III. 1. “Kull muskir ḫamr wa kull ḫamr ḥarām” : premiers pas vers la condamnation juridique du
VI.2. L’imaginaire
اهكرتا كبلق بعتت ةشيشحلا اولاق
اهكرفتو اهصمحت ميد تنا امف
اهكردت سيل ىنيعم اهيف تلقف
اهكرح مهولا اهزكل ول مكلوقع
(Éd. 44:25-31)
Si l’on retient la définition de l’insensé présentée par Ibn al-Ğawzī, nous ne manquerons pas
de noter ici l’affinité avec le désordre psychique entrainé par le haschich évoqué par al-Badrī lorsqu’il
affirme:
On dit que l’on mange avec [le haschich] les aliments les plus raffinés et les pâtisseries les plus nobles, puis on s’assoie dans l’endroit le plus agréable et, en compagnie des frères, on se met à parler de ce qui existe et ce qui n’existe pas (yataḥaddaṯu bi-šay’ kāna wa-bi-šay’ lā kāna)82.
Ailleurs dans la Rāḥa al-Badrī définit ce même concept par l’expression iḍṭirāb al-ʿuqūl (Éd.
64:5) que nous pourrions traduire, un peu librement, par trouble ou confusion psychique. En effet,
nombre d’anecdotes dans la Rāḥa évoque ce décalage entre la réalité contingente et donc réelle et une
illusion qui est la transposition en images de la réalité psychique du haschichin
83.
Par exemple on raconte qu’un haschichin après avoir absorbé une dose de drogue s’était assis
à l’heure du coucher du soleil dans un pré vert à côté d’un ruisseau. Quand les effets de la drogue lui
arrivèrent au cerveau (wa-ṭalaʿat fī dimāġihi), les vers qui rongeaient son imagination (qawādiḥ
ḫayālihi) lui firent renverser la tête sur le bord rocailleux de la rivière de tel sorte que l’humidité de
l’eau lui arriva jusqu’au visage. Puis, il commença à sentir le sommeil et aurait voulu dormir mais
secoua sa tête pour se réveiller. En se relevant, il vit que près de lui il y avait un homme avec un bélier
avec des cornes que son maître cherchait de retenir à cause de son ardeur naturelle. Mais quand
l’homme enivré se rendit compte que la bête avait été laissée paître librement, pensa que le bélier qui
secouait sa tête voulait lui filer un coup de corne. Alors le haschichin l’attaqua en premier mais le
bélier le frappa sur le front avec toute la force de sa corne. Le sang coula du front du haschichin et son
turban tomba dans l’eau. Les gens qui passaient s’arrêtèrent et le découvrirent enivré par le haschich
(yağidūnahu maṣṭūlan)
84.
82Éd. 37:3-4.
83 Jacques Derrida avait très bien formulé ce décalage en termes d’un conflit qui mine l’idée même de la
mimesis: “Que reproche-t-on au toxicomane? Ce qu’n ne reproche jamais ou jamais au même degré à l’alcoolique ou au fumeur de tabac : de s'exiler, loin de la réalité, de la réalité objective, de la cité réelle et de la communauté effective, de s’évader dans le monde du simulacre et de la fiction. On lui reproche le goût pour quelque chose comme l’hallucination [...] : la drogue ferait perdre le sens de la vraie réalité. C’est toujours au nom de cette dernière que l’interdit est prononcé, me semble-t-il, en dernière instance. Le toxicomane, on ne lui reproche pas la joussance même, mais un plaisir pris à des expériences sans vérité”, J. Derrida, Rhétorique de la drogue, dans J. Derrida, Points de suspension. Entretiens, textes choisis et présentés par E. Weber, Éditions Galilée, Paris 1992, p. 249.
Si nous comprenons bien le texte, le haschichin voyant sa propre image secouer la tête sur le
reflet de l’eau, il se prend pour un bélier qui voulait l’attaquer. Le haschichin réagit de façon
inattendue à une menace imaginaire, se comportant comme une bête dotée de corne ferait dans la
même situation. En d’autre terme, le haschichin passe du ʿāqil au ġayr ʿāqil, de l’humain à l’animal.
Même à une situation imaginaire sa réponse reste inadéquate, l’humain et l’animal se confondent et les
différences sont annulées au profit, encore une fois, de l’identité.
Ici l’image des “vers qui rongent son imagination”, qawādiḥ ḫayālihi, introduit un élément
ultérieur à notre discussion, à savoir la réaction du haschichin à une erreur de sens peut aussi être la
projection sur la réalité d’une série d’images sous forme d’hallucinations effrayantes où l’effet
comique est régi par l’incongru et l’étrange. Comme dans cette anecdote où deux ğuʿaydī-saprès avoir
mangé et bu ensemble dans le magasin d’un tel, absorbèrent de la drogue. Quand les vapeurs du
haschich montèrent dans leurs têtes et leurs gorges se déséchèrent, l’un dit à l’autre d’aller remplir une
cruche d’eau. Entretemps, un marchant de manfūš passa et celui qui était resté dans le magasin acheta
un grand manfūš pour une demie pièce d’argent et le plaça devant lui en attendant le retour de son
compagnon pour le manger ensemble. Cependant, à cause de la somnolence provoquée par la drogue,
la tête lui tomba sur le manfūš et se colla à son visage et, comme si de rien n’était, il continua à délirer
(yasrudu) avec le manfūš collé à la figure. Quand son compagnon rentra dans le magasin et vit un
grand visage d’une teinte rouge qui bougeait, il recula effrayé par ces images pernicieuses (ḫayālātihi
al-fāsida) si bien que la cruche lui tomba des mains. Puis, il cria: “Ô musulmans, ils sont apparus les
démons! Ô musulmans, l’habitant [le ğīn] du magasin s’est manifesté!”. Alors, les gens affluèrent à la
porte du magasin trouvant son compagnon assis, enivré par le haschich et avec un manfūš collé à la
figure. Et ils rirent beaucoup des deux
85.
Le sentiment de menace provoqué par les hallucinations est aussi à la base d’une autre histoire
où un haschichin assis dans son magasin avait absorbé l’équivalent d’une datte de haschich. Puis les
vapeurs prirent possession de ses yeux et il se mit à délirer (yasrudu). Quand il reprit connaissance
(afāqa), il faisait déjà nuit et il aperçut une forte lumière qui passait par le seuil de la porte et
remplissait son magasin. C’était la lanterne du voisin d’en face qui l’utilisait pour illuminer la rue,
mais le haschichin s’imagina que son magasin était en flamme, alors il cria: “Ô musulmans, l’incendie
(al-ḥarīq)! Ô musulmans, au feu (al-nār)! Alors, les voisins s’approchèrent et lui hurlèrent d’ouvrir la
porte mais il dit qu’il ne pouvait pas bouger à cause des flammes et demanda de l’aider avec de l’eau.
Alors tous lancèrent autant d’eau par le seuil de la porte que le magasin fut inondé et il cria: “Ô
musulmans, l’inondation (al-ġarīq)!” Et c’est alors que quelqu’un défonça la porte avec un coup de
pied et trouva le haschichin dans son lit, les yeux fermés (wa-ʿaynayhi muġmaḍa) comme s’il se
noyait. Il n’y avait pas de feu chez lui mais seulement la lumière de la lampe du voisin d’en face.
Ainsi, ils se rendirent compte de ce fait et ils se tordirent tellement de rire qu’ils en tombèrent à la
renverse
86.
Dans une autre histoire on raconte qu’un haschichin habillé en faqīh était assis au milieu d’une
assemblée dans un lieu de plaisir
87. Quand il fut l’heure de la prière de la fin de l’après-midi, ils lui
demandèrent de faire l’imam puisqu’il était habillé comme un faqīh. Mais les vapeurs du haschich lui
étaient montées à la tête et des images s’enflammèrent dans ses yeux (wa-kāna qad ṭalaʿa buḫāruhā
bi-ra’asihi wa-qadaḥat fī ʿaynayhi ḫayālātuhā). Puis, il fit la première inclination et il pouvait
apercevoir entre ses jambes que ceux qui le suivaient étaient, eux-aussi, inclinés. Cependant des
images troublantes sous forme de figures inventées prenaient vie devant ses yeux (fa-inʿakasat fī
naẓrihi ḫayālātuhu al-fādiḥa bi-alwān al-ṣuwar al-mawhima) et il crut voir des fidèles s’approcher de
lui avec l’intention de lui voler son turban ou son mindīl. Alors il prit ses sandales et quitta la prière en
courant pour se sauver mais il se retrouva au milieu de l’eau avec son turban trempé. Les gens allèrent
le chercher et son secret fut dévoilé devant eux
88.
Dans les anecdotes que nous venons de citer, le haschichin après avoir pris la drogue, fait
l’expérience d’une réaction physiologique par la montée de vapeurs (buḫār) vers le cerveau qui,
ensuite, donne lieu, au niveau psychique, à la formation d’images. Ce mécanisme a été partialement
synthétisé par al-Badrī lui-même vers la fin de la Rāḥa comme suit:
[Le haschich] enivre la raison et corrompt le corps (muskira li-l-ʿaql wa-mufsida li-l-badan). Des savants ont dit: qui voudrait voir comment le haschich agit sur son foie et son cœur, il lui suffit d’en prendre une petite quantité qui, une fois réduite en poudre, sera ensuite dispersée sur une rate ou un foie rôtis. Après une heure, [la poudre de haschich] aura pénétré toutes les parties en se répandant comme le sang, jusqu’à les décomposer et les remplir de trous [par l’action des vers] comme une éponge. Je dis que ce [même] fort effet n’est atteint que dans le mélange [du haschich] avec l’ammoniac de l’urine car l’ammoniac de l’urine lorsqu’il est concentré fait la même chose. Or si le haschich a cet effet sur le foie ou la rate rôtis dans la froideur externe, que va-t-il se passer s’il rentre dans l’estomac et se colle au foie ou au cœur qui, lui, est la source de l’intensité de la chaleur innée? Ces deux [l’estomac et le cœur] seront autant aspergés par la drogue et percés par la force de sa nature sèche que des vapeurs néfastes atteindront la lumière de la raison, qui a sa place dans le cœur, jusqu’à arriver au milieu du cerveau où [ces vapeurs] feront comme des épais nuages et la lumière qui permet de discerner ne distinguera plus ce qui est bien de ce qui est mauvais89.
Donc les vapeurs qui se produisent par le contact entre le haschich et l’estomac ou le cœur,
réceptacle, ce dernier, de la raison
90, sont censés embrouiller la perception. Alors la réalité apparaît
comme déformées et des images, ḫayālāt, sous forme d’hallucinations effrayantes, se présentent
devant les yeux enflammés par la drogue du haschichin. L’idée que l’expérience toxique soit
intimement liée à la création d’images et d’illusions avait été déjà soulignée par Quṭb Dīn
al-Qasṭallānī (614-686/1218-1287) et Ibn Taymiyya (661-728/1263-1328) pour qui les images (ḫayālāt)
86Éd. 27:3-10. Sur l’expression: inqalabū bi-l-ḍaḥik voir R. Dozy, Supplément, vol. 2, p. 389.
87 “fī l-muftarağ”, pour R. Dozy, Supplément, vol. 2, p. 249 c’est “un lieu où on s’amuse ou mauvais lieu”, interprétant l’expression amākin al-muftarağāt chez Ibn Iyās, Badā’iʿ, vol. 1/1, p. 325 et 566, vol. 1/2, pp. 364-365 et 448, vol. 2, p. 43, 61, 63, 202, 347 et 394, vol. 3, p. 116, 120, 280 et 363, vol. 5, p. 270 et 397. Voir aussi R. Dozy, Dictionnaire détaillé des noms des vêtements chez les Arabes, Jean Müller, Amsterdam 1845, p. 274. 88Éd. 25:24-27.
89Éd. 70:19-71:4.
et les illusions (awhām) provoquées par le haschich étaient un danger constant à l’intégrité de la raison
et du discernement. En outre, Ibn Taymiyya avait aussi parlé du plaisir que ces images (laḏḏa
wahmiyya)
91pouvaient provoquer chez le consommateur de la drogue comme signe et preuve de son
caractère néfaste car ses illusions sont des substituts artificiels et corrompus de la réalité.
Quant au terme ḫayāl et taḫyīl, nom verbal de ḫayyala, ils ont fait l’objet d’une complexe
réflexion critique dans diverses disciplines telle que la philosophie, la rhétorique, la logique et la
critique littéraire, et impliquent tous deux l’idée de créer ou d’évoquer des images et de donner
l’illusion de quelque chose, tout comme le reflet dans le miroir, l’image de l’ombre, l’apparition d’un
fantôme donnent l’apparence de la réalité
92. Marlé Hammond a aussi montré que, bien que l’influence
de la philosophie grecque, notamment De Anima de Aristote, ait joué un rôle fondamental dans la
redéfinition conceptuelle du terme taḫyīl, qui, du moins dans la phase initiale de la réception des
ouvrages du philosophe grec, a été utilisé pour traduire le mot “phantasia”, l’idée originelle du terme
arabe ḫayāl - le fantôme ou l’ombre de la bien-aimée que visite le poète pendant la nuit - semble
toutefois avoir offert une condition favorable à l’emprise de certaines conceptions aristotéliciennes.
C’est notamment le double rôle d’évocateur et de provocateur propre au cliché poétique du ḫayāl ou
fantôme, qui est le fait d’évoquer une idée par l’imitation - muḥākāt dans la terminologie d’al-Fārābī
(m. 339/950) - et de provoquer, ensuite, une émotion dans celui qui lit/écoute les vers, qui aurait
facilité la réception des concepts du philosophe Stagirite
93. Plus en détail, dans le Kitāb al-šiʿr
d’al-Fārābī les trois termes šiʿr, taḫyīl et muḥākāt contribuent ensemble à la définition d’une théorie
poétique où le texte, faisant recours à l’imitation par le biais de la similitude, de la métaphore ou de
l’analogie, produit chez le récepteur un sentiment d’attraction ou de répulsion par l’évocation d’une
image (taḫyīl)
94. Or cette idée d’évocation poétique par l’image nous semble être clairement évidente
dans l’usage du verbe taḫayyala dans une des anecdotes de la Rāḥa où deux poètes, Ḫalīl Ibn al-Faras
et Abū l-Faḍl Ibn Abī al-Wafā, composent chacun une épigramme: Ḫalīl Ibn al-Faras improvisa ces
vers:
Ô mon nadīm, remplie ma coupe de la pureté du meilleur vin Puis, dispose-la avec délicatesse sur un iwān95et un coussin
tandis qu’Abū l-Faḍl Ibn Abī al-Wafā composa cette épigramme:
Souvent un haschichin est comme un insenséil prend à la légère l’absorption des graines quand les gens le voit
91Éd. 68:23.
92 Voir l’analyse d’ensemble des différents usages du terme takhyīl faite par W. Heinrichs, Takhyīl: Make-Belive, pp. 1-14.
93 M. Hammond, From Phantasia to Paranomasia: Image-evocation and the double-entendre in Khalīl Ḥāwī’s “The Mariner and the Dervish dans G. J. van Gelder, M. Hammond (éds), Takhyīl, pp. 274-277.
94 Al-Fārābī, Treatise on poetry, dans G. J. van Gelder, M. Hammond (éds), Takhyīl, p. 17; voir aussi N. Matar, Afarabi on the Imagination, dans College Literature 23, 1, 1996, p. 102 et p. 107.
il nie tout alors qu’il continue à les manger
Les deux poètes commencèrent à se disputer sur la question de savoir quelle composition était la
meilleure. Alors ils demandèrent au shaykh Šihāb al-Dīn al-Ḥiğāzī de juger mais ce dernier affirma
qu’il ne savait pas quelle composition était la meilleure car elles étaient toutes les deux correctes et
admirables. Mais quand les deux poètes protestèrent al-Ḥiğāzī ajouta: “Mon seigneur Ḫalīl, tu as
évoqué (taḫayyalta) le vin et toi, Abū l-Faḍl tu as évoqué (taḫayyalta) le haschich”, puis il improvisa:
Nous avons deux amis qui ont décrit l’un le haschich et l’autre le vin, avec beaucoup d’esprit L’un a évoqué le vin
l’autre le haschich96
Quoi qu’il en soit, le taḫyīl dont il est question dans la plus part des anecdotes de la Rāḥa se
situe clairement dans le sillage de l’usage classique du mot ḫayāl comme image ou hallucination, du
moment que l’activité psychique du haschichin répond à un processus de déréalisation qui ressemble à
celui du rêve, où l’imagination n’est qu’une transfiguration du réel.
Toutefois il se peut aussi que le rêve et la réalité interfèrent entrainant ainsi une situation
franchement hilarante, comme dans la mésaventure avec le haschich d’Abū al-Ḫayr al-ʿAqqād: le jour
de son mariage un de ses amis lui avait donné une pilule de chanvre (lubāba) pour l’aider à se relaxer
la première nuit de noces avec sa nouvelle femme. Mais l’effet soporifique de la drogue qu’il n’avait
jamais absorbée auparavant fut tel qu’il s’endormit tout de suite après l’avoir absorbée dans le lit de
noces. La mariée au lieu de s’énerver, lui borda la couverture et s’occupa de son enfant à qui elle
murmura de faire son besoin. Mais cet ordre rentra aussi dans les oreilles du mari dormant qui urina et
mouilla le lit. C’est alors que son épouse le secoua en disant: “Que-ce que c’est que ça?”, mais
al-ʿAqqād fit: “Hem!”
97. Puis il se réveilla et, voyant le lit et ses vêtements mouillés, il demanda à sa
femme de lui pardonner et raconta ce qui s’était passé: un de ses amis lui avait dit de prendre une
pilule de haschich mais au lieu de l’aider à se sentir plus à l’aise avec elle la nuit de noces la drogue lui
avait fait perdre connaissance, le monde avait commencé à tourner tout autour, puis il ressentit le
besoin d’uriner et rêva d’aller aux toilettes mais quand quelqu’un frappa à la porte, il dit “Hem!” pour
signaler sa présence. Et c’est alors qu’il s’était réveillé dans cet état pénible. Sa femme, au lieu de faire
un scandale, garda le secret de cette défaillance de son mari qui, malgré ce qui c’était passé, continua à
prendre la drogue mais en moindre quantité que dans sa toute première et embarrassante expérience
avec le haschich
98. Cette histoire évoque d’une part le sujet de la perte des inhibitions causée par la
drogue et de l’autre le motif de l’adulte incontinent qui mouille encore le lit. Le premier sujet sera
reformulé dans la conclusion de la Rāḥa comme suit: “parmi les avantages [du haschich] c’est que si
tu disais à l’oreille de l’enivré par le haschich (maṣṭūl) qui dort: ‘Tu es dans la latrine, [vas-y] fait ton
96Éd. 32:22-33:16.
97 Nous avons rendu l’interjection arabe “iḥm!” à la ligne Éd. 32:14 et Éd. 32:17qui sert avertir par le français “hem!” sur la base de R. Dozy, Supplément, vol. 1, p. 11.
débit (bul)’, il s’urinerait dessus tout de suite”
99. La même perte des inhibitions est porté au paroxysme
dans la description d’Abū Ğurṯūm al-Ḥimṣī que la drogue avait rendu comme un fou (ka-l-musthām),
si bien qu’il chantait, dansait et agitant sa verge urinait tout autour de lui ayant complétement perdu le
sens de la décence
100. Quant au deuxième motif, il nous semble pouvoir le comparer à un conte fort
similaire qui nous est parvenu en deux variantes: une est celle du Kitāb rabīʿ abrār wa-nuṣūṣ
al-aḫbār de Maḥmūd Ibn ʿUmar al-Zamaḫšarī (m. 538/1144) et l’autre est contenu dans le Kitāb
al-mustaṭraf fī kull fann al-mustaẓraf de Muḥammad Ibn Aḥmad al-Ibšīhī, décédé autour de la moitié du
IXe/XVe siècle. Bien que les différences entre les deux versions soient très marginales, nous citerons
ici la variante du Mustaṭraf dans la traduction de Gustave Rat (m. 1910):
Une femme désirant se séparer de son mari le cita à comparaitre devant le Qâḍî et l’accusa de pisser au lit chaque nuit. «O mon maître, dit l’individu au Juge, ne te presse point de me condamner; attends que je t’aie raconté mon histoire. Quand je dors, il me semble voir en rêve que je suis dans une île, située au milieu de la mer, où se trouve un château élevé, surmonté d’un dôme fort haut au sommet duquel il y a un chameau sur le dos duquel je suis juché et que ce chameau baisse la tête pour boire l’eau de la mer. Ce mouvement me cause une telle frayeur que je ne puis me retenir de pisser.» En entendant ces paroles, le Qâḍî pissa sur son siège et dans ses culottes et s’écria: «O mon brave, ton récit est si terrifiant que je n’ai pu m’empêcher de pisser, [rien qu’en l’entendant]; quel effet plus terrifiant encore doit donc produire cette situation sur la personne qui s’y trouve directement engagée!»101