressources adaptées aux populations vulnérables en regard de l’aide médicale à mourir.

Dans le document UNIVERSITÉ DU QUÉBEC (Page 18-22)