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D’après les données primaires et secondaires, plusieurs causes et facteurs expliquent le mariage d’enfant dans les deux cercles de l’étude.

4.3.1. Nature ou origine religieuse

Au Mali, les musulmans constituent environ 94,8%, les chrétiens 2,4% et les animistes 2%.13 Dans plusieurs pays de tradition islamique de longue date, les traditions locales interprètent les Saintes Ecritures islamiques comme une permission et même dans certains cas, comme un encouragement au mariage des enfants. L’islam apparait alors comme l’un des facteurs clés de la prévalence du mariage des enfants dans les pays à grande population islamique de la région ouest africaine comme le Mali. Dans ces régions, les leaders religieux encouragent ouvertement la pratique du mariage des enfants à travers les prêches à la mosquée, la radio et sur les places publiques et s’opposent souvent aux campagnes de lutte contre ce phénomène.14 Ils font croire aux parents qui les consultent que la pratique du ME est une recommandation de l’islam.

Les données collectées confirment l’idée ci-dessus avancée dans les deux cercles.

« Il faut appliquer ce que le Prophète Mahomet (Paix et Salut sur Lui) a dit : le mariage est célébré lorsque la personne est mature, le garçon de 18 à 20 ans et la fille dès qu’elle voit ses menstrues. Moi j’ai marié mes trois filles à 14 et 15 ans par respect pour ce que l’islam a dit ». Maitre coranique_Nioro

« Selon les croyances musulmanes, la fille doit être donnée en mariage, dès que le périmètre de ces deux mollets réunies valent celui d’un mollet de sa maman » Chef de quartier_Nioro

« Moi en tant que père et chef de notre famille, le mariage est une pratique de la religion musulmane et aussi la tradition chez nous les peulhs. Nos pères l’ont fait ; nous aussi et mes enfants le feront. C’est pour cela que j’ai marié mes filles à 14 et 15 ans aux conjoints proposés par mes frères. Ainsi je respecte la tradition et aussi la religion. Je ne voulais pas que mes filles aient des relations sexuelles hors mariage ou des enfants légitimes» FGD hommes adultes de Diakalel

Les rapports sexuels et les grossesses hors mariage sont condamnés par la religion musulmane. C’est pourquoi les filles sont mariées très tôt.

13 INSTAT, 4ème Recensement général de la population et de l’habitat du Mali (RGPH), 2009

A Kayes N’di par exemple, la diminution de la dot et des dépenses liées au mariage évoqués par certains leaders religieux musulmans, a favorisé davantage le mariage des enfants parce que la dot peu élevée était à la portée des hommes.

« Avec la diminution de la dot et des dépenses liées à la célébration du mariage décrétée par l’imam et acceptée par la communauté, des hommes, adultes et jeunes ont cherché à se marier (première, deuxième et troisième noce).De plus en plus de jeunes filles ont été mariées avant 18 ans. La pratique continue encore surtout en milieu rural » FGD femmes adultes de Kayes Ndi

« La baisse de la dot est un facteur qui favorise le mariage des enfants dans la commune.

Comme elle est à la portée de tout le monde, c’est facile d’épouser une femme. Avant c’est-à-dire il y a 20 ans, le prétendant devait donner des bœufs, de l’or et de l’argent ; mais aujourd’hui avec moins de 200 000 FCFA, tu peux avoir une femme. Cela encourage les hommes à demander précocement la main de la fille » Maîtresse de Cérémonie (Magnamagan) _Kayes_Lafiabougou

Si la pratique du mariage des enfants est fréquente chez les musulmans, il ne l’est pas chez les chrétiens qui marient les filles généralement à partir de 18 ans.

4.3.2. Nature ou origine culturelle

Culturellement le mariage d’enfant répond à certaines préoccupations ci-dessous mentionnées :

La consolidation des relations sociales au sein de la communauté

Selon les données collectées, le mariage est donc utilisé comme une stratégie pour garder les enfants dans le village, afin d'assurer que les familles restent unies et que les lignées familiales se poursuivent. Le mariage des enfants permet aux familles et aux communautés d’entretenir et de consolider les relations sociales existantes mais aussi de tisser de nouvelles relations avec d’autres. C’est pourquoi, les fiançailles des filles à bas âge sont pratiquées dans certaines communautés (Peulh et Sarakolé).

Le refus pour une famille d’accepter les fiançailles ou de donner une fille en mariage à bas âge, pourrait être source de conflit entre les familles et communautés et perdurer de génération en génération. C’est pourquoi une attention particulière était accordée à tout cas de refus en matière de fiançailles et de mariage à bas âge. Dans cet ordre d’idée, le choix de la fiancée ou du fiancé revenait aux parents. C’était une immense joie pour les parents de voir leur fille ou garçon accepter leur décision.

Le mariage endogamique pratiqué par les peulhs et les soninkés de la zone de l’étude est perçu comme un moyen de conserver la richesse au sein de la famille. Il y a souvent l’échange de filles afin que la richesse familiale ne soit dilapidée.

La préservation du respect que la fille doit aux parents

Face à la sexualité précoce des filles et garçons, les parents optent pour le mariage des enfants. Donner tôt en mariage une fille avant 16 ans, est une stratégie de précaution pour les parents afin qu’elle ne s’oppose à leur décision quand elle sera majeure. Dans la conception populaire, plus l’âge de la fille avance, plus elle devient réfractaire au choix des parents.

« Les familles, pour mieux préserver les liens sociaux, donnent en mariage les filles de 12 ou de 13 ans pour minimiser les chances de protestation de ces dernières. C’est un âge où les filles ne comprennent pas ce que signifie ce choix pour elles. Dans notre famille et en tant que leader religieux j’applique cette règle et la conseille aux chefs de familles qui me consultent » Chef religieux_Kayes NDi

La volonté des adultes d’avoir des petits enfants

Sur le plan social, les parents ont tendance à donner les filles en mariage afin d’avoir tôt des petits enfants perçus comme un signe de bonheur. Dans la société traditionnelle Malienne, il existe un lien fort entre les petits enfants et leurs grands-parents.

Dans les foyers où il n’y a qu’un seul garçon, certains parents ont tendance à ce qu’il se marie tôt afin d’avoir des petits enfants pour la continuation de la lignée.

A côté de cet aspect symbolique, il y’a le désir d’avoir beaucoup d’enfants, qui pour certaines personnes, est synonyme de « richesse » et aussi une caisse de sécurité à la vieillesse.

Dans la région de Kayes, zone de migration par excellence, la forte mobilité des hommes adultes et jeunes à l’intérieur et à l’extérieur du pays fait que la main d’œuvre se fait rare. Le mariage des enfants devient une solution alternative afin d’avoir des enfants qui pourraient contribuer à la réalisation des travaux champêtres ainsi que d’autres activités économiques pour aider la famille à satisfaire les besoins essentiels.

« Je pense que fille et garçon doivent se marier tôt pour avoir des enfants qui sont la continuation de la lignée. Le mariage tardif limite le nombre d’enfant. Donc 13 ou 14 ans est bien indiqué pour la fille. Pour le garçon, le mariage peut se faire à 20 ou 22 ans » Personne âgée_Kayes

La recherche de main d’œuvre pour les travaux domestiques

La jeune mariée est considérée comme la relève de la belle-mère ; une fois installée dans la belle-famille, les tâches quotidiennes de reproduction lui reviennent ; c’est pourquoi d’ailleurs des jeunes hommes se marient tôt pour assurer la relève (belle-mère âgée ou malade). Dans ce cas-là, le mariage des enfants est aussi un moyen pour retenir le jeune marié pour les travaux champêtres. Ce séjour dans la belle-famille est aussi un moyen de vérifier la fertilité de la jeune mariée.

« Dans ma famille, ce sont les jeunes femmes qui arrivent prennent la relève des femmes adultes et âgées ; c’est à elles qu’incombent les tâches ménagères et les belles mères deviennent les conseillères car les belles filles arrivent très jeunes dans notre famille. Elles

ont 13 ou 14 ans à leur arrivée et ont besoin de conseils » FGD femmes adultes de Gadiaba Gadiala

4.3.3. Nature ou origine individuelle

Au niveau individuel, la pratique du mariage des enfants s’expliquerait par :

La pauvreté de la famille

La pauvreté au niveau de la famille influence positivement les parents à pratiquer le mariage des enfants. Dans certaines familles, il n’y a pas suffisamment de chambre pour tous les membres. Ce qui contraint les parents à dormir avec les enfants (filles et garçons) rendant compliquée toute intimité au sein du couple.

Pour les familles démunies, la fille est souvent considérée comme un fardeau (besoins des filles plus couteux que ceux des garçons). Son mariage permet aux parents d’avoir une bouche en moins à nourrir et moins d’impôt à payer.

Le mimétisme

La pratique du mariage des enfants est aussi liée à l’environnement. Dans le cadre du mariage collectif très fréquent dans la zone de l’étude, c’est une fierté pour toutes les familles de voir sa ou ses filles faire partie de la cohorte à marier. Tout le monde le fait et il est difficile de s’en débarrasser. D’ailleurs certaines personnes enquêtées pensent que si ta fille traine sans avoir un mari, elle est traitée comme « galalen » (une fille qui n’arrive pas à avoir un mari et qui peut être la risée) » et cela apparait comme une honte pour les parents biologiques.

Le comportement non acceptable des filles et garçons durant la puberté

La crise de puberté chez les adolescents et adolescentes qui se manifeste par les rapports sexuels et grossesses précoces motivent les parents à pratiquer le mariage des enfants parce qu’ils n’arrivent pas à gérer cette période par manque d’information et de compétences en la matière.

« L’ancien gardien du CSReF de Kayes a accepté de donner sa fille de 14 ans en mariage car malgré toutes les informations qu’on lui a donné sur les conséquences du mariage précoce. Son attitude s’explique par une expérience vécue dans sa famille. Il avait refusé à plusieurs reprises de donner sa première fille en mariage à l’âge de 14 parce qu’elle étudiait bien à l’école. Mais malheureusement cette dernière tomba enceinte à l’âge de 17 ans malgré tout ce que le père déployait comme efforts pour lui assurer de bonnes études.

Depuis lors, il est en faveur du mariage des enfants pour éviter le déshonneur de sa famille » Point focal VBG à la DRS.

« J’ai protégé une nièce en empêchant ses parents de la donner en mariage à 14 ans car elle était à l’école et travaillais bien. Je fus content d’avoir sauvé la fille qui malheureusement a contracté une grossesse à 15 ans. La suite de l’histoire fut macabre.

J’ai perdu une tante qui a été choquée et affectée par le comportement de la fille. Ma nièce elle-même a perdu la vie à l’accouchement » Agent de la DRPFEF Kayes.

L’appartenance des filles au groupe de pairs

La conformité et la curiosité influencent également le mariage des enfants ; Dès qu’une fille membre du groupe se marie, les autres filles adolescentes désirent d’être comme elle, quel que soit leur âge. Elles mettent la pression sur les parents qui finissent par accepter le prétendant qui se présente. En effet pour ces filles, le mariage signifie une entrée officielle dans le monde des femmes adultes où elles se sentiraient en sécurité et bénéficieraient de plus de considération de la part des femmes et hommes.

Ces considérations sont encore en vigueur dans toutes les communautés visitées.

4.4. Manifestations actuelles du mariage des enfants