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CHAPITRE 1 - ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE

1.3.2. Les peptides vecteurs (Cell-Penetrating Peptides)

1.3.2.3. Mécanismes d’internalisation des CPP

1.3.2.3.1. Deux mécanismes, un point de départ commun

Il existe deux classes de mécanismes pour l’internalisation des CPP : les mécanismes énergie-dépendants employant les voies d’endocytose, et les mécanismes énergie-indépendants consistant généralement en une translocation directe du CPP à travers la membrane. Chaque CPP peut employer un ou plusieurs de ces divers mécanismes à des proportions différentes. Le mécanisme d’entrée d’un CPP est un problème multifactoriel impliquant la température, le ratio peptide/cellule, le type cellulaire ou encore la nature de la cargaison244–246.

La première étape communément acceptée de l’internalisation des CPP cationiques ou amphipathiques est une interaction de leurs résidus cationiques (en particulier les arginines) avec les charges négatives des phospholipides ou de motifs présents à la surface de la cellule, tels les protéoglycans à héparane sulfate (HSPG) ou les glycosaminoglycans (GAG)247–251. Cette interaction est le point de départ commun des mécanismes d’endocytose et de translocation directe.

1.3.2.3.2. Acides aminés et facteurs influençant l’internalisation des CPP

Les acides aminés cationiques et les tryptophanes sont cruciaux pour l’internalisation cellulaire. En particulier, les arginines permettent une interaction bidentate du CPP avec les composants anioniques de la membrane tels que les phospholipides ou les GAG247,252, d’où leur présence dans la majorité des CPP. Cette interaction peptide-membrane fut d’ailleurs longtemps un biais de la quantification de l’internalisation des CPP, le peptide accroché à la membrane extracellulaire provoquant une surestimation213,253. Les tryptophanes sont également importants car ils participent à l’insertion du CPP dans la membrane245,254–258. De façon générale, le potentiel de transfection d’un CPP résulte de sa capacité à interagir avec les motifs anioniques et/ou les lipides.

En plus du contenu du CPP en arginine et en tryptophane, des études de SAR ont souligné l’influence de paramètres comme la longueur de la séquence, la nature de l’extrémité C-terminale, le nombre de charges et le degré d’amphipathicité sur l’efficacité de transfection259. La capacité de certains CPP à présenter un

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polymorphisme de structures secondaires est également un paramètre important : pouvoir se structurer en hélice a au contact des membranes renforce l’efficacité de transfection de certains CPP200,260–262. La régularité de l’espacement des tryptophanes est également un facteur-clé, notamment pour les CPPas256,263,264. En revanche, la stéréochimie du peptide ne semble pas jouer de rôle particulier car des analogues de Tat et de Pen constitués d’AAD ont montré une efficacité d’internalisation similaire voire améliorée, indiquant l’absence d’une internalisation récepteur-dépendante254,265.

1.3.2.3.3. Internalisation par les voies d’endocytose

L’endocytose est le mécanisme général de transport de molécules et de particules vers l’intérieur de la cellule. Deux sous-catégories de mécanismes endocytiques sont la phagocytose, qui est l’ingestion de particules de grande taille (à partir du micromètre) par certaines cellules spécialisées, telles que les macrophages ; et la pinocytose, qui regroupe un ensemble de processus ubiquitaires d’internalisation de solutés et de biomolécules par les cellules247. Parmi d’autres, on distingue trois voies principales de pinocytose, appelées par extension « voies d’endocytose » (Figure 1.20) : la voie cavéoline-dépendante (médiée par un sous-type de rafts lipidiques, des zones enrichies en sphingomyéline et cholestérol), la voie clathrine-dépendante, et la macropinocytose plutôt non-spécifique. Marginalement, il existe aussi d’autres voies d’endocytose indépendantes de la clathrine et de la cavéoline.

Figure 1.20. Mécanismes d’endocytose.

(1) La phagocytose est un mécanisme spécifique des cellules immunitaires qui permet l’absorption et la dégradation lysosomale de particules de taille supérieure au micromètre. (2) Endocytoses clathrine- et cavéoline-dépendantes : lorsqu’une molécule se fixe sur des zones de la membrane présentant de la clathrine ou de la cavéoline, elle est progressivement piégée dans une invagination de la membrane puis séparée du milieu extracellulaire par la dynamine. La vésicule est alors convertie en endosome précoce, puis progressivement acidifiée (endosome tardif) pour être finalement dirigée vers le lysosome. (3) Lors de la macropinocytose, la cargaison est progressivement entourée par des filaments d’actine qui forment une vésicule. Cette vésicule est ensuite dirigée vers le lysosome de la même façon que pour les autres voies d’endocytose. (4) Les voies indépendantes de la cavéoline et de la clathrine impliquent une invagination de la membrane et peuvent recourir ou non à la dynamine. La vésicule est ensuite dirigée vers le lysosome. Adapté de Mayor et Pagano270.

49 L’un des critères de décision parmi ces voies d’internalisation peut être associé à la taille de la cargaison à internaliser. Il a notamment été décrit que la voie clathrine-dépendante est généralement adaptée aux molécules et particules de taille inférieure à 200 nm et la voie cavéoline-dépendante aux particules de taille comprise entre 200 nm et 1 µm ; de même, la macropinocytose peut impliquer la formation de vésicules allant de 500 nm à 5 µm de diamètre266. Enfin, dans le cadre de l’internalisation de CPP, ces valeurs sont à comparer à la taille de la cargaison délivrée, ou à l’éventuel auto-assemblage de CPP pour ce qui concerne les stratégies non-covalentes.

De nombreux CPP tels Tat, Pen et Arg9 peuvent emprunter simultanément les trois voies d’endocytose267. Il est également fréquent que dans des cellules où l’une des voies d’endocytose est inhibée ou faiblement efficace, la cellule compense cette défaillance en activant ou suractivant d’autres mécanismes, conduisant alors à l’internalisation des CPPs selon ces autres voies. Alternativement, il est envisageable que certains CPP puissent s’adapter à la défaillance de certains mécanismes d’internalisation en empruntant une autre voie d’internalisation268,269.

1.3.2.3.4. Internalisation par translocation directe

L’interaction entre les résidus cationiques des CPP et les composants anioniques de la membrane (phospholipides, GAG…) mène à une compensation des charges252. Le complexe résultant peut perturber localement la membrane cellulaire et faciliter l’interaction d’éventuels résidus hydrophobes du peptide avec les chaînes lipidiques. A la suite de cette interaction, divers modèles proposés sur la base d’approches expérimentales sont proposés pour la translocation énergie-indépendante de CPP à travers la membrane (Figure 1.21).

Un premier modèle largement accepté pour les CPPas est celui en barrel-stave271,272. Après complexation des phospholipides par les charges positives des CPP, ils se structurent en hélice a et s’assemblent de façon cylindrique dans les membranes. Ils associent alors leurs résidus hydrophobes entre eux et dirigent leurs résidus hydrophiles vers les têtes phosphate polaires des phospholipides. Ce mécanisme correspond à des CPPas dont le caractère global est plus hydrophile qu’hydrophobe, et qui interagissent principalement avec les phospholipides anioniques273,274. Ce modèle implique une perturbation mineure de la bicouche lipidique et peut donc être associé à une toxicité moindre.

Le mécanisme du pore toroïdal n’est quant à lui pas spécifique des CPPas272,275. Il est très similaire au modèle en barrel-stave, à la différence que le CPP ne se structure pas nécessairement en hélice et que les résidus hydrophobes sont cette fois dirigés vers les chaînes lipidiques. Une réorganisation importante des lipides est requise pour rompre l’interaction électrostatique CPP-phosphate et former des interactions hydrophobes CPP-chaînes lipidiques : cela peut causer une déstabilisation plus forte de la membrane et donc une certaine cytotoxicité. Ce modèle est plus souvent associé aux CPPap dont le caractère global est plus hydrophobe qu’hydrophile, qui interagissent autant avec les phospholipides anioniques que neutres et qui induisent des pores à plus faible concentration que les CPPas273,274.

Pour les peptides fortement cationiques, le modèle de la micelle inverse prévoit que l’interaction électrostatique CPP-phospholipide perturbe la bicouche lipidique, ce qui affecte son rayon de courbure et crée une invagination dans la membrane menant à la formation d’une micelle à cœur hydrophile qui encapsule le CPP. Cette structure réduit les contacts entre les charges positives du CPP et les chaînes grasses

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lipidiques277. Ce phénomène se répète ensuite dans le sens inverse pour ouvrir la micelle vers le cytosol. Ce mécanisme a été constaté pour des CPPna comme Tat278.

Figure 1.21. Modèles de translocation directe.

(1) Modèle en pore toroïdal : les CPP s’introduisent dans la bicouche lipidique et s’arrangent de façon à former un pore dont la face extérieure porte les résidus hydrophobes et interagit avec les chaînes lipidiques. (2) Modèle en barrel-stave : de façon similaire, les CPP s'arrangent en hélice α et forment un pore où la face extérieure porte cette fois les résidus hydrophiles. (3) Modèle de la micelle inverse : l’accumulation de CPP courbe la membrane, qui crée une invagination et forme une micelle membranaire où les têtes polaires des lipides interagissent avec les charges cationiques des CPP. (4) Modèle du tapis : le CPP s’accumule à la membrane jusqu’à atteindre une concentration critique où la membrane est déstabilisée et devient perméable aux CPP. Adapté de Trabulo et al276.

Enfin, un dernier modèle est celui du tapis (carpet), qui prévoit l’accumulation massive de CPP à la membrane plasmique : une fois une concentration critique atteinte, le CPP désorganise de façon importante la structure lipidique pour permettre son passage à travers la membrane274. Ce mécanisme peut être assimilé à une sorte d’électroporation locale279, associée à un fort ratio peptide/lipide et à une cytotoxicité élevée274. Outre ces modèles, divers mécanismes entrent en jeu, tels que les mécanismes de flip-flop membranaires qui facilitent la fluidité de la membrane et les échanges entre couches lipidiques externe et interne280 et la réparation rapide de la membrane (membrane repair response) qui peut compenser les déstabilisations membranaires lorsqu’elles sont minimes281.

En conclusion, l’importance de ces modèles dans le mécanisme d’entrée d’un CPP repose sur la balance hydrophile/hydrophobe du peptide. Le ratio entre ces deux types de résidus, leur répartition ainsi que des considérations énergétiques (prédominance des interactions électrostatiques ou hydrophobes) guideront le CPP vers des mécanismes provoquant des perturbations lipidiques modérées (modèles barrel-stave et micelle inverse) ou plus fortes (modèles pore toroïdal et tapis), définissant ainsi la cytotoxicité du peptide.

1.3.2.3.5. Endocytose ou translocation directe ?

Les voies d’endocytose permettent l’entrée du CPP et de sa cargaison par les endosomes, un mécanisme « prévu » dans le fonctionnement normal de la cellule qui ne menace pas l’intégrité structurelle des

51 membranes. Mais en absence de reconnaissance particulière, les endosomes sont dirigés vers les lysosomes, ce qui implique le recyclage et la dégradation de leur contenu. L’obtention d’une réponse biologique est donc conditionnée par la capacité des CPP à traverser la membrane endosomale ou à la lyser282. Plusieurs groupes se sont intéressés à cette thématique233,283.

Les CPP employant des mécanismes de translocation directe ne sont pas concernés par le problème du piégeage dans les endosomes. En revanche, leur internalisation implique des déstabilisations temporaires de la membrane qui peuvent être cytotoxiques si elles sont trop durables et/ou intenses284, comme pour les peptides antimicrobiens285. L’efficacité d’un CPP résulte donc d’un subtil équilibre entre efficacité de translocation et perturbation minimale des membranes (Figure 1.22).

De façon générale, les CPP peuvent employer simultanément l’endocytose et à la translocation directe286, mais la balance entre ces deux possibilités est différente pour chaque peptide et chaque type cellulaire. Elle est aussi affectée par certains paramètres comme la taille de la cargaison qui peut favoriser les voies endocytiques ou la concentration élevée de peptide qui peut favoriser la translocation directe267.

Figure 1.22. Endocytose, disruption membranaire et cytotoxicité.

De façon générale, les voies d’endocytose impliquent une toxicité moindre que les mécanismes de translocation directe. Une déstabilisation importante de la membrane mènera à de la cytotoxicité : il est donc souhaitable qu’un CPP entre par endocytose puis s’échappe des endosomes, ou qu’il entre par translocation directe via des mécanismes peu disruptifs (modèle barrel-stave ou micelle inverse). Adapté de Kauffman et al246.

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Chapitre 2

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Objectifs de la thèse et

stratégie développée