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A. Mesures actuelles : les mesures curatives

2) La médiation

En plus du constat selon lequel « le procès tend à exacerber les conflits plutôt qu’à les atténuer »124, certains auteurs relèvent que « le temps est un facteur très important lorsqu’il s’agit de résoudre les conflits parentaux ; les interventions les plus rapides étant les plus efficaces »125. En conséquence, un mode alternatif de résolution des conflits, s’inscrivant dans un courant de déjudiciarisation du contentieux, a été mis en place dès la fin des années 1980 en Suisse (et dans d’autres pays) : la médiation126.

Il s’agit d’un processus127 qui offre la possibilité aux médiés (chaque parent) de (re)trouver un pouvoir de décision, en ce sens que « le conflit est replacé entre les mains des différents protagonistes afin qu’ils se libèrent eux-mêmes et en toute responsabilité de leur désaccord »128. Les parents sont « maîtres » de la situation. L’accord trouvé entre les père et mère quant au sujet du sort des enfants sera exécuté parce que décidé et accepté par chacun d’entre eux.

La médiation, à la différence de la négociation, fait intervenir un tiers : le médiateur. Ce dernier est neutre, impartial et indépendant129. Son rôle consiste à encourager, à travers des entretiens, les parents à la collaboration plutôt que la compétition, leur permettre de rétablir un dialogue et prendre des décisions ensemble130. Son intervention consiste en l’encadrement des réunions, en rappelant que les mots d’ordre sont « respect mutuel, [respect] du temps de parole, [respect] des opinions de l’autre »131. Les déclarations des parents sont confidentielles en ce sens qu’elles ne peuvent « pas être prises en compte dans le cadre de la procédure judiciaire en cas d’échec de la médiation »132.

Les enfants peuvent aussi intervenir dans la médiation. Dans cette configuration, le médiateur doit veiller à ce qu’il n’y ait pas instrumentalisation par les parents de leur progéniture133.

122 REISER, p. 88 : « qui perd perd ».

123 JACOTTET TISSOT, p. 126.

124 COTTIER et al., p. 45.

125 ZOBRIST/WIDER/SIBOLD, p. 492.

126 FREIH, p. 7. La médiation est inscrite dans le Code de procédure civile di 19 décembre 2008 (RS.272) aux art. 213 ss CPC, et à l’art. 297 al. 2 CPC pour ce qui concerne la procédure familiale.

127 Ce processus peut être prévu, soit en tant que première étape d’une procédure judiciaire et, dans ce cas, il s’agit d’une « mesure pré-judiciaire », soit hors contexte judiciaire et, dans ce cas, il s’agit d’une « mesure extra-judiciaire ».

128 MANTILLA, p. 336.

129 DUTOIT, p. 67.

130 COTTIER, et al., ibidem.

131 COTTIER et al., ibidem ; FREIH, ibidem.

132 SAUTHIER, p. 181.

133 SAUTHIER, p. 185 et référence citée.

Généralement, pour les parents pris dans séparation hautement conflictuelle, la médiation n’est pas conseillée, car les médiateurs seront utilisés par un parent (ou les deux) comme moyen supplémentaire de destruction de l’autre parent134.

Ce qui caractérise la médiation en Suisse est qu’elle repose sur une base volontaire des parents. Ceux-ci sont libres d’y prendre part et peuvent y mettre un terme en tout temps135, y compris dans un contexte judiciaire dans lequel le juge aurait proposé aux parties une telle alternative136.

Ce processus présente des avantages certains, car il « permet aux [parents] de régler leur conflit dans sa globalité, avec tous ses aspects, y compris les émotions, préoccupations, motivations, besoins, valeurs et intérêts, lesquels ne sont pas nécessairement pris en compte dans la justice traditionnelle »137 faute d’avoir « une pertinence en droit » 138. De plus, la Fédération Suisse des Associations de Médiation a publié un rapport en 2014, selon lequel environ 75% des affaires familiales traitées par le biais de la médiation sont résolues en l’espace de deux à six mois139.

Compte tenu des bénéfices que peut apporter ce processus, il est légitime de se demander s’il ne serait pas préférable de le rendre obligatoire. Selon l’art. 297 al. 2 CPC « [le tribunal] peut exhorter les parents à tenter une médiation ». Ce n’est qu’un encouragement à la médiation, prévu aussi dans le cadre de la protection de l’enfant à l’art. 314 al. 2 CC, et non une obligation à s’y soumettre140. Une exception a toutefois été admise par le Tribunal fédéral dans un arrêt de 2009141.

Dans cette affaire un couple non marié, vivant dans le canton de Thurgovie, a donné naissance à quatre enfants âgés entre seize et onze ans (au moment du jugement). Une convention réglant les relations personnelles (art. 273 CC) entre le père et les quatre enfants a été passée entre les parents et approuvée par l’autorité tutélaire. Le père a adressé à cette même autorité une première demande d’institution d’une curatelle de surveillance des relations personnelles (art. 308 al. 2 CC) en 2005 avant de la retirer, puis une seconde en 2007 proposant en plus une médiation imposée. La demande de la curatelle de droit de visite a été rejetée mais la mère a été appelée à respecter la convention précitée et exhortée à participer à une médiation. Un recours a été déposé par la mère au Tribunal fédéral, qui a constaté qu’« un problème essentiel se situ[ait] au niveau de la communication manquante ou déficiente entre les deux parents et de l'attitude négative de la [mère] à l'égard [du père]. Une médiation [avait alors] tout son sens face à une telle situation »142. Ainsi, la médiation imposée et l'obligation d'y participer, même si décidées contre la volonté de l'un des parents, ont été admises sur la base de l'article 307 al. 3 CC, sous la menace prévue à l’art. 292 CP en cas d’insoumission à une décision de l’autorité.

134 COTTIER et al., p. 49.

135 SAUTHIER, p. 165.

136 FREIH, p. 9.

137 DUTOIT, ibidem.

138 MONBARON, p.96 et référence citée. ; MIRIMANOFF, p. 158.

139 FÉDÉRATION SUISSE DES ASSOCIATIONS DE MÉDIATION (FSM), rapport 2014, p. 8 [https://www.mediation-ch.org/cms2/fr/actualites/statistique/sondage-2014/] (consulté le 30.04.20).

140 FREIH, p. 9.

141 Arrêt du Tribunal fédéral 5A_457/2009 du 9 décembre 2009, consid. 4.1.

142 TF, 5A_457/2009, 9 décembre 2009, ibidem.

Notre Haute Cour a précisé, dans un arrêt paru en 2011143, que la médiation imposée dépendait (évidemment) des circonstances du cas d’espèce.

Au début de cette année 2020, une tentative visant à généraliser la médiation sur le territoire suisse a malheureusement échouée144. Bien que le Conseil fédéral considère la médiation comme « une priorité [étant donné] que les solutions transactionnelles sont plus durables et subséquemment plus économiques du fait qu’elles peuvent tenir compte d’éléments qu’un tribunal ne pourrait retenir » 145, la mise en œuvre est laissée aux cantons146. Par exemple, le Valais expérimente depuis janvier 2020147, un projet pilote relatif à une variante de la médiation judiciaire appelée « méthode/modèle de Cochem ».

C’est en 1992 que cette méthode est mise en place par le juge des affaires familiales dans le district de Cochem (en Allemagne), Jürgen RUDOLPH, réunissant un avocat, Maître THEISSEN, et une psychologue, Ursula KODJOE. Par la suite, d’autres intervenants se sont joints à eux tels que des experts ou encore des travailleurs sociaux148. Il s’agit d’un travail interdisciplinaire mené en commun – une coopération – et non pas la confrontation des avis sollicités. Le but est de faire dialoguer les parents dans l’intérêt de leurs enfants149. Ce modèle permet un gain de temps considérable : quelques séances suffisent pour résoudre un conflit lors d’une séparation parentale150. L’avocat – qui est sollicité en premier par les parents – examine la possibilité de résoudre amiablement le conflit, conformément à ses obligations déontologiques151. Il discute avec les parents afin de trouver les points positifs sur lesquels s’appuyer pour qu’ils prennent en compte le bien-être des enfants. Le psychologue qui rencontre à son tour chaque membre de la famille travaille dans le même esprit. Dans les deux à trois semaines qui suivent ces entretiens, le juge intervient à son tour pour accompagner/guider le dialogue et informer les parents des conséquences désastreuses du conflit sur l’enfant152. Il endosse, à ce moment-là, un rôle de préventeur. Si les parents ne parviennent pas à collaborer entre eux, le juge leur ordonne – d’où l’adjectif « ordonné » parfois utilisé pour décrire cette méthode – de coopérer à nouveau pour trouver une solution dans le respect mutuel et compatible avec l’intérêt de leurs enfants ; une nouvelle réunion est fixée dans trois mois qui suivent.

143 Arrêt du Tribunal fédéral 5A_852/2011 du 20 février 2012, consid. 6.

144 Interpellation 18.4191 « Favoriser le bien de l'enfant grâce à des procédures de médiation lors de conflits familiaux » du 10.03.2020.

145 CONSEIL FÉDÉRAL, Message du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, FF 2006 6841, 6860.

146 MANTILLA, p. 336.

147 Cette information a été fournie par M. Marc ROSSIER, Chef de l’Office pour la protection de l’enfant dans le Valais, par retour de courriel du 4 mai 2020.

148 BROCA Roland, [http://www.roland-broca.com/blog/pour-un-changement-de-paradigme-des-sparations-conflictuelles-le-modle-de-cochem] (consulté le 02.04.20).

149 BROCA Roland, ibidem.

150 MARIQUE/SACREZ, p. 15.

151 Par exemple, cette obligation figure à l’art. 9 du Code suisse de déontologie (CSD), à l’art. 8.2 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat (RIN) ou encore à l’art. 27.3 Codice Deontologico Forense.

152 MARIQUE/SACREZ, p. 17.

L’escalade des conflits et les conséquences négatives y relatives peuvent évitée grâce à cette méthode de Cochem, ce qui est très positif non seulement pour les enfants qui constatent que leurs parents peuvent s’entendre à leur sujet, mais aussi pour les parents qui gardent toutes leurs responsabilités parentales et pour la société puisque des frais sont économisés153. En effet, selon le juge de Cochem, 95% des dossiers traités selon cette méthode aboutissent à un accord. Pour les 5% restant, 98% des couples parentaux parviennent à un accord lors du second rendez-vous ordonné par le juge154.

Enfin, il est fait mention, à titre indicatif, de la médiation familiale pratiquée en Australie, qui a la particularité d’être obligatoire, en ce sens que les parties doivent participer à une

« primary dispute resolution » – une réunion dans le but de résoudre les conflits – avant de saisir le tribunal155. Les avocats doivent informer leurs clients de cette possibilité, sous peine d’être sanctionnés dans le cas contraire156.

Nonobstant les bienfaits de la médiation, il convient de rappeler que lorsqu’un tel processus est entamé, cela signifie que des conflits parentaux sont déjà présents. Pourquoi ne pas adopter des mesures qui empêchent l’apparition d’une situation parentale conflictuelle ? A cet égard, quelques propositions sont développées dans ce qui suit.

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