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A ce jour, la multitude des phénotypes attribués aux LATs rend très difficile l’établissement d’un modèle unique permettant d’expliquer leurs modes d’action.

Au vu de la complexité du locus des LAT, il est possible d’imaginer que les produits de celui-ci puissent agir par différents mécanismes via plusieurs voies simultanément pour promouvoir la latence et la réactivation. Il est assez commun de penser que la diversité des transcrits codé par le locus lui-même puisse être la source des différents phénotypes à ce jour

71 observés. Néanmoins, si on se base sur l’ensemble des données disponibles, on peut réduire à une seule région l’attribution des phénotypes portés par des virus mutants pour les LAT. Cette région est définie par le promoteur LAP1 et le LAT majeur de 2kb.

Cette limitation conduit à proposer un modèle d’action sur la régulation et le maintien de la latence par les LAT à deux niveaux.

Dans un premier temps il semblerait que le promoteur LAP1 et sa région avoisinante n’aient pas qu’un rôle sur la transcription des LATs majeur et mineur. Ils pourraient aussi jouer le rôle d’enhancer capable d’activer la transcription de gènes codants pour des protéines impliquées dans le maintien et l’établissement de la latence (cellulaires et/ ou virales), en jouant sur l’état de la chromatine des gènes concernés (figure 19).

Figure 19 : Schématisation du mode d’action du locus des LAT sur l’expression de gènes viraux et cellulaires

Ce rôle de « super enhancer» sur l’expression de gènes viraux et cellulaires a en partie été démontré pour les gènes viraux avoisinants ou présents dans le locus des LAT (notamment ICP0) expliquant ainsi comment LAP1 peut favoriser l’établissement de la latence en bloquant l’expression de gènes qui sont défavorables à celle-ci et en en activant d’autres qui lui sont propice. Ce modèle souffre néanmoins de lacunes. En effet, le blocage ou l’activation spécifique des gènes cellulaires, impliquerait la présence de génomes viraux au voisinage de

72 ceux-ci. Cela se heurte à deux problèmes : premièrement, il a été démontré que des neurones infectés de façon latente pouvaient héberger un nombre variable de génomes viraux (Lomonte et al, 2012). Cette variabilité implique que le nombre de locus des LAT pouvant agir à différents endroits du noyau est aléatoire et donc que le nombre de gènes potentiellement régulés l’est aussi. Deuxièmement, il est convenu de penser que si le LAT pouvait agir en trans sur d’autres gènes cellulaires, cela supposerait que les génomes viraux seraient distribués toujours de la même manière (au voisinage des gènes à réguler) dans des neurones latents, or à ce jour il n’existe aucune étude permettant de dire que la distribution des génomes latents n’est pas aléatoire.

La seconde partie du modèle concerne le mode d’action du LAT de 2kb qui à ce jour est vu comme un ARN non codant puisque aucune protéine fonctionnelle n’a jamais été obtenue à partir de celui-ci. Par ailleurs, le LAT2kb n’est ni coiffé, ni polyadénylé. Ceci et son statut d’intron rendent difficile son export hors du noyau et expliquent pourquoi il n’est pas retrouvé libre (ou seulement en très faible quantité) dans le cytoplasme des cellules infectées de façon latente. Enfin, sa structure en lariat et l’absence de maturations propres aux ARN messagers rendent très peu probable la possibilité, qu‘il puisse être pris en charge puis traduit par les ribosomes pour donner naissance à une protéine. C’est pourquoi, la possibilité que son action puisse se faire via la traduction d’une protéine « couteau suisse » qui serait capable de bloquer ou de modifier les différentes voies de signalisation est hautement improbable.

Un ARN non codant (ou ARNnm pour ARN non-messager) est un ARN, issu de la transcription de l'ADN, qui ne sera pas traduit en protéine par les ribosomes. L'importance quantitative et fonctionnelle des ARN non codants a été très longtemps sous-estimée. On en connaît aujourd'hui une grande diversité. Par exemple, alors que seulement 1,2% du génome humain est traduit en protéine, il apparait qu’une bien plus grande partie est transcrite en ARN. Les ARN non-codants assurent diverses fonctions pour la plupart déterminées par la structure spatiale qu’adopte la molécule d’ARN en se repliant sur elle-même (ou en interagissant avec sa cible - souvent un autre acide nucléique -).

Avec actuellement plus de 600 familles d’ARN non-codants connues et répertoriées dans des banques de données, il est difficile d’établir à quelle famille le LAT2kb pourrait appartenir et donc d’en déduire un mécanisme d’action précis. Dans l’hypothèse où le LAT serait un ARN non codant il est essentiel que la fonction de celui-ci permette d’expliquer

73 l’ensemble des phénotypes observés. Certaines observations sur les caractéristiques du LAT peuvent néanmoins orienter notre réflexion.

Ainsi, une des particularités du LAT de 2kb est d’être un intron épissé lors de la maturation du LAT mineur. L’étude de la distribution des tailles des introns, au sein d’espèces allant de la plante à l’homme en passant par la mouche et la souris, a révélé que les introns de grande taille (supérieure à 1 kb) n’étaient pas les plus répandus au sein du monde eucaryote (Figure 20). Il semblerait donc que le virus de l’herpès ait gardé ou acquis au cours de son évolution un intron d’une taille peu fréquente. Cette observation est d’autant plus notable que le virus code pour plus de 100 transcrits parmi lesquels seuls cinq (LAT inclus) sont épissés.

Figure 20: distribution de la fréquence des introns en fonction de leur tailles au sein de quatre espèce :Arabidopsis thaliana; Drosophila melanogaster; l’homme, et la souris. (Hong et al. 2006).

Une autre particularité du LAT de 2 kb est qu’il se maintient sous la forme d’un lariat stable. Le maintien de la structure en lariat est dû au fait que lors de l’épissage, le 2'-OH du ribose responsable de l’attaque sur le phosphate de la jonction exon-intron en 5’ n’est pas porté par une adénosine mais par une guanosine. La liaison ainsi formée ne serait pas reconnue par l’enzyme impliquée dans l’étape de débranchement nécessaire à la libération de

74 l’intron (dans le cas présent le LAT de 2kb). L’attaque nucléophile du 2'-OH du ribose sur la guanosine est orientée grâce à la formation d’une tige boucle qui faciliterait ainsi la présentation du nucléotide (Krummenenhacher et al 1997). Le maintien sous forme circulaire de l’ARN empêcherait alors l’action des Rnases cellulaires contribuant au moins partiellement à la stabilité du LAT 2kb dans la cellule infectée (Mukerjee 2004, Wu 1996, Wu 1998, Ng 2004, Krummenacher et al 1997) .

De plus, la richesse en GC du LAT de 2kb environ 66% ainsi que le grand nombre de séquences répétées (stretch de T ; stretch de A ; stretch de G et de C) suggère aussi que le LAT est un ARN qui possède une structure secondaire complexe (Figure 21).

Nucleotides Nombre Pourcentage

A 320 16,37

C 735 37,60

G 555 28,39

T 345 17,65

Figure 21: fréquence de chaque nucléotide retrouvé dans la séquence du LAT2kb.

L’idée que le LAT adopte une conformation secondaire hautement structurée, le rendant résistant à la dégradation, est supportée par sa capacité à s’accumuler dans les neurones infectés de façon latente ainsi que par sa grande demi-vie estimée à 24h (Thomas et al 2002). Comme pour les autres ARN, trois types d’interactions détermineraient la stabilité de la structure du LAT. La première est une contribution électrostatique liée à la formation des liaisons hydrogènes entre les bases. La seconde est l'empilement des plateaux des paires de bases (stacking) qui donne naissance à des interactions de van der Waals. La troisième composante est l'interaction avec le solvant aqueux et les ions de la solution dans laquelle se trouve le LAT, en particulier la présence de cations divalents comme Mg2+, souvent nécessaires pour neutraliser la charge des groupements phosphate du squelette de l'ARN. Le repliement et la formation d'une structure tridimensionnelle par l'ARN implique en effet le rapprochement de ces groupements phosphate, ce qui est défavorable en l'absence de contrions. Le groupement 2'-OH porté spécifiquement par les riboses de l'ARN (mais absent dans l'ADN) joue également un rôle dans la stabilité et la formation de la structure, en formant des liaisons hydrogènes avec les bases.

75 Par ailleurs, certains ARN peuvent adopter plusieurs conformations alternatives en fonction de la liaison d'un ligand (protéine, petite molécule...) ou des conditions physico-chimiques (force ionique, pH). Cette constatation pourrait alors expliquer pourquoi le LAT de 2kb ne s’accumule que dans les neurones où les conditions physico-chimiques seraient favorables à la formation de sa structure secondaire puis tertiaire.

L'existence de structures secondaires et tertiaires bien définies dans les ARN est un des éléments importants de la fonction d'un certain nombre d'entre eux. Ces structures leurs permettent de former des sites de liaison pour des ligands sélectifs, petites molécules ou protéines, et, pour les ribozymes, elles leurs permettent d'assurer des fonctions catalytiques. Ainsi la supposition que le LAT2kb possède une organisation structurelle complexe suggère qu’il peut posséder des fonctions précises qui peuvent être modulées par son environnement physico-chimique ou par son association à d’autres molécules.

II.13

Comment un intron de grande taille sous forme circulaire