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III. 1. “Kull muskir ḫamr wa kull ḫamr ḥarām” : premiers pas vers la condamnation juridique du

III.5. Al-Zarkašī, al-Aqfahsī et al-Haytamī et la redéfinition de la nature judiciaire du haschich 77

Le débat sur la nature légale et la licéité du haschich était loin d’épuiser la question et de

parvenir à un consensus entre les savants, au contraire, il a continué à intéresser de nombreux juristes,

peut-être par la tendance croissante à consommer du cannabis dans tous les milieux sociaux.

Vers la fin du VIIIe/XIVe siècle deux ouvrages contribueront à enrichir le panorama de la

littérature juridique à propos de la condamnation du haschich, tous les deux rédigés par des

traditionnistes de l’école šafiʿite d’aire égyptienne : le Zahr al-ʿarīš fī taḥrīm al-ḥašīš de Muḥammad

Ibn Bahādur Ibn ʿAbd Allāh al-Zarkašī (745-794/1344-1392) et l’Ikrām man yaʿīš bi-taḥrīm al-ḫamr

wa-l-ḥašīš du faqīh šafiʿite Šihāb al-Dīn Aḥmad Ibn ʿImād Ibn Yūsuf al-Aqfahsī, connu plus

simplement comme Ibn al-ʿImād (750-808/1349-1405). Le premier est un traité qui, dans les

intentions de son auteur, voulait sans doute être le texte juridique le plus exhaustif de son époque à

propos du haschich et le plus richement documenté. En effet, Lozano a répertorié environ vingt-quatre

sources directes et indirectes différentes citées dans le Zahr al-ʿarīš, pourtant, son auteur omet de citer

sa source principale, Quṭb al-Dīn al-Qasṭallānī, arrivant même à copier littéralement de nombreux

passages du Takrīm et du Tatmīm sans jamais le citer

122

. Le traité d’al-Aqfahsī, quant à lui, est

organisé en deux grandes parties : la première est consacrée aux discussions juridiques sur la

condamnation du haschich et la deuxième sur le vin. Comme noté par Lozano, l’Ikrām n’est pas un

ouvrage original dans le panorama des traités qui abordent la thématique du cannabis, au contraire,

c’est plutôt un assemblage des fragments différents appartenant à d’autres textes : avant tout le Zahr

al-ʿarīš de son contemporain al-Zarkašī et puis le Takrīm et le Tatmīm de Quṭb al-Dīn al-Qasṭallānī.

Or, il est assez singulier que contrairement à Zarkašī qui mentionne toutes ses sources sauf

al-Qasṭallānī, al-Aqfahsī, quant à lui, prend entièrement son argumentation juridique de l’ouvrage

d’al-Zarkašī - y compris les citations du Takrīm et du Tatmīm contenu dans son Zahr al-ʿarīš -, sans jamais

indiquer sa source à l’exception précisément des épitres d’al-Qasṭallānī

123

.

121 Ibn Taymiyya, Mağmūʿ fatāwā, vol. 14, pp. 468-469; Ibn Taymiyya, Le Haschich et l’Extase, pp. 143-147. 122 Pour les informations biographiques sur al-Zarkašī, son oeuvre, les passages tirés d’al-Qasṭallānī ainsi que les autres sources du Zahr al-ʿarīš voir I. Lozano Cámara, Tres tratados, pp. 47-62.

123 I. Lozano Cámara, Un texto inédito para la historia del ḥašīš en el mundo islámico: Ikrām man yaʿīš bi-taḥrīm al-jamr wa-l-ḥašīš, de Ibn al-ʿImād al-Aqfahsī, dans Homenaje al Profesor Jacinto Bosch Vilá, 2 vols, Universidad de Granada, Departemento de Estudios Semiticos, Granada 1991, vol. 1, pp. 581-582. Dans cette analyse on a préféré se concentrer plutôt sur l’étude du Zahr al-ʿarīš car ce dernier, non seulement est plus

Quoi qu’il en soit, le Zahr al-arīš fī taḥrīm al-ḥašīš semble avoir joui d’une grande notoriété et

autorité auprès des savants, comme l’atteste la citation fréquente de ce traité dans des œuvres

successives et le nombre relativement élevé de manuscrits recensés

124

. Dans un premier chapitre

al-Zarkašī propose d’abord l’identification de l’objet de son étude évoquant quelques noms attribués au

haschich et rapportant brièvement la légende de la découverte du cannabis par le shaykh Ḥaydar et sa

diffusion par le shaykh Qalandar. Puis, citant l’autorité d’Ibn Taymiyya, il affirme que si les quatre

fondateurs des écoles juridiques musulmanes n’en ont pas parlé c’est parce que les effets enivrants du

cannabis ont étés découverts entre la fin du sixième et le début du septième siècle de l’hégire

(XIIe-XIIIe siècle de l’ère chrétienne) parallèlement à l’invasion des Tatars (Mongoles)

125

. Ou bien, selon

une autre source (qāla ġayruhu), qui résulte être le Takrīm de al-Qasṭallānī, le haschich serait apparu

d’abord chez les persans pendant la domination mongole et seulement successivement se diffusa à

Bagdad

126

. Le deuxième chapitre est consacré aux dégâts (maḍārr) que la drogue provoque à l’esprit et

au corps, c’est-à-dire aux répercussions sur les conduites vertueuses inspirées par la religion et aux

comportements dans la société. En ce qui concerne la corruption morale entraînée par le chanvre

indien, al-Zarkašī offre un inventaire très détaillé:

Corrompt les pensées, fait oublier d’invoquer Dieu, fait divulguer le secret, perdre la pudeur (ḏihāb al-ḥayyā’), augmente les disputes (al-mirā’), diminue la virilité (al-muruwwa), dévoile ce dont il faut avoir honte (al-ʿawrat, littéralement “les parties honteuses”) et fait disparaître la jalousie. Il détruit l’intelligence, il fait s’entretenir en compagnie d’Iblīs, abandonner les prières et se livrer à tous ce qui est défendus (al-muḥarramāt). Ce sont les dommages qui atteignent la religion127.

Ainsi le consommateur habituel de haschich développe une telle propension à l’immoralité (abʿad

al-ḫalq) et aux comportements les plus dégradants (afsad taṣarrufihā) qu’il lui est difficile de se repentir.

Car le haschich semble être, dans la vision d’al-Zarkašī, le réceptacle de tous les maux, bien résumés

dans ces vers :

Le moindre de ses malheurs, et ils sont nombreux,

Est la fornication (baġā’), la folie (ğunūn) ou l’épuisement mental (nišāf)128

ordonné dans la présentation de ses arguments, mais est sans doute la source fondamentale de l’ouvrage d’al-Aqfahsī à qui, cependant, on n’a pas manqué de faire référence dans les notes qui suivent.

124 Dans l’édition de Franz Rosenthal, les manuscrits étaient quatre (Berlin Ms. Wetzstein II, 1809, Berlin Ms. Wetzstein II, 1801, Gotha Ms. 2096, Berlin Ms. Petermann II, 407), F. Rosenthal, The Herb, pp. 9-11. L’édition publiée par Lozano inclut à ces relevés par Franz Rosenthal trois autres manuscrits inédits, deux conservés au Dār al-kutub al-miṣriyya (725 Fiqh Taymūr daté 882/1478 et Maktabat Muṣṭafā Faḍl 150 Mağāmīʿ Taymūr date 1076/1665) et une copie conservée à la Maktabat al-Baladiyya d’Alexendrie (n° 3812) à qui il faut aussi ajouter un résumé en vers, urğūza, le Naẓm Zahr al-ʿarīš fī taḥrīm al-ḥašīš conservé au Dār al-Kutub al-Ẓāhiriyya de Damas (n° 5896 al-fiqh al-šāfīʿī), I. Lozano Cámara, Tres tratados, pp. 63-68 et 107.

125 Pour la référence aux mongoles dans la Siyāsa et les Fatāwā d’Ibn Taymiyya voir plus haut p. 96 et note 96. Voir aussi al-Aqfahsī qui cite Ibn Taymiyya, I. Lozano Cámara, Un texto inédito, p. 593.

126 I. Lozano Cámara, Tres tratados, p. 78; F. Rosenthal, The Herb, p. 177 et I. Lozano Cámara, Edición crítica del Kitāb takrīm,p. 352.

127 I. Lozano Cámara, Tres tratados, p. 80, cité aussi dans l’Ikrām de al-Aqfahsī, I. Lozano Cámara, Un texto inédito, pp. 594-595.

128 Comme noté par Lozano dans le MS 150 Mağāmīʿ Taymūr ce vers est attribué à un certain Ibn al-Qūff et est précédé par deux autres lignes rapportées aussi, avec quelques variantes, par al-Badrī, Rāḥa, Ms [ظ], 76a et Ms [ب], 55b-56a où elles sont attribuées à un certain Šihāb al-Dīn Aḥmad al-Ṯaqafī, I. Lozano Cámara, Tres tratados, p. 82 et 124, note 38; F. Rosenthal, The Herb, p. 88 note 1 pour la traduction du terme nišāf.

Par conséquent qui en consomme s’éloigne de la Sunna et il sera banni du Paradis et maudit par Dieu à

moins qu’il ne se repente, car :

Dis à qui mange du haschich comme un ignorant Ô ignoble, tu as vécu une mauvaise existence La valeur de la raison est une fortune, alors pourquoi,

Ô insensé, tu l’as vendu pour du haschich ?

Qul li-man ya’kulu al-ḥašīšata ğahlan yā ḫasīsan qad ʿišta šarra maʿīša Diyatu al-ʿaqli badratun fa-limāḏā

Yā safīhan qad biʿtahā bi-ḥašīša129

Mais c’est surtout à partir du troisième chapitre et jusqu’à la fin du traité (septième chapitre), que se

concentre la véritable argumentation juridique d’al-Zarkašī. La première question qu’il se pose

concerne la nature juridique du haschich : il n’y a pas de doutes, pour al-Zarkašī, que le cannabis est

un enivrant, comme assuré par des sources médicales comme Ibn al-Bayṭār, et juridiques, telles que

Abū Isḥāq al-Šīrāzī (393-476/1003-1083) et al-Nawawī (631-677/1233-1277)

130

pour qui les troubles

des facultés psychiques de base provoquées par l’herbe sont les mêmes que celles entraînées par la

boisson :

[le haschichin] confond l’ordre des paroles, révèle le secret caché ne distingue plus le ciel de la terre, ce qui est long de ce qui est large131.

Du même avis est Ibn Taymiyya pour qui, comme résume al-Zarkašī, le haschich est muskir car “ceux

qui en mangent ressentent un égarement (yanšūna ʿanhā) qui les portent à en absorber [davantage],

contrairement à la jusquiame et à d’autres [drogues] qui ne provoque ni enivrement ni engouement (

yanšī wa-lā yuštahī)”

132

.

129 I. Lozano Cámara, Tres tratados, p. 82 pour le texte arabe et p. 124 note 39. Le même fragment apparaît déjà dans le Tatmīm de al-Qasṭallānī qui, quant à lui, l’attribue à l’imam Muḥī al-Dīn Ibn Surāqa, I. Lozano Cámara,

Estudios y documentos, vol. 2, p. 51 d’où sûrement al-Zarkašī le copie. Les mêmes vers seront aussi rapportés dans l’Ikrām de al-Aqfahsī, I. Lozano Cámara, Un texto inédito, p. 590, directement d’al-Qasṭallānī par la médiation du Zahr al-ʿarīš. Il existe une autre variante de la même composition dans le Mağlis d’Ibn Ġānim, I. Lozano Cámara, Tres tratados, p. 32:

qul li-man ya’kul al-ḥašīšata ğahlan ʿišta fī aklihā bi-aqbaḥ ʿayša zaynatu l-mar’i ʿaqluhu fa-limāḏā

yā aḫā al-ğahli biʿtahu bi-ḥašīša.

Une autre version encore du premier hémistiche du deuxième vers est rapportée dans al-Ḏahabī, Kitāb al-kabā’ir, p. 98: qīmatu l-mar’i ğawhar fa-limāḏā / yā aḫā al-ğahli biʿtahu bi-ḥašīša. Curieusement, Ibn Ḥağar al-Haytamī cite ces deux vers dans ses Fatāwā et dans le Kitāb al-zawāğir mais à partir de deux sources différentes: dans le premier il cite la version contenue dans le Zahr al-ʿarīš,à son tour tirée du Tatmīm de al-Qasṭallānī, tandis que dans le deuxième texte al-Ḏahabī est explicitement mentionné comme source. Pourtant, ce deuxième hémistiche n’est pas idéntique à celui du Kitāb al-kabā’ir mais présente quelques variations: qīmatu al-ʿaqli badratun fa-limāḏā / yā aḫā al-ğahlibiʿtahu bi-ḥašīšah; Ibn Ḥağar al-Haytamī, Fatāwā kubrā al-fiqhiyya, Dār al-Fikr, Bayrūt 1983, vol. 4, p. 232 ; Id, Kitāb al-zawāğir ʿan iqtirāf al-kabā’ir, 2 vols, al-Maṭbaʿa al-Azhariyya, al-Qāhira 1325/1907, vol. 1, p. 176.

130 Al-Nawawī, Kitāb mağmūʿ šarḥ al-muhaḏḏab li-l-Šīrāzī, 23 vols, éd. M. Nağīb al-Muṭīʿī al-Ḥanafī, Dār ʿĀlam al-kutub, al-Riyyāḍ 2004, vol. 3, pp. 8-9.

131 I. Lozano Cámara, Tres tratados, p. 84. 132 I. Lozano Cámara, Tres tratados, p. 84.

Pourtant, malgré l’autorité de ces célèbres fuqahā’, le débat à propos du caractère enivrant du

haschich était loin de faire l’unanimité. Al-Zarkašī expose la thèse du shaykh malikite Abū l-ʿAbbās

al-Qarāfī, surnom de Abū l-ʿAbbās Aḥmad Ibn Idrīs Ibn ʿAbd Raḥmān Ibn ʿAbd Allāh al-Ṣīnḥāğī, qui

a vécu entre 626-684/1228-1285, et qui affirme dans ses Qawāʿid que le haschich serait une substance

corruptrice (mufsid) et donc passible du taʿzīr plutôt que du ḥadd

133

. En effet, selon al-Qarāfī,

contrairement aux enivrants (muskir), le haschich ne provoque pas engouement (našwa), joie (surūr)

et force de caractère (quwwat al-nafs), mais il embrouille la raison (mušawwaš al-ʿaql) sans pour

autant entraîner une sensation de ravissement (surūr) tel que le vin qui renforce les qualités viriles

(muruwa) et provoque aussi agressivité, comme le prouve ce vers :

Nous le buvons et il nous permet de devenir comme des rois Et des lions. Nous ne nous éloignons point du combat.

Le haschich, par contre, rend son consommateur flegmatique, taciturne et mélancolique jusqu’aux

larmes. Cependant, continue al-Qarāfī, ces changements d’humeur ne sont pas aussi radicaux et

irrémédiables comme ceux que provoquent les substances narcotiques (murqid) qui atteignent tous les

sens (al-ḥawwās)

134

.

La thèse du savant malikite est totalement réfutée par al-Zarkašī qui insiste sur le caractère

enivrant du haschich en s’appuyant sur l’acception profonde du mot iskār d’après l’autorité coranique,

«Nos regards sont certainement voilés» (Sūrat al-Ḥiğr, 15: innamā sukkirat abṣārunā), ce qui veut

dire couvrir la raison (taġṭiyyat al-ʿaql), la troubler donc provoquer un changement au niveau du

discernement. En d’autre termes, continue Zarkašī reprenant une thèse déjà développée par

al-Qasṭallānī, sans pour autant arriver à la même définition de l’ivresse comme maladie mentale, si le

haschich provoque un état différent de ce qui précédait l’absorption de la drogue, alors il est un

enivrant qui, rompant l’équilibre et l’harmonie, porte à l’incontinence et à la transgression. Si cette

herbe était seulement corruptive (mufsid), comme affirme al-Qarāfī, elle porterait celui qui en fait

usage à la folie, car son effet n’est plus l’altération temporaire de la raison mais une perte irrémédiable

des facultés de jugement

135

.

En ce qui concerne les preuves de l’interdiction canonique du haschich, al-Zarkašī rapporte

deux ḥadīṯ-s, déjà signalés dans le Tatmīm d’al-Qasṭallānī. Dans la première tradition, il est question

de la prohibition de toutes substances qui altèrent et corrompent la raison - selon la question posée au

Prophète par Daylam al-Ḥimayrī et rapporté dans les Sunan d’Abū Dāwūd concernant l’interdiction

d’une boisson enivrante faite de froment utilisée pour supporter le froid -; dans la deuxième, il s’agit

de la prohibition de tout ce qui est muskir wa-mufattir, ce qui étourdit et débilite le corps et l’esprit à la

fois. En effet, affirme al-Zarkašī, ce ḥadīṯ attribué à Umm Salama ajoute un autre argument à la

133 I. Lozano Cámara, Tres tratados, p. 127 note 49, voir aussi al-Qarāfī, Kitāb al-furūq: anwār al-burūq fī anwār al-furūq, 4 vols, éd ʿAlī Ğumʿa et Muḥammad Aḥmad Sirāğ, Dār al-salām li-l-ṭibāʿa našr wa-l-tawzīʿ wa-l-tarğama, al-Qāhira 2001, vol. 1, p. 361 et Éd. 69:12-16.

134 I. Lozano Cámara, Tres tratados, pp. 85-86 et Al-Qarāfī, Kitāb al-furūq, vol 1, p. 363.

prohibition du haschich, car, même si l’on mettait en discussion les propriétés altérantes de la drogue,

la faiblesse et la torpeur générale qu’elle provoque ne laisseraient pas de doute sur son interdiction

136

.

Pourtant, l’auteur du Zahr al-ʿarīš, semble vouloir modérer deux positions extrêmes: celle du malikite

al-Qarāfī qui, niant la nature enivrante du haschich, mine sa prohibition canonique et celle du

ḥanbalite Ibn Taymiyya qui, quant à lui, arrive à considérer comme infidèle et donc passible de la

peine capitale celui qui déclare licite l’herbe

137

. L’avis de al-Zarkašī est décidemment plus prudent

Car son [du haschich] interdiction n’est pas nécessairement fixée par la religion. Nous l’avons acceptée mais il est nécessaire que la preuve de l’accord entre les musulmans (dalīl al-iğmāʿ) soit catégorique au moins pour un de ces deux arguments. Les savants de notre école [šafi’ite] ainsi que d’autres [érudits] concordent sur l’interdiction de consommer de ce qui enivre, y compris les plantes et d’autres espèces. Al-Rāfiʿī a affirmé dans la section Les aliments du Baḥr al-maḏhab que les plantes enivrantes même si elles n’ont pas un pouvoir émouvant (laysat fihi šidda muṭriba), sont défendues à manger. Dans les

Fatāwā d’al-Marġīnānī, de l’école ḥanafite, ce qui enivre du banğ et du “lait de jument” est interdit mais on n’applique pas le ḥadd. Du même avis sont Abū Ğaʿfar et Šams al-A’imma al-Sarḫasī. Il serait encore utile de dire que ce que consomment les Turcs et qu’ils appellent qimmizz est [aussi] interdit»138.

La question de l’impureté rituelle du haschich occupe le cinquième chapitre du Zahr al-ʿarīš. Faisant

appel à différentes sources et au raisonnement analogique, al-Zarkašī arrive à admettre la

consommation d’une petite quantité (al-yasīr) de haschich. En effet, bien que le cannabis soit un

enivrant et, selon certains, en tant que muskir il devrait déjà être considéré impur, il a y aussi ceux qui

estiment être pures même des plantes beaucoup plus dangereuses et plus vénéneuses que le haschich,

tant que le liquide qui les arrose reste pur, car il n’existe pas des plantes impures per se. Ainsi,

al-Zarkašī conclut qu’il est vrai que le haschich est un enivrant comme le vin, toutefois cela n’implique

pas que son assimilation au jus de la treille doit nécessairement lui conférer toutes ses caractéristiques.

Par conséquent, il y a accord entre les savants sur la licéité de consommer d’une petite dose de

haschich, même si cette quantité raisonnable ne trouve aucune spécification dans le Zahr al-ʿarīš

139

.

Pourtant, l’ivresse provoquée par le haschich est un crime pour lequel al-Zarkašī n’hésite pas à

indiquer la peine canonique prévue (ḥadd). Comme pour Ibn Taymiyya, al-Zarkašī affirme, lui aussi,

que tout en annihilant la raison (yazīlu al-ʿaql) comme le banğ, le haschich possède en plus un pouvoir

136 I. Lozano Cámara, Tres tratados, pp. 90-92. Pour la référence à al-Qasṭallānī voir plus haut p. 93.

137 La même thèse avait était explicitement avancée par Ibn Ġānim, voir plus haut pp. 70-71. Voir aussi le résumé de ce débat par al-Aqfahsī dans son Ikrām, I. Lozano Cámara, Un texto inédito, pp. 595-596.

138 Pour l’identité de tous ces personnages voir I. Lozano Cámara, Tres tratados, pp. 92-93 et 133-134 et notes respectives. Avant de citer Marġīnānī, le manuscrit Witzstein II, 1801, ajoute ce passage : “L’imam ʿAlā’ al-Dīn Ibn al-ʿAṭṭār, grand faqīh, compagnon et élève d’al-Nawawī dont il a recueillit les fetwas, a dit que quant au haschich, appelé aussi al-ġubayrā’, est le corrupteur de l’esprit et du corps, fait partir les richesses et les croyances, est le séducteur du genre humain, rend efféminé les qualités viriles des hommes, [qui en consomme] commet un péché plus grave que celui de qui consomme du vin suite à sa vigoureuse interdiction. En effet, pour ce qui est de sa prohibition, je ne connais aucun désaccord entre les ulémas de l’Islam dont j’ai eu notice. En revanche, ils ne sont pas clairs si c’est obligatoire imposer le ḥadd ou leur convient plutôt appliquer la peine discrétionnaire (taʿazīr), par la fustigation (ḍarb) ou autre choses”, pour le texte arabe voir F. Rosenthal, The Herb, p. 187 et I. Lozano Cámara, Tres tratados, p. 133 note 75.

139 I. Lozano Cámara, Tres tratados, pp. 94-95 et surtout les notes à pp. 135-137 qui identifient les diverses sources citées par al-Zarkašī.

émouvant (šaddat muṭriba) ou provoque joie et plaisir (la yaluḏḏu wa-la yaṭrabu) et celui qui en

absorbe sera passible du ḥadd

140

.

Enfin, al-Zarkašī aborde une série d’arguments juridiques concernant la drogue. D’abord, c’est

la validité de la prière sous l’effet du haschich à être prise en considération. Cet argument est en partie

relié au débat sur la pureté ou impureté rituelle du cannabis, mais concerne avant tout la question de

savoir à partir de quelle phase de sa préparation le haschich devient-il réellement un enivrant. Selon

al-Qarāfī, qui cite l’avis d’un faqīh de son époque, si le haschich est absorbé après avoir été torréfié ou

grillé (tuḥammaṣ aw-tuṣlaq) la prière perd sa validité (baṭala), car avec ce traitement les effets

enivrants se dégageraient de la plante, comme c’est aussi le cas pendant la fermentation du jus de

raisin. Al-Zarkašī, par contre, affirme avoir consulté sur ce point un groupe de consommateurs de la

drogue et bien qu’ils ne soient pas d’accord entre eux sur le sujet, il est cependant persuadé que le

haschich enivre aussi bien avant qu’après que ses feuilles ou ses grains ont été grillés et par

conséquent la prière de celui qui en a absorbé dans les deux cas n’est plus valable

141

. Ensuite, l’auteur

s’interroge sur les situations dans lesquelles la consommation de haschich n’est pas interdite. D’abord

il affirme qu’une petite quantité de haschich est autorisée, du moment qu’elle n’enivre pas. Mais sur ce

dernier point, il n’y a pas d’unanimité: pour certains savants, contrairement au vin dont la