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Dans les zones concernées par l’étude, il a été constaté que certaines coutumes ont connu une évolution dans le temps qui a contribué à la réduction et parfois à la disparition de certaines au niveau communautaire. Les personnes rencontrées ont cité entre autres:

- L’abandon des cérémonies rituelles liées à la pratique de l’excision

L’excision et le mariage de la jeune fille se faisaient pratiquement la même année. La cérémonie consistait à regrouper les filles du même âge à exciser et à les faire accompagner par une femme âgée qui leur donnait des leçons de morale sur la vie du couple.

« La réduction de la pratique de l’excision et le changement de l’âge de la pratique sont des facteurs qui ont influencé la pratique du ME. Autrefois on excisait les filles entre 16 et 17 ans en les formant à leur futurs rôles d’épouse et de mère ; elles étaient données en mariage après parce qu’autorisées à avoir des rapports sexuels. Aujourd’hui on excise les filles avant le 40ème jour de leur naissance. Comment voulez-vous éduquer la fille à cet âge? Si elles ne sont pas excisées, avec les médias elles seront sexuellement actives très tôt. » Chasseur de Kouloun, Kayes

«Si vous abandonnez l’excision, il y a toutes les chances de voir les filles être mariées tôt par les parents parce qu’elles deviennent très tôt sexuellement actives. En tout cas je pense qu’il faut marier les filles tôt » Chasseur de Nioro

Aujourd’hui les filles sont excisées avant le quarantième jour de leur naissance. Les cérémonies ont disparu face à la pauvreté et aussi au peu d’importance accordée aux rites de passage de l’enfance à l’âge adulte pour la fille.

Ce sont les femmes, les exciseuses et les leaders communautaires qui sont à la base du rajeunissement de l’âge à l’excision sous l’influence des organisations de défense des droits de l’homme en général et de la femme et fille en particulier.

- Le changement de la nature de la dot

Depuis la nuit des temps, les communautés au Mali ont fixé une dot que la belle-famille doit verser afin d’avoir la main d’une fille. Elle était donnée sous plusieurs formes : en nature (offrir des génisses, de l’or et des habits), en argent, en effort physique (travail dans le champ de la belle-famille). Une importante transformation s’est installée par rapport à cette dot au fil des temps. Il s’agit aujourd’hui du paiement d’un montant qui varie souvent de 50 000 F CFA à 200 000 F CFA.

Cette transformation s’explique par la pauvreté de la majorité des familles (peulh, sarokolés) qui n’ont plus assez de bétail et aussi la sensibilisation des leaders religieux et traditionnels sur la diminution de la dot.

« On ne donne plus d’animaux comme dot. Dans ma famille, on demande 75 000 F CFA»

FGD hommes adultes Nioro.

Ce sont des leaders religieux musulmans et des chefs de famille qui sont à la base de ce changement.

- La réduction de la dot et l’allégement les dépenses du mariage

Le paiement de la dot a connu un changement suite à l’initiative de certains leaders religieux musulmans comme le cas d’un imam de la moquée de Kayes N’Di16.

Encadré N°10 : Exemple d’initiative pour la dot et alléger les dépenses du mariage

 parfois confiée à une personne. Les filles d’une grande famille étaient confiées à une grand-mère ou tante qui veillait sur elles et leurs inculquaient des valeurs héritées des ancêtres comme le respect des parents, les conséquences des rapports sexuels hors mariage, la sauvegarde des vertus comme la virginité, etc.

Aujourd’hui, la communauté a démissionné. L’éducation des enfants revient aux parents directs d’où la difficulté de bien encadrer les filles et les garçons qui sont exposés à d’autres réalités comme la télévision, les films, le téléphone, la mode européenne, etc.

L’individualisme est apparu avec le modernisme. De plus en plus, les familles étendues deviennent nucléaires.

Encadré N°11 : Exemple de mutation par rapport à l’éducation des enfants au sein de la famille

La perte de certaines valeurs ancestrales comme l’honneur et la dignité

Dans la société traditionnelle des peulhs, des sarakolés, et des khasonkés, les valeurs comme l’honneur et la dignité étaient considérées comme le fondement de la communauté. Pour la perpétuation de ces valeurs, les personnes âgées et les gardiens des us et coutumes jouaient un

Notre père Feu Thierno Aliou Ly qui fut Imam pendant 52 ans de la mosquée de Kayes N’Di a fait comprendre aux adeptes, la nécessité de la réduction des dépenses liées à la célébration du mariage comme l’exige la culture Islamique. Il a remplacé le panier de cola (une charge financière par la famille du garçon) par des bénédictions faites à la mosquée.

Les bonbons et les biscuits qu’on donnait e religieux n’étaient plus autorisés dans la mosquée.

Il a fait respecter la dot à 50.000 F CFA pour la jeune fille et 25.000 F CFA pour les femmes précédemment mariées. Il n’excluait pas les faveurs que les familles respectives pouvaient s’accorder mutuellement. Aujourd’hui ces principes sont respectés par ma famille et de nombreuses personnes dans ce quartier et au-delà. Cela a été possible grâce aux conseils prodigués lors des prêches par l’imam. Leader religieux Musulman_Kayes

Autrefois, les filles étaient confiées à un jeune garçon qui veillait sur elles en protégeant contre l’adoption de tout comportement non acceptable. Aujourd’hui les filles sont laissées à elles-mêmes et elles découvrent précocement la sexualité. Dès que les parents découvrent cela, ils les donnent en mariage pour se mettre à l’abri des problèmes.

Chasseur_Kayes_Quartier de Kouloun.

rôle central dans leur transmission et veillaient sur leur respect par les jeunes garçons et filles au sein de la communauté.

Aujourd’hui, avec le développement de l’individualisme, les hommes et les femmes ont du mal à transmettre ces valeurs fondamentaux aux enfants. Leur transgression n’est pas sanctionnée de la même manière qu’avant. C’est pour quoi peu de jeunes (garçons et filles) ne les respectent plus.

« Autrefois, la jeune fille était confiée à un jeune homme qui devenait son ange gardien en veillant sur elle en tant qu’amie. Si on la trouvait vierge le jour de son mariage, son gardien était félicité et aussi recevait des cadeaux de son mari. Aujourd’hui si tu confies une fille à un garçon, c’est comme si tu as rapproché le feu du coton ou que tu as confié une chèvre à une hyène » FGD hommes adultes de Nioro

« Les jeunes garçons et filles d’aujourd’hui exposent sans vergogne leurs relations charnelles et cela provoque un choc moral chez les parents qui du coup précipitent les filles dans un mariage des enfants dès que la première occasion se présente » Chef de quartier Lafiabougou Kayes

L’abandon des fiançailles à bas âge

A leur naissance, les filles étaient fiancées par les parents de leur future belle famille. Cette opération consistait à attacher une ficelle à son bras pour montrer qu’elle appartenait désormais à une autre famille. La belle-famille offrait régulièrement des cadeaux à la famille.

La fille était ainsi en sécurité (pas d’autres prétendants donc à l’abri des relations sexuelles avant mariage).

Aujourd’hui, le phénomène de fiançailles à bas âge est en train de disparaitre sous l’effet du modernisme, la migration des jeunes garçons et la scolarisation des filles.

« Dans nos familles peulh, on ne pratique plus les fiançailles à bas âge. Les garçons vont en exode ou en migration pour des années. Souvent le garçon expatrié refuse la fille promise. Moi je conseille aux parents de ne plus pratiquer ce mode de mariage » FGD hommes Nioro

L’évolution des critères de choix de l’époux

Autrefois les épouses et les époux étaient choisis à travers plusieurs critères : la famille de provenance, le statut de la famille de (noble, famille de caste, de croyants, etc.). C’est après avoir réuni toutes les informations que le choix s’opérait.

Aujourd’hui, les critères ont évolué. Les familles et la fille elle-même demandent si le prétendant est d’une famille riche, si l’un des membres de sa famille vit en Europe ou s’il a assez de moyens matériels et aussi, une renommée dans la communauté.

Les réponses à ces questions sont à la base de la recrudescence du mariage des enfants surtout si la demande est faite par les émigrés.

La réduction de la célébration du mariage collectif en milieu communautaire,

Dans le passé, la célébration du mariage collectif des jeunes (garçons et filles) était un phénomène de mode. Perçue comme un moyen de communion entre les familles et les communautés, les jeunes (filles et garçons) d’une même tranche d’âge étaient mariés le même jour. Cela constituait une fierté pour les familles respectives et les nouveaux mariés.

Avec l’évolution des sociétés, il y a eu une réduction du mariage collectif à cause de l’exode rural des jeunes garçons, du brassage ethnique, de l’urbanisation galopante dans les chefs-lieux des cercles de Kayes et de Nioro du Sahel.

4.11.1 Périodes historiques des mutations

Dans les cercles de Kayes et de Nioro du Sahel, les personnes enquêtées situent la période historique du mécanisme d’évolution des normes par rapport aux évènements ci-dessous mentionnés :

L’avènement des biennales et des semaines artistiques

Les semaines artistiques et les biennales sont des rencontres culturelles compétitives entre les jeunes (Garçons et filles de 13 à 16 ans) de toutes les régions du Mali de 1965 à nos jours. En plus de l’aspect divertissement et compétition, ces rencontres formaient les jeunes à la citoyenneté. Aujourd’hui, elles sont perçues comme négatives pour certaines personnes enquêtées parce que filles et garçons se retrouvent au même endroit sans aucune surveillance des adultes. Ils font ce qu’ils veulent et retournent dans leur village avec de mauvais comportements.

La sécheresse des années 80

Elle reste une période historique pour le Mali à cause de ses conséquences négatives tant sur le plan sanitaire, économique et social.

Elle a favorisé l’essor de la migration des jeunes garçons de la région de Kayes vers l’Europe et l’Afrique centrale. Cette migration a engendré des changements au sein de la communauté et a contribué à l’évolution de certaines normes (diminution des fiançailles à bas âge, éclatement de la grande famille, abandon de la pratique de l’excision...).

L’introduction des nouvelles technologies (télévision, téléphone mobile, réseaux sociaux)

Selon plusieurs enquêtés, les années d’introduction de la télévision au Mali (1981) et du téléphone (2000) sont des périodes qui ont favorisé l’évolution des normes traditionnelles.

« Il y a eu un autre aspect qui a contribué à la mutation des normes traditionnelles ; c’est la vulgarisation de la nouvelle technologie. Les jeunes d’aujourd’hui apprennent beaucoup de choses à travers les nouvelles technologies qu’avec leurs parents. L’utilisation de la téléphonie mobile et de la télévision a changé le comportement des jeunes filles et garçons

qui cherchent à se comporter comme les acteurs et actrices de cinéma; ce qui n’est pas acceptable » Démarcheur Diaka, Nioro

Le code de mariage de 1962 et les chansons populaires sur le consentement au mariage

Le code de mariage et de la tutelle de 1962 a fixé l’âge du mariage de la fille à 18 ans et celui du garçon à 20 ans et a exigé le consentement de la femme et de l’homme. Des vedettes17 de la chanson malienne ont aussi mis l’accent sur le libre choix. Alors le mariage est présenté comme un pacte entre deux personnes qui s’aiment qui se marient en prenant en toute liberté la décision de leur union.

Ce code n’est pas bien connu et appliqué par les communautés et les familles continuent à être les actrices importantes de tout qui concerne les enfants à savoir (l’excision et le mariage des enfants).

L’avènement de la démocratie en 1991

« C’est avec l’avènement de la démocratie que les jeunes ont commencé à changer de comportement car celui-ci a engendré la liberté de comportement et la permissivité. Les parents d’aujourd’hui sont dépassés par les évènements car les valeurs morales qu’ils sont censés inculquer aux jeunes sont jugées archaïques par ces derniers. » Chef de quartier _Kayes.

En somme, il a été difficile de retracer avec précision les périodes d’évolution des normes traditionnelles lors de nos échanges avec les enquêtés. Cependant, ils ont mis l’accent sur d’autres facteurs qui ont contribué à l’évolution des normes. Ce sont entre autres :

- Le brassage ethnique ;

- L’avènement de la scolarisation ; - L’exode rural.

4.12. Stratégie de plaidoyer pour la transformation des normes favorables au Mariage