PARTIE III : Les adolescents français, l’École et la culture numérique
Chapitre 4 ‐ Le numérique et les jeunes, une dynamique culturelle
4.1 La culture de l’individu (rang A)
4.1.3 Médiation praxéologique (Cellule A3)
dommage que les livres comme les dictionnaires sont un peu mangés par internet » (Denitz).
4.1.3 Médiation praxéologique (cellule A3)
Les technologies numériques modifient‐elles les conditions de l’action. C’est une banalité de le dire. Encore faut‐il caractériser ces transformations.
Reterritorialisation virtuelle de l’action (de formation, d’enseignement et d’apprentissage)
L’institution scolaire est un exemple très explicite de territorialisation de l’École. Hors de l’École, un jeune est un jeune, à l’École il devient un élève. Les enseignants agissent à l’intérieur du périmètre scolaire et les parents à l’extérieur. Le territoire de l’École dans sa forme scolaire traditionnelle trace ainsi des frontières qui définissent qui fait quoi, où et quand. La classique mais heuristique comparaison de cette forme scolaire avec le théâtre classique (unités de temps, de lieu et d’action) n’a jamais été parfaite qu’observée à distance.
Pourtant, si les devoirs à la maison, les cahiers de vacances ont toujours constitué des écarts à ce modèle, ils n’étaient que les exceptions qui confirment la règle, les anomalies qui rendent la norme plus forte et visible. Les déclarations des jeunes et leurs pratiques de même que les discours et les actes des enseignants montrent combien les technologies numériques déstabilisent la forme scolaire. Des usages privés du téléphone mobile en classe (en septembre 2009, 29% des collégiens et 58% des lycéens déclarent l’utiliser en classe81) aux travaux de groupe auto‐organisés en soirée par les élèves pour réaliser les devoirs à la maison (déclaration fréquente des adolescents de notre étude), les technologies numériques sont mobilisées pour transcender les impératifs de lieu et d’espace. Cet impact des technologies que l’on peut qualifier de « quasi‐effet » tellement il est systématique, est assez bien connu, très documenté et se vérifie dans tous les groupes sociaux et toutes les catégories d’âges. Procédant à une analyse des caractéristiques du « temps électronique », Philippe Naccache et Bertrand Urien (2006, pp. 6‐7), listent six dimensions des transformations qu’il opère sur nos comportements et nos activités. Ces auteurs relèvent en premier lieu « l’éviction des bornes traditionnelles des temps sociaux » et notamment celles qui séparent le temps professionnel et le temps personnel pour les adultes ou bien le temps scolaire et le temps non scolaire pour les adolescents. Ils évoquent également la désynchronisation du temps électronique avec les repères naturels du temps (jour/nuit par exemple), la compression des distances temporelles (temps indépendant de la distance), la création d’une fracture temporelle qui marque la possibilité pour un individu d’être rythmé sur une zone temporelle distincte de celle dans laquelle il réside, la possibilité de manipuler le temps le l’horloge (regarder les informations télévisées en décalé par exemple) et
81 Source : Enquête TNS‐SOFRES, http://www.tns‐sofres.com/_assets/files/2009.10.06‐ados‐mobiles.pdf (document consulté le 13 juin 2011)
augmenter les phénomènes de simultanéité. Les modifications du rapport au temps et à l’espace sont étroitement liées. Selon Laurence Le Douarin (2007, p. 142), « les salariés peuvent désormais travailler partout. Et puisqu’ils peuvent travailler partout, ils peuvent également travailler tout le temps... La question reste de savoir si les impératifs du travail vont s’infiltrer dans tous les moments de l’existence ou si, par leurs pratiques, les salariés vont inventer de nouvelles limites entre la sphère professionnelle et la sphère privée ». La même étude montre que la dotation d’un personnel en mobile ou portable se traduit par une perméabilité des sphères professionnelle et familière à double sens. L’activité professionnelle se poursuit à la maison et, de la même façon, le temps professionnel devient l’occasion d’activités à caractère privé.
Ce que rapporte Laurence Le Douarin au sujet de l’entreprise est observé également à l’École. Nous avons déjà rendu compte de l’usage intensif des technologies numériques fait par les enseignants pour préparer leurs enseignements82. Nous avons également rapporté l’usage fait par les élèves des outils de communication à leur disposition pour rester connectés à leurs amis et résoudre ensemble les difficultés du travail scolaire du soir. Alors que les technologies numériques semblent fortement concourir à l’éclatement de la forme scolaire traditionnelle sans que ces évolutions ne soient choisies ni même maîtrisées par l’institution scolaire, on observe également une tentative de reterritorialisation de l’École, au moyen des technologies. Sylvian Genevois et Françoise Poyet (2011), analysant le déploiement des espaces numériques de travail (ENT) dans les collèges des départements de l’Isère et de l’Auvergne, envisagent les ENT comme des dispositifs techno‐pédagogiques au sens proposé par Daniel Peraya (1999) et font l’hypothèse qu’ils permettent d’envisager une école « étendue ». L’extension de l’École que les auteurs discutent fait apparaître les ENT comme une promesse faite aux acteurs de pouvoir reconfigurer leur territoire et réorganiser leurs activités.
Rappelons à ce stade la définition institutionnelle de l’Espace Numérique de Travail (ENT) fournie par le ministère de l’Éducation Nationale sur son site web EDUCNET83. L’ENT y est présenté comme « un ensemble intégré de services numériques, choisi, organisé et mis à disposition de la communauté éducative84 par l’établissement scolaire ». Les spécifications fonctionnelles et techniques des ENT ont été définies d’abord dans une première version du Schéma Directeur des Espaces numériques de Travail (SDET) publié en janvier 2004 puis mise à jour et précisées dans une deuxième version du SDET85 en novembre 2006. C’est
82 Source : Benchmarking Access and Use of ICT in European Schools 2006. Final Report from Head Teacher and Classroom Teacher Surveys in 27 European Countries,
http://ec.europa.eu/information_society/eeurope/i2010/docs/studies/final_report_3.pdf (site consulté le 9 mais 2010)
83 Source : www.educnet.education.fr/services/ent/scolaire/defi‐ent (site consulté le 25 février 2011)
84 Le périmètre considéré ici intègre explicitement les élèves, leurs parents, les enseignants et les autres personnels des établissements scolaires à commencer par les cadres.
85 Source : ftp://trf.education.gouv.fr/pub/educnet/chrgt/sdet/SDET_v2.0.pdf (site consulté de 25 février 2011)
cette base normative qui encadre ou doit encadrer le développement des ENT, retenus le plus souvent par les collectivités pour en doter l’ensemble des établissements dont elles assurent l’équipement. Cette approche vise à garantir la cohérence des services proposés et l’interopérabilité des plateformes.
S’appuyant sur plusieurs travaux de terrain dont ceux relatifs aux mémoires de recherche de master de Myriam Candelon (2005) et de Chao Nguyen (2009), une hypothèse différente de celle de l’École étendue se fait jour. Elle porte sur le recours aux technologies comme moyen de maintenir la forme scolaire traditionnelle. D’un côté, on observe que les discours relatifs aux ENT, notamment lorsqu’ils sont portés par les collectivités territoriales mais aussi par les établissements publics d’enseignement scolaire (EPLE) eux‐mêmes, accréditent l’hypothèse d’une intention de recourir aux ENT pour dépasser les contraintes de la forme scolaire. Pour la « trans‐former ». Il s’agit là d’étendre le temps et l’espace scolaire ou de favoriser de nouvelles modalités d’apprentissage, plus interdisciplinaires et plus collaboratives. Au fond, ces révisions visent toutes l’efficacité des apprentissages. D’un autre côté, les services de l’Etat définissent les spécificités fonctionnelles des ENT en référence à la forme scolaire traditionnelle. On y retrouve aussi bien la séparation des statuts (attribution de rôles : élève, enseignant, parent, administratif … ) que l’identification des fonctions les plus symboliques (contrôle des absences, cahier de texte … ).
Ainsi l’ENT de l’établissement participe‐t‐il de ce cadre dont les anthropologues comme (Bateson, 1977) ou (Goffman, 1991) ont montré qu’il contribue à notre représentation de la réalité et influence nos comportements alors même qu’il passe le plus souvent totalement inaperçu. Les choix de conception des ENT, dont il faut rappeler qu’ils n’ont pas été effectués par les usagers, fournissent des orientations propres non seulement à l’organisation et à la conduite concrètes des activités scolaires mais aussi à l’instauration et au respect d’une forme scolaire particulière. En quelque sorte, c’est une vision de l’École qui est livrée clés en main et installée dans l’établissement scolaire. Une vision qui a été délibérément ou non incorporée aux ENT (Cerisier, 2010).
Autrement dit, la forme scolaire a servi de matrice à la conception des ENT. Là où l’on évoque l’École augmentée ou bien l’École étendue, comme des formes scolaires nouvelles, transformées par les possibilités offertes par les technologies, l’ENT installe le plus souvent la structure traditionnelle de l’École dans l’espace numérique. Face à une concurrence commerciale qui se développe ‐la plupart des officines privées de soutien scolaire disposant de services en ligne‐ l’École investit les réseaux en s’y affichant de la façon la plus classique.
Au‐delà de la nature des services en ligne proposés par les ENT, il n’est pas neutre de constater que la plupart des établissements scolaires choisissent une photographie des bâtiments comme identité visuelle. Nous formulons l’hypothèse que c’est à une tentative de reterritorialisation que nous assistons au cours de laquelle l’École cherche à se projeter hors de son territoire physique pour conserver son intégrité. Contrairement à d’autres hypothèses avancées, les technologies numériques ne seraient donc pas seulement ici les
ferments de changements annoncés mais aussi les instruments d’un conservatisme institutionnel.
Pourtant, les caractéristiques des technologies quant aux médiations qu’elles opèrent et en particulier dans le registre praxéologique rendent incertaine une telle instrumentation. Le décalque d’un établissement scolaire en sa version virtuelle en modifie sensiblement les propriétés. Le contrat pédagogique (Brousseau, 1988) par exemple, jusqu’alors essentiellement tacite se formalise et s’affiche. Difficile par exemple de cacher à ses parents la tâche prescrite par l’enseignant lorsque le cahier de texte est en accès partagé.
Réciproquement l’enseignant est davantage exposé dans sa relation aux parents. Celle‐ci se trouve réifiée par le dispositif au risque de perdre toutes les possibilités d’agencement et de négociation indispensables au fonctionnement du système. S’il est possible d’imaginer d’autres voies pour concevoir, développer et mettre en œuvre des espaces numériques de travail au service d’une redéfinition de l’École, les choix qui président actuellement à l’élaboration de ces dispositifs dont on pressent qu’ils sont appelés à jouer un rôle grandissant, les cantonnent au maintien de la norme.
Nous avons par ailleurs montré dans le chapitre n°2 que les technologies jouaient un rôle essentiel pour les jeunes afin de construire et d’investir des espaces privatifs individuels ou collectifs qui leur étaient quasiment refusés par ailleurs. Cette démarche relève également d’une logique de conquête de territoires réels bien que virtuels. Ces possibilités offertes par les technologies numériques de s’affranchir des contraintes du monde réel physique ont des répercussions dans la vie quotidienne. Dans un article du supplément hebdomadaire au quotidien Le Monde du 26 février 2011, Delphine Lescuyer témoigne : « Le dimanche après‐
midi, balade à vélo. L’aîné prie pour qu’il pleuve » (Krémer, 2011). Vie familiale et vie amicale autrefois assez strictement sectorisées ne le sont plus et les rencontres virtuelles via internet concurrencent fortement l’organisation familiale. Le contrôle parental sur l’organisation du temps personnel des jeunes qui s’exerçait naturellement par l’appariement des activités avec les temps et les lieux n’est plus. La marge de liberté interstitielle que les jeunes conquéraient en obtenant d’une façon ou d’une autre des « permissions de sortie » de l’espace familial a changé de nature. La reterritorialisation partiellement virtuelle de leurs activités peut s’exercer dans une sorte de superposition. Il ne s’agit plus systématiquement de quitter la maison ou de trouver le temps pour s’en échapper, d’autres formes de vie personnelle ou sociale pouvant être vécues en parallèle de la vie familiale. Les prémisses de ces comportements ont été observées depuis plusieurs années, avec la télévision bien sûr mais aussi avec la téléphonie. Dans un article publié en 1997, Michel Fize montrait l’importance que le téléphone (fixe, faut‐il le rappeler) jouait dans la vie sociale des adolescents (Fize, 1997). Il signalait aussi que pour plus de la moitié des adolescents interrogés, l’usage (intensif) du téléphone était une source de tensions, voire de conflits avec leurs parents. L’évolution des technologies et de leurs usages a déplacé les difficultés. D’une certaine façon le téléphone est devenu durant les décennies 80 et plus encore 90, un moyen d’émancipation pour les jeunes mais aussi un moyen de contrôle pour leurs parents. La
téléphonie mobile, d’autant plus lorsqu’elle embarque un accès aux services internet, étend la liberté d’agir offertes aux jeunes tout en bouleversant les possibilités de contrôle. D’un côté, les parents ont désormais pratiquement perdu la possibilité de contrôler les usages que leurs enfants font du téléphone. D’un autre, l’équipement initial des enfants en téléphone mobile par leurs parents répond le plus souvent au souhait des parents d’assurer la sécurité de leurs enfants en disposant d’un moyen de les joindre quel que soit le moment et où qu’ils soient. Il est aussi l’un des principaux instruments au service de l’organisation de la vie quotidienne de la famille. Au point que dans l’ouvrage qu’elles ont consacré à ce sujet, Anne Jarrigeon et Joëlle Menrath comparent le téléphone mobile au cordon ombilical (2005). Finalement, et comme le souligne le travail de Corinne Martin, les usages du téléphone mobile s’inscrivent dans la relation dialectique entre la construction de l’autonomie des jeunes et l’exercice du contrôle social de leurs parents (2003). De la même façon, le téléphone portable et, plus largement, les technologies numériques exposent la relation scolaire aux mêmes tensions.
« Multitasking » ou « attention partielle continue » ?
Observations du comportement des jeunes et entretiens avec eux comme avec leurs parents ou leurs enseignants convergent pour souligner l’organisation apparemment multitâche de leurs activités, notamment en ce qui concerne l’usage des médias. Plusieurs études récentes posent cette question des usages simultanés des médias par les jeunes. Celle dirigée par Nick Thomas en 2009 (cabinet Forrester86) concerne le comportement des jeunes européens sur la base d’un échantillon de 1400 internautes âgés de 12 à 17 ans. Les données relatives à la strate française de l’échantillon semblent accréditer cette hypothèse du comportement multitâche. Différents indicateurs en témoignent qui montrent qu’environ un jeune français sur deux écoute de la musique en navigant sur internet, téléphone tout en navigant, regarde la télévision en consultant des sites web, discute de ce qu’il est en train de visionner à la télévision avec ses amis par chat ou envoie des SMS alors qu’ils sont en ligne.
Là encore, ce que révèle l’enquête doit être compris comme le renforcement de tropismes déjà observés dont le développement est favorisé par les évolutions de l’environnement technologique de chacun. Ainsi, le travail sociologique datant d’une vingtaine d’années, souvent cité, d’Olivier Schwartz (1990) sur les familles ouvrières du nord de la France, et repris dans les recherches sur les pratiques médiatiques des jeunes, notamment par Dominique Pasquier et Josiane Jouët (1999), montre que la télévision, constamment allumée à certains domiciles constitue le fond médiatique de toutes les autres activités de la famille.
Olivier Schartz, évoque ainsi la télévision comme la « grande divinité du foyer ». De même, les usages du walkman des années 80 et 90 ont fait l’objet de nombreuses craintes de la part des adultes à l’égard des adolescents, autant en raison des possibilités qu’ils offrent de s’extraire de la vie sociale que des comportements multitâches qu’il instrumente (Piolle,
86 Source : http://www.forrester.com/go?docid=53763 (site consulté le 3 mars 2011)
1990). La concurrence de l’attention portée à la musique et de celle attribuée aux devoirs scolaires a ainsi fait l’objet de différents travaux et publications depuis des années en interrogeant l’ouverture que l’École doit réserver à ces technologies et aux évolutions comportementales qu’elles instrumentent. C’est par exemple le sens du questionnement d’Alain Michel et Françoise Leblond (1994) qui se demandaient en 1994 si la télévision, les baladeurs et les jeux vidéos devaient être considérés comme des parasites de l’École ou bien, au contraire, comme des auxiliaires. Quelques chercheurs font valoir l’hypothèse d’une évolution du contrôle des processus cognitifs vers un ordonnancement effectivement multitâche. Pourtant la presque totalité des travaux disponibles montre qu’il ne s’agit pas de processus multitâches mais d’un partage d’attention entre des tâches concourantes dont certaines continuent à se dérouler en l’absence de tout contrôle (affichage d’une page web, flux télévisuel, musical, radiophonique ou téléphonique … ). Il ne s’agit donc pas d’exécution parallèle de tâche mais de temps partagé. Considérant que le temps ainsi partagé est une quantité finie et que le temps consommé pour gérer l’allocation de l’attention est notable, on peut en déduire une baisse significative de performance pour chacune des tâches. Observé d’un autre point de vue, ce type de comportement permet la réalisation de tâches concurrentes qui ne sauraient l’être si elles faisaient l’objet d’une réalisation séquentielle (regarder attentivement toute l’émission de télévision puis appeler ses amis puis réaliser la recherche d’information relative au cours puis … ). L’efficacité de cette organisation, au sens du niveau de performance qui lui est associée dépend de deux facteurs : la nature des résultats escomptés et la maîtrise des compétences spécifiques requises. L’un et l’autre relèvent d’évolutions marquantes de notre culture tant dans sa dimension individuelle que relativement à l’image que nous nous construisons du monde et à nos patterns culturels. Les comportements identifiés comme multitâches, même s’ils ne le sont pas réellement, sont considérés comme caractéristiques de nos sociétés. Selon les points de vue (qui parle et de qui parle‐t‐il ?), ces comportements acquièrent une valeur positive d’efficacité ou, au contraire de dispersion de l’activité de l’individu. Positives ou non, ces valeurs sont attachées au rôle que jouent les technologies numériques dans les perspectives économiques néolibérales. Ce qui est vrai des adultes l’est aussi en ce qui concerne les jeunes. Ils se disent multitâches, dénient l’impact de ce comportement sur l’attention portée à chacune des tâches. Pour l’essentiel d’entre eux, il s’agit d’une qualité propre à la jeunesse, qui les différencie doublement de leurs aînés, à la fois au sens de l’âge et au sens générationnel. Leurs parents, en revanche, s’ils se disent souvent impressionnés par cette compétence qu’ils n’auraient pas eux mêmes, redoutent d’éventuelles conséquences négatives sur les apprentissages de leurs enfants. C’est pourquoi l’identification du partage attentionnel et temporel au multitâche relève peut‐être moins d’une erreur d’analyse que de l’intention qu’ont certains de valoriser voire de magnifier, ou bien au contraire de stigmatiser et de redouter ces comportements. Pour les resituer dans la réalité des processus cognitifs qui les caractérisent, il conviendra sans doute d’abandonner le terme multitâche pour emprunter par exemple la formule proposée dès 1998 par Linda Stone (2009) qui préfère parler « d’attention partielle continue ». Bien au‐delà de cette discussion
terminologique qui révèle pourtant la portée culturelle et sociale de la question, l’interrogation sur l’efficacité de la conduite pseudo‐multitâche de l’activité reste posée.
Rapportée à celle du rôle de l’École dans l’acculturation numérique des jeunes, on peut observer d’une part que la forme scolaire est radicalement éloignée dans ses intentions de toute approche multitâche et que, d’autre part, cette dimension des usages des technologies numériques ne fait l’objet d’aucune entrée spécifique dans le référentiel des compétences du B2i. Pourtant, si tout indique que l’attention partielle continue est autant une exigence de nos modes actuels de vie et de travail qu’une des conséquences du déploiement massif de l’usage des technologies de l’information et de la communication, rien ne dit que les compétences que cela engage ne nécessitent aucun apprentissage. Comment ne pas être tenté de formuler l’hypothèse que ce type d’apprentissage (planification de l’attention) constitue l’un des défis majeurs des systèmes éducatifs actuels ?
Immanence de l’information versus mémorisation
« Internet, c’est le Monde au bout des doigts » a‐t‐on prophétisé à la fin des années 90. Illusion
« Internet, c’est le Monde au bout des doigts » a‐t‐on prophétisé à la fin des années 90. Illusion