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Comme pour la médecine en général, les connaissances sur les propriétés thérapeutiques du

haschich en Islam remontent essentiellement aux anciens traités médicaux et pharmacologiques

gréco-hellénistiques et puis byzantins, directement traduits en arabe à partir du IIIe/IXe siècle ou par la

médiation du syriaque. Cependant l’influence persane et indienne sera longtemps évidente surtout

dans la nomenclature de certaines herbes ou électuaires, si bien que la médecine et la pharmacopée

islamique médiévale peuvent être considérées comme une synthèse de ces deux grandes traditions

1

.

Les scientifiques arabo-musulmans, se trouvant face à une formidable variété de noms de drogues,

maladies et remèdes dans des langues différentes, avaient l’habitude de commencer chaque article par

l’énumération et l’identification des synonymes en usage. Ainsi, comme la plus part des herbes

médicinales, le haschich sera connu aussi bien par son nom d’origine grecque (κάνναβις - qinnab) que

par son appellation persane (šahdāniğ ou šahdāniq) et indienne (banğ). Pourtant, le terme qinnab,

probablement un calque du grec κάνναβις, - selon Levey l’on trouve la forme qunnabu ou qunubu déjà

à la fin du VIIIe ou au début du VIIe siècle av. J.-C. dans les inscriptions assyriennes de Sargonides

2

-,

rentrera dans la langue arabe plus tard que son équivalent persan, šahdānağ, et indien, banğ (bhaṇgā

en sanscrite), à son tour arrivé dans la langue arabe par la médiation de la variante persane bang/bank.

Toutefois, bien que la paire qinnab/šahdānağ, à qui plus tard s’associera le terme plus proprement

arabe ḥašīš, allait avoir plus de succès auprès des botanistes et des médecins médiévaux que le mot

banğ qui, quant à lui, continuera à indiquer la jusquiame et plus tard sera même utilisé comme

synonyme de saykarān (ciguë), l’origine indienne de cette plante ne sera pas oubliée par les savants

arabes qui ne manqueront pas d’en indiquer explicitement la provenance orientale. En effet, tant

al-Badrī qu’al-Maqrīzī concorderont sur le fait que les effets enivrants de cette drogue avaient été

1 Sur la médecine arabe classique voir entre autre les études générales de M. Ullmann, Islamic Medicine, Edinburgh University Press, Edinburgh 1978, M. Dols, Medieval Islamic Medicine. Ibn Riḍwān’s Treatise “On the Prevention of Bodily Ills in Egypt”, University of California Press, Berkeley 1984, surtout l’essai introductif, pp. 1-53 et P. Pormann et E. Savage-Smith, Medieval Islamic Medicine, The American University in Cairo Press, Cairo 2007.

2 M. Levey, ḤASHĪSH, dans EI2, vol. 3, p. 266. Sur l’utilisation du haschich dans le contexte de la médecine arabe classique voir aussi S. Harmarneh, Pharmacy in Medieval Islam and the History of Drug Addiction,

Medical History 16, 1972, pp. 226-237 et I. Lozano Cámara, Terminología cientifíca árabe del cáñamo (SS. VII-XVIII), dans C. Álvarez de Morales (éd), Ciencias de la Naturaleza en al-Andalus - Textos y Estudios, 4, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Escuela de Estudios Árabes, Grenada 1996, pp147-164; Id, El uso terapéutico del Cannabis sativa L. en la medicina árabe, Asclepio 49, 2, 1997, pp. 199-208.

découverts pour la première fois en Inde par un certain Bīr Ranṭan ou Bīr Raṭn, originaire de Bankāla,

d’où l’étymologie du nom bank/banğ attribué à cette herbe

3

.

Plus que les propriétés curatives, au départ on mentionne surtout les dangers de cette drogue

tant que les premières allusions au banğ (Hyoscyamus niger L.) sont contenues dans des traités de

toxicologie. Une des plus anciennes références remonte au Kitāb al-sumūm wa-dafʿ maḍārrihā d’Abū

Mūsā Ğābir Ibn Ḥayyān, un alchimiste qui a vécu entre le Ier et le IIe/VIIe et le VIIIe siècle et qui

était contemporain des premiers califes abbasides. L’auteur affirme qu’il existe deux espèces mortelles

de banğ une noire et une blanche, la première tue immédiatement après ingestion, la deuxième est

fatale seulement après avoir été bien rôtie ou mélangée à d’autres poisons. Dans les deux cas l'auteur

souligne l’effet enivrant et narcotique: “qui en absorbe peut expérimenter une ivresse surprenante

(sukr ʿağīb) telle que si on lui coupait les membres [du corps], il ne sentirait pas la douleur”, sa gorge,

sa bouche et sa langue se gonfleraient et ses yeux deviendraient rouges

4

. Pourtant, à en moment Ğābir

semble confondre le banğ avec l’opium quand il affirme que ce dernier est l’extrait d’une qualité de

jusquiame noire (al-afyūm ğins wāḥid wa-huwa ʿuṣār al-banğ al-aswad)

5

. Puis, il reconnaît qu’il y a

une affinité dans les propriétés (al-ḫawāṣṣ) et les effets du banğ, de l’opium, du pavot (ḫašḫāš) et de la

laitue sauvage (ḫass barrī en arabe, d'après Linné: Lactuca virosa L.) qui sont froids et secs (bārid

yābis), soporifiques (ğālibat al-nawm) et mortels. Or, bien que l’opium en tant que jus de la jusquiame

soit suffisant à lui seul pour provoquer une mort rapide, le banğ, qui est froid au début du quatrième

degré, peut être, lui aussi, très dangereux et entraîner la folie voire la mort. Enfin, dans le chapitre

consacré aux narcotiques, aux soporifiques et aux somnifères licites (al-muḫaddirāt l-musbitāt

wa-l-munawwimāt wa-ilā [] yusammā al-masmuḥa), l’auteur présente la recette d’une poudre

composée de ğawz māṯal, mandragore (yabrūḥ), jusquiame (banğ), écorces de pavot (qušūr al-ḫašḥāš)

et de laitue (ḫass) qui, une fois brulée sur le feu, dégage une fumée capable d’endormir un homme

pendant trois jours voire entrainer sa mort

6

. Dans ces passages, Ğābir montre qu’il a bien assimilé dans

3Éd. 11:14-12:2 et al-Maqrīzī, Ḫiṭaṭ, vol. 2, p. 127. Voir aussi sur cela I. Lozano, Un nuevo fragmento, p. 245 et F. Rosenthal, The Herb, p. 44 et 59. Christiane Tortel, dans sa monographie L’ascète et le bouffon,croit voir dans la transcription Biraztan faite par Silvestre de Sacy à partir des Ḫiṭaṭ d’al-Maqrīzī, une adaptation de la forme persane Pîr-i Zuttân, “Maître des Zutt”, “Le Zutt ou Jatt sont les Indiens du Sind déportés en Irak au VIIIe siècle par les Omeyyades”, C. Tortel, L’ascète et le bouffon. Qalandars, vrais et faux renonçants en Islam, Actes Sud, Paris 2009, p. 40. Dans la Rāḥa, al-Zuṭṭ auraient donné le nom raḍwā’ au haschich (Éd. 14:9-10).

4 A. Siggel, Das Buch der Gifte des Ğābir Ibn Ḥayyān. Arabischer Text in faksimile (HS. Ṭaymūr, Ṭibb 393, Kairo), édition et traduction, Franz Steiner Verlag GMBH, Wiesbaden 1958, fol. 97a. Sur la figure historique et l’oeuvre de Ğābir Ibn Ḥayyān voir aussi P. Kraus, Jābir Ibn Ḥayyān. Contribution à l’histoire des idées scientifiques dans l’Islam. Jābir et la science grecque, Les Belles Lettres, Paris 1986.

5 A. Siggel, Das Buch, fol. 47a et p. 57 note 2. Sur les utilisations thérapeutiques de l’opium dans la médecine islamique classique voir l’étude de S. Tibi, The Medical Use of Opium in Ninth-Century Baghdad, Brill, Leiden 2006.

6 A. Siggel, Das Buch, fols 47a-b, 97a-b et 131b-132a. Le ğawz māṯal est la Datura methel (L.), une noix d’une plante indienne, R. Dozy, Supplément, vol. 1, p. 233. Prospero Alpini dans sa description des plantes de l’Égypte écrit: “Solanum sonniferum [Withania somnifera L.] in Alezandriae ruderibus copiosissime prouenit erescit ut magnus frutex appareat ... huius plantae cortex non secusquam nux methel [Datura methel L.] semes stramonij femina apud plures malos nomines ut aliquid mali faciant clam dum dormiunt”, P. Alpini, Le piante dell’Egitto.

son système la leçon de Galien (m. 216) à propos des quatre qualités primaires (humide, sec, froid et

chaud) inhérentes à toutes les substances selon une échelle qui va du premier (faible) au quatrième

(fort) degré, d’après la loi naturelle (al-qānūn al-ṭabīʿī) et l’étiologie humorale de dérivation grecque.

Si l’œuvre de Ğābir Ibn Ḥayyān est donc principalement influencée par la médecine grecque

et dans une moindre mesure par des sources persanes et indiennes, en revanche le Kitāb al-sumūm

d’Ibn Waḥšīya, de la deuxième moitié du IIIe/IXe siècle, cite explicitement ses sources “orientales”,

avant tout syriaques puis persanes et indiennes, alors qu’aucun auteur grec n’est directement

mentionné dans ce traité

7

. Dans la section consacrée aux poisons qui ont une odeur létale, Ibn Waḥšīya

cite l’herbe connue comme šartāṯā dans la langue des nabatéens, qui pousse normalement dans des

endroits secs et dont les feuilles ressemblent à celles des câpres, ainsi que son odeur. Un détail

intéressant de la description que l’auteur fait de cette plante et que l’on retrouvera dans la légende de

la découverte du chanvre par le shaykh Ḥaydar rapportée par al-Maqrīzī et al-Badrī

8

, est qu’elle donne

l’impression d’être toujours en mouvement, même s’il n’y a pas de vent soufflant entre ses feuilles.

Ensuite Ibn Waḥšīya note que la plante et son jus n’ont aucun effet tous seuls, tandis qu’ils deviennent

mortels s’ils sont mélangés à d’autres huiles ou plantes aromatiques. Après en avoir respiré les

émanations, une personne d’abord sent une brûlure dans le nez, les yeux et tout le visage, puis il perd

plusieurs fois connaissance jusqu’à ce que mort s’en suive après une agonie d’environ deux jours, car

pour cela il n’y a aucun remède

9

. Certes, on ne peut pas affirmer avec certitude que l’herbe que

l’auteur nous décrit soit exactement ce que ailleurs il nommera qinnab et šahdānağ, néanmoins la

correspondance de ce détail à propos du mouvement de la plante en absence de vent rend douteux que

cette analogie relève d’une simple coïncidence. Quoi qu’il en soit, contrairement à la description des

effets de la jusquiame (banğ), dont la dose létale est de deux miṯqāl-s et provoque un bouleversement

mental, délire, léthargie et froideur des membres qui peuvent être efficacement neutralisés en

stimulant rapidement le vomissement chez le patient qui en a mangé ou en a bu

10

, les effets du šartāṯā,

quant à lui, ainsi que la façon de l’absorber ne rassemblent pas à ceux qui seront rapportés par la suite.

Probablement, cette utilisation externe par inhalation remonterait à une époque archaïque quand, si on

croit l’historien grec Hérodote (450 av. J.-C.), les Scythes jetaient des grains de cannabis sur des

pierres ardentes et en inhalaient les vapeurs jusqu’à s’intoxiquer à des fins récréatives

11

.

Quoi qu’il en soit, Ibn Waḥšiyya est surtout connu pour le Kitāb al-Filāḥa al-Nabaṭiyya qui

est la traduction arabe d’un texte originalement écrit en syriaque et qu’Ibn Waḥšiyya aurait dicté entre

Il Balsamo, Elsa M. Cappelletti et Giuseppe Ongaro (éds), Centro Studi Prospero Alpini, AntiliA, Treviso 2009, p. 51b.

7 M. Levey, Medieval Arabic Toxicology. The Book on Poisons of Ibn Waḥshīya and its relation to early Indian and Greek texts, The American Philosophical Society, 1966, pp. 13-15.

8 Al-Maqrīzī, Ḫiṭāṭ, vol. 2, p. 127; Éd. 6:10-11 et 7:9-8:1. 9 M. Levey, Medieval Arabic Toxicology, p. 43.

10Ibidem, pp. 89-90.

11 Hérodote, Histoires (livre IV), Melpomène, texte établi et traduit par P. E. Legrand, Collection des Universités de France, Les Belles Lettres, Paris 1985, pp. 73-74; M. Levey, ḤASHĪSH, dans EI2, vol. 3,p. 266.

291/903-4 et 318/930-1 à son disciple ou secrétaire al-Zayyāt

12

. D’après cet ouvrage, le ṯūnīġā qui est

une plante qui s’élève sur une tige creuse et de couleur blanche, présente à son sommet des graines

rondes que les persans appellent šahdānağ et qui, pour Ibn Waḥšiyya, correspondent à ceux du qinnab.

De ses graines, une fois dépouillées de leurs écorces, on tire un lait ou un huile que l’on utilise comme

combustible pour des lampes. Pendant les mois de Kānūn al-awwal et Kānūn al-ṯānī (Décembre et

Janvier) une pâte faite de qinnab est utilisée pour confectionner une pâtisserie appelée nāṭif.

Cependant, cette plante ayant une nature essentiellement chaude, peut causer fièvre et maux de tête.

Elle doit être semée dans des sols très humides entre le vingt Šubāṭ (Février) et le vingt-quatre Āḏār

(Mars). Originaire de l’Inde, cette plante avait été transplantée en terre de Babylone où ses habitants

avaient très tôt commencé à la cultiver. Sa tige peut même dépasser en hauteur la taille d’un homme et

lors de sa récolte au début du moi de Ḥazīrān (Juin) ses branches une fois sèches seront utilisés

comme combustibles. Il paraît qu’en Inde ils existaient plusieurs légendes (ḫurāfāt) à propos de cette

plante et que ces histoires ont été transmises aux nabatéens avec l’arrivée du ṯūnīġā/qinnab chez les

babyloniens. Quant à ses propriétés thérapeutiques, une boisson faite de poudre de la tige de cette

plante peut provoquer le vomissement, bien que, ajoute Ibn Waḥšiyya, il n’ait pas directement essayé

ce poison craignant un effet mortel. Ses graines (šahdānağ) sont brulées comme encens dans les

temples pendant des célébrations et des fêtes. L’écorce du qinnab est surtout utilisée comme le coton

pour confectionner des textiles et des cordes mais aussi pour fabriquer des feuilles de papier (kāġid)

réunies en cahiers (dafātir)

13

.

Durant la même époque, Abū Ḥanīfa al-Dīnawarī (m. 282/895 environs) écrivait son Kitāb

al-nabāt, un livre sur les noms des plantes destinées à avoir un grand succès chez les botanistes, les

physiciens et les lexicographes des siècles successifs

14

. Dans ce texte l’auteur affirme que selon

l’autorité d’Abū Ziyād al-Kilābī (m. 204/820), le tannūm est l’arbre de ġubayrā’, une herbe amère qui

pousse dans des terres désertiques, mangée par les bêtes et dont les feuilles ressemblent à celles de la

vigne. En revanche, pour Abū Naṣr Aḥmad Ibn Ḥātim al-Bāhilī (m. 231/845-6), le tannūm serait le

šahdāniğ al-barrī dont le jus vert foncé est utilisé pour teindre les peaux ou y macérer les aliments

tandis que pour Ibn al-Aʿrābī les graines de tannūm rassembleraient à ceux du šahdāniğ

15

.

12 J. Hämeen-Anttila, The Last pagans of Iraq : Ibn Waḥshiyya and his Nabatean agriculture, Brill, Boston 2006, 10.

13 Ibn Waḥšiyya, Al-filāḥa al-nabaṭiyya, 3 vols, éd. Tawfīq Fahd, Institut Français de Damas, Dimašq 1993, vol. 1, pp. 519-20; I. Lozano Cámara, Solaz del espírtu en el hachís y el vino y otros textos árabes sobre drogas, Universidad de Granada, Granada 1998, pp. 39-41 et J. Hämeen-Anttila, The Last pagans, 198.

14 Ils existent deux manuscrits du Kitāb al-nabāt d’al-Dīnawarī, l’un est conservé à Istanbul et a été édité par B. Lewis, Abū Ḥanīfa al-Dīnawarī, The Books of Plants of Abū Ḥanīfa ad-Dīnawarī. Part of the Alphatical Section, éd. et trad. Par B. Lewis, A.-B. Lundequistska Bakhandeln, Uppsala 1953, cette édition contient les entrées du

alif au zany. L’autre manuscrit conservé à Médine a été publié par Muḥammad Hamidullah, Abū Ḥanīfa al-Dīnawarī, Kitāb al-nabāt li-Abī Ḥanīfah Aḥmad ibn Dā’ūd ibn Wanand al-Dīnawarī, iʿṭanā bi-ġāmiʿihā Muḥammad Ḥamīdallāh, IFAO, al-Qāhira 1973 et comprend les autres entrées du sīn au yā’. Une plus récente édition est Abū Ḥanīfa al-Dīnawarī, Das Pflanzenbuch des Abu Hanifa ad-Dinawari : Inhalt, Aufbau, Quellen, éd. Thomas Bauer, Harrassowitz, Wiesbaden 1988.

15 Al-Dīnawarī, The Books of Plants, p. 73 et Id, Kitāb al-nabāt, p. 76.Sur le terme tannūm, abaq et ḥabb al-sumna comme synonymes de qinnab/šahdānağ voir I. Lozano Cámara, Acerca de una noticia sobre el qinnab en

Encore au IIIe/IXe siècle, nous trouvons le terme šahdānağ dans le Kitāb ḏaḫīra fī ʿilm

al-ṭibb du sabéen Abū l-Ḥasan Ṯābit Ibn Qurra al-Ḥarrānī (211-288/825-900 environs). Il exerça surtout

l’astronomie, les mathématiques et la médecine (mutaṭabbib) à la cour califale de madīnat al-salām

(Bagdad), mais il fut aussi l’auteur de nombreux traités concernant différents sujets qui vont de la

médecine à la religion, de la philologie à la musique. Le Kitāb al-ḏaḫīra présente une liste de maladies

organisées par l’auteur selon leur étiologie et dont le traitement suit la Materia Medica de Dioscoride

(Ier siècle après J.-C.). Le terme qinnab apparaît une seule fois comme remède pour soigner les

douleurs du foie et il est listé parmi les herbes qui sont réputées “ouvrir les engorgements des

vaisseaux qui se présentent au-dessus du foie”

16

. En revanche, le jus de šahdānağ (mā’ al-šahdānağ)

une fois inhalé dépure le cerveau et est un des remèdes pour le mal de tête (ṣudāʿ), ainsi qu’un

traitement pour soigner la douleur aux oreilles et la surdité (al-ṭarš)

17

. Mais c’est surtout dans le

domaine de la sexualité (bāh) que le šahdānağ semble trouver sa principale fonction: il est parmi les

électuaires qui provoquent l’impuissance (al-adwiyat allatī taqṭaʿu šahwat al-ğimāʿ). En effet, le fait

d’ingérer ses graines ou boire un jus fait de šahdānağ cuit avec des lentilles et mélangé avec du

vinaigre est censé sécher le sperme (yuğaffifu al-maniyy)

18

.

L’idée que le cannabis pouvait soigner les maux d’oreilles et limiter le désir sexuel avait été

déjà exposée par Dioscoride (Ier siècle après J.-C.) dans sa Materia Medica où il écrit:

Le cannabis cultivé que certains appellent cannabion et les autres schoenostrophion et d’autres asterion,

est une plante utile pour la confection de cordages solides. Ses feuilles sont comme celles du frêne. Il donne une odeur désagréable et a de longues tiges creuses. Ses graines ont une forme sphérique, d’en trop manger diminue la puissance sexuelle. Le jus de graines fraîches, instillé dans les oreilles, est utile dans le traitement des otalgies [...] Le cannabis sauvage que certains appellent hydrastina et les Romains

terminalis, a des tiges comme la mauve mais plus rugueuses, plus petites de taille et de couleur plus foncée19.

Cette même conviction sera raprise et élaborée par Galien (m. 210 environs) qui dans De

simplicium medicamentorum temperamentis ac facultatibusobserve:

el Ŷāmiʿ de Ibn al-Bayṭār, dans E. García Sánchez (éd) Ciencias de la naturaleza en al-Andalus: textos y estudios, 1, Consejo Superior de Investigaciones Cientificas, Escuela de Estudios Árabes, Granada 1990, p. 152 et note 2. Une autre source possible pour l’entrée tannūm dans l’oeuvre d’al-Dīnawarī est le Kitāb anabāt wa l-šağara d’al-Aṣmaʿī (m. 216/831) pour qui le tannūm est aussi le šahdānağ sauvage, al-Aṣmaʿī, Kitāb al-nabāt wa l-šağara, éd. A. Hafnir, al-Maṭbaʿa al-Kāṯūlikiyya li-l-ābā’ al-yasū’iyyīn, Bayrūt 1908, p. 22. Quoi qu’il en soit, al-Dīnawarī sera une autorité pour nombre d’auteurs entre autres al-Bīrūnī, Kitāb al-ṣaydana fī al-ṭibb, 2 vols, éd. et trad. par Muḥammad Saʿīd, Mu’assasat Hamdard al-waṭaniyya, Karachi 1973, vol 1, p. 119 et 138, Ibn Sīda, Kitāb al-muḫaṣṣaṣ, 17 vols, al-Maṭbaʿa al-kubrā al-amīriyya, Būlāq 1898-1903, vol 9, pp. 167-168 et Ibn al-Bayṭār, Kitāb al-ğāmiʿ li-mufradāt al-adwiya wa-l-aġdiya, 4 vols, Maktabat al-ʿāmira, Būlāq 1874, vol. 2, p. 4. Voir aussi Ibn Manẓūr, Lisān al-ʿArab, 15 vols, Dār Ṣādir, Bayrūt 1955-6, vol. 12, 71-72 et al-Zabīdī, Tāğ al-ʿarūs min ğawāhir al-qāmūs, 40 vols, Maṭbaʿat ḥukūmat al-Kuwayt, 1965-2001, vol 31, p. 340.

16 Ṯābit Ibn Qurra, Kitāb al-ḏaḫīra fī ʿilm al-ṭibb, éd. G. Sobhy, al-Maṭbaʿa al-amīriyya, al-Qāhira 1928, p. 97. 17Ibidem, p. 21 et 44.

18Ibidem, pp. 185-186.

19 P. Dioscuridis, De Materia Medica, éd. Max Wellmann, 3 vols, Weidmannsche Verlagsbuchhandlung, Berlin 1958, vol. 2, p. 157 n° 148 et 149, pour la traduction francaise voir A.-J. Fabre, Cannabis, chanvre et haschich: l'éternel retour, Histoire des sciences médicales 40, 2, 2006, p. 193.

La graine de cannabis élimine les gaz intestinaux et déshydrate à tel point que celui qui en a trop mangé éteint ses capacités sexuelles. Certains pressent les graines encore vertes pour en obtenir un jus qu’ils utilisent dans le traitement des otalgies20

et puis dans De alimentorum facultatibus:

la plante est en partie semblable au poivre sauvage. La graine est difficile à digérer, mauvaise pour l'estomac et donne des maux de tête [...] certains mangent les graines frites avec des sucreries. J’appelle sucrerie les nourritures servies au dessert pour inciter à boire. Les graines apportent une sensation de chaleur et si consommées en grandes quantités, affectent la tête en lui envoyant des vapeurs chaudes et toxiques21

Ces deux dernières sources seront aussi citées par al-Badrī dans leurs traductions arabes:

respectivement le Kitāb Iṣlāḥ al-adwiya et le Kitāb tadbīr abdān al-aṣiḥḥā’ (respéctivement Éd. 19:7,

9 et 19:5), Dioscoride en revanche est évoqué en Éd. 17:5.

Dioscoride et Galien sont vraisemblablement les sources du Firdaws al-ḥikma de ʿAlī Ibn

Rabban al-Ṭabarī, qui a vécu dans la première moitié du IIIe/IXe siècle

22

mais surtout du Kitāb

al-ḥāwī fī al-ṭibb d’Abū Bakr Muḥammad Ibn Zakariyyā al-Rāzī (251-313/865-925). Selon le médecin de