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Dans les zones concernées par l’étude, de nombreux acteurs sont impliqués et chacun a un rôle spécifique à jouer.

Les acteurs et décideurs les plus mentionnés dans le processus de mariage sont les pères biologiques, et les oncles paternels (les frères ainés et cadets du père). Ils sont au cœur du choix des conjoints, de la nomination du « démarcheur » et du processus de négociation. En outre, ils sont présents lors des cérémonies religieuses et traditionnelles et donnent leur consentement définitif à l'union. Ensuite viennent les « marabouts/féticheurs qui sont consultés (sur l’issue du mariage, la date et les sacrifices à faire), les maitresses de cérémonies (marraine), belle-sœur (une sœur ou cousine du mari) et la conseillère nuptiale.

Les parents du garçon

Chez les peulhs et les Sarakolés, il est du devoir des parents du garçon de choisir la première femme de celui-ci et de financer la célébration du mariage.

Généralement le père cadet de la famille du garçon occupe une fonction de responsabilité plus que le père biologique. Il est l’interlocuteur direct du démarcheur et il rend compte aux autres frères de la famille dont le père biologique.

« C’est sans nul doute les parents et essentiellement les pères qui sont les seuls décideurs dans la famille. Il peut s’agir de l’ainé des pères ou le patriarche qui détient à lui seul les contours de la situation contrairement aux mères qui n’ont rien en dire. Je suis l’ainé des pères et je suis le premier à m’adresser à mes cadets pour le mariage des filles » Conseiller villageois_Cercle de Kayes de village de Diakalel

Il entame la première démarche vers la famille de la fille. Pour ce faire, il a recours à un intermédiaire, dénommé le « démarcheur ».

Pour les cas de familles restreintes (père, mère et leurs enfants), il est possible que les parents biologiques se concertent afin de prendre une décision dès qu’un prétendant se présente.

Encadré N° 1: Prise de décision par les parents

Dans la plupart des cas, ce sont les hommes des deux familles (celle du garçon et celle de la fille) qui ont le pouvoir décisionnel.

Ce sont mes parents qui ont décidé de me donner en mariage. C’est ma mère qui m’a annoncé que j’allais être donnée en mariage et j’étais consentante parce que je voulais me marier parce que mes deux amies se sont mariées et j’étais contente de la décision de mes parents parce que j’avais 14 ans. Ce sont les parents de mon mari qui sont venus demander ma main à mes parents et ces derniers l’ont accepté. Mon mari est mon cousin direct et on a toujours vécu ensemble. Ce sont seulement nos deux familles qui ont décidé de cette union et aucune autre personne n’est intervenue dans mon mariage. Fille victime de ME Kayes.

Les mères (belles-sœurs et sœurs des parents biologiques) sont informées en dernière position et ce sont elles qui informent les autres femmes de la communauté. Elles s’occupent des préparatifs du mariage à savoir la désignation de la marraine, le rituel de tresses et henné, la conseillère nuptiale, la cérémonie traditionnelle et la constitution du trousseau de mariage.

« Selon la coutume, ce sont les mères qui informent les voisines et les parents lointains en leur offrant des noix de colas pour les informer du nouveau statut de la jeune fille. Moi en tant que mère biologique je ne peux pas le faire ; ce sont mes belles sœurs et mes propres sœurs qui se chargent de cela. Moi je le ferai pour la fille de ma sœur » Femme adulte de Kayes NDI

Il est de coutume dans les communautés de la zone de l’étude que les parents biologiques se montrent discrets lors des fiançailles et mariage de leur propre fille. L’enfant appartient à la grande famille même si l’individualisme est entrain de prendre le dessus.

La responsabilité d’organiser la cérémonie est laissée aux marraines et parrains des jeunes mariés qui prennent les décisions publiquement après avoir consulté les parents biologiques en toute discrétion.

La fille

Elle est la dernière informée par les mères de la décision des hommes et est tenue de la respecter en acceptant le choix de ceux-ci. Il arrive que l’avis de certaines filles soit demandé surtout dans les familles où il y a des lettrés. Elle participe au rituel du hénné avec ses amies15.

Encadré N°2 : Récit d’une victime de ME par rapport à la prise de décision

Le démarcheur

Généralement c’est un homme de caste (forgeron ou griot) digne de confiance qui joue ce rôle. Chez les peulhs, les démarcheurs sont nommés des « Mabo », « Gawoulo » qui veut dire

« l’esclave peulh ». Le « démarcheur » est une autre figure centrale du processus de mariage ; il est délégué par la famille du futur marié pour commencer à chercher des informations sur la réputation de la famille de la future mariée, d'établir les liens officiels et la communication

15 Il s’agit d’une cérémonie qui consiste à mettre le hénné sur les pieds et mains de la fille et ses amies pour la

Je faisais la 8 ème année quand on m’a donné en mariage à l’âge de 16 ans. Je n’étais pas au courant et je ne savais pas à qui on allait me marier. C’est la mère du garçon, une amie à mère qui m’avait choisi pour son fils. Ma mère m’a dit que si jamais je refuse, elle a juré de m’enlever de la liste de ses enfants. Mon père était d’accord avec la proposition. J’étais farouchement opposée. Je brillais en classe et j’avais dit à ma maman que je voulais étudier d’abord. Je l’ai suppliée de me laisser poursuivre mes études. Mais elle a refusé et j’ai accepté par respect pour mes parents. Je n’aimais pas le garçon. Fille Victime de ME.

entre les deux familles. Il veille à ce que les négociations se déroulent avec succès et que les intérêts des deux familles soient dûment communiqués et pris en compte.

« En ce qui me concerne et chez nous en famille, c’est le père ou le patriarche qui émet la volonté de chercher la main d’une femme pour son fils. C’est le frère cadet des pères qui s’en charge. Il lui revient de solliciter l’homme de caste qu’on appelle « Mabo » ou

« Gawoulo » qui assure la négociation jusqu’à l’aboutissement du mariage (paiement de la dot, annonce de la date et du lieu de mariage et autres conditions particulières de la belle-famille). Cette union tient compte des exigences strictement religieuses. Notre famille a un homme qui joue ce rôle pour tous nos garçons qui se marient ». Imam Kayes N’Di

Cette déclaration est confirmée par les propos d’un démarcheur.

Encadré N°3 : Récit du rôle joué par un démarcheur

Les marabouts

Certains parents biologiques des futurs mariés (es) ont recours aux marabouts, dans le but de savoir si l’union entre la jeune fille et le garçon sera fructueuse. Parfois des sacrifices conseillés par ces « sages » sont faits si nécessaires. Ce sont eux qui fixent les dates de célébration de mariage. Ils prescrivent les sacrifices à faire pour une bonne issue du mariage.

« Lorsque la main d’une fille est demandée, les deux parents biologiques peuvent consulter les marabouts pour savoir si l’union entre la fille et le garçon sera fructueuse et pleine de bonheur. Si la réponse est favorable, ils donnent leur accord, dans le cas contraire, la demande est rejetée». Maitresse de cérémonie_Nioro_ Tougoumé Rangabé

Les leaders religieux musulmans (Imam, lettré musulman)

Il s’agit de l’imam, un érudit en islam qui célèbre le mariage selon les principes musulmans à la mosquée ou à domicile. Ils font des bénédictions pour la réussite du mariage et prodiguent des conseils sur le fondement religieux du mariage. Ils sont aussi des médiateurs en cas de conflits au sein du couple. Ils reçoivent une compensation symbolique pour le service rendu.

Je suis un homme de caste et je joue un rôle important dans le processus de négociation enfants en mariage. Je suis chargé de mener des enquêtes de moralité sur le garçon ou la fille si la famille de l’un ou de l’autre le recommande. En cas de conflits, j’interviens pour faire la médiation entre les couples.

Dans le cadre de la démarche, je n’ai aucune influence sur les mariées et leurs parents.

Au cours du processus, je tiens à ce qu’il y ait une bonne communication entre les deux familles. Lorsque je constate qu’il y’a des problèmes dans un mariage j’interviens pour qu’il y’ait une entente. Démarcheur_Nioro du Sahel.

Encadré N°4: Avis d’un leader religieux musulman sur le mariage

Le prêtre ou le pasteur

Il vérifie d’abord le régime matrimonial et l’âge de la mariée avant toute célébration religieuse du mariage. Il donne une formation aux fiancés sur les fondements du mariage, affiche la publication de ban, célèbre le mariage et fait des prières pour la réussite.

Encadré N°5 : Rôle du prêtre dans la célébration du mariage

Les maîtresses de cérémonie de mariage

Les maitresses de cérémonie dans le cadre de cette étude sont la conseillère nuptiale, la marraine et la « belle sœur » Ce sont des femmes qui interviennent surtout dans l’organisation et la célébration du mariage traditionnelle.

Dans les communautés visitées, les « marraines » sont également considérées comme importantes parce qu’elles interviennent dans l’achat et la constitution du trousseau de mariage de la fille et l’organisation de la cérémonie du mariage. Leur rôle est aussi de veiller au bon déroulement de la fête (s’assurer que tous les invités ont mangé). Cependant, il existe une différence entre prendre une décision et avoir un rôle dans le processus d'un mariage déjà décidé.

« La conseillère nuptiale » généralement une femme de caste d’un certain âge, joue le rôle d’accompagnement du jeune couple pendant la semaine nuptiale (3 à 7 jours). De façon spécifique, elle apprend aux mariés à mieux connaître et comprendre la sexualité ainsi que les Notre rôle est la formation des futures mariées pour les aider à avoir une meilleure vie de couple. Lors de la formation, nous parlons des difficultés de la vie conjugale et la nécessité d’une assistance mutuelle entre les époux. Dans les conditions normales, nous formons les futures couples pendant toute une année mais à cause des comportements pressés des jeunes d’aujourd’hui nous limitons la période de formation à 6 mois. Nous avons un rôle de conseiller/d’assistance et non pas d’acteur dans le choix des partenaires dans le mariage.

Nous n’interdisons pas et n’intervenons jamais dans le choix des jeunes gens. Si un garçon chrétien décide de se marier avec une fille musulmane, nous leurs donnons une formation pour la réussite de leur mariage. Leader religieux chrétien _Kayes

Je suis un leader religieux et de ce fait je me réfère à la parole de Dieu qui dit que la gloire d’une fille se trouve dans le mariage. Cette dernière est appelée à accomplir cette volonté divine quand apparait chez elle le signe de la maturité. Selon la parole de Dieu, le prétendant d’une fille doit être en mesure de la protéger et de la mettre dans les conditions minimales de survie. En tant que chef de famille, je tiens vraiment à ce que dit l’islam.

Leader religieux Kayes

valeurs conjugales (droit et devoir des conjoints dans la vie quotidienne) et veille sur le régime alimentaire de la mariée afin de faciliter les rapports sexuels.

Elle a recours aux plantes médicinales, formules incantatoires et autres produits de protection (encens, eau bénite..) contre les mauvais sorts. Elle reçoit lors de la célébration du mariage des cadeaux de la part des deux familles.

Encadre N°6 : Rôle de la conseillère nuptiale

Encadre N°7 : Exemple de rôle spécifique de la conseillère nuptiale

La « cheftaine des sœurs » ou « balima mousso kountigui » est désignée par la famille du garçon pour conduire la jeune fille le soir du mariage traditionnel dans la case nuptiale. Elle doit veiller sur sa santé en venant s’enquérir de ses nouvelles. A la sortie de la case nuptiale, la belle sœur aide la nouvelle mariée à s’installer chez son mari.

Tous les acteurs cités ci-dessus en plus de leur rôle spécifique, prodiguent également des conseils pour la pérennisation du mariage.

Par rapport à la typologie des acteurs, il faut retenir que la décision du mariage des enfants revient aux hommes. Ce pouvoir décisionnel leur est conféré par la coutume qui fait de l’homme le pourvoyeur de biens pour la famille et le rend responsable des femmes et des enfants dans la cellule familiale.

Le code de mariage et de la tutelle de 1962 et le code des personnes et de la famille de 2009 du Mali ont légitimé le statut supérieur de l’homme « qui est le seul chef de famille qui doit protection à la femme et celle-ci lui doit obéissance et soumission ». En effet le code ne reconnaît pas l’autorité parentale conjointe, seul l’homme est responsable des enfants.

En tant que conseillère nuptiale, mon rôle se limite parfois à l’assistance des nouveaux mariés pendant la période nuptiale. Je donne des conseils sur la vie de couple et sur d’autres aspects de la vie aux jeunes mariés (difficultés et avantages). Il arrive dès fois que les jeunes mariés n’aient aucune affection l’un envers l’autre ; mais grâce aux formules incantatoires et produits traditionnels que je donne, ils retrouvent des sentiments réciproques. Conseillère Nuptiale_Kayes_Village de Diakalel.

Mon rôle dans le mariage c’est de donner l’eau chaude aux mariés pour le bain, préparer la bouillie et la soupe de viande, de poulet ou du poisson pendant la semaine de noce pour la mariée, donner des conseils à la nouvelle mariée comment elle doit entretenir son mari et sa belle-famille. Après la semaine nuptiale, je compte les ustensiles de cuisines et les habits donnés par la famille de la mariée. En plus, je tresse la nouvelle mariée avant de l’accompagner chez son mari dans la belle-famille. Conseillère nuptiale de Gadiaba Kadiel.

Bien que la tradition et les codes cités ci-dessus donnent le pouvoir de décision à l’homme, des cas exceptionnels ont été cités dans les zones concernées par l’étude. Les activités de promotion des droits de la femme et de la fille par les structures Etatiques et les ONG ont permis à certaines femmes de s’impliquer activement dans la prise de décision par rapport au mariage des enfants.

« J’ai été contacté par une amie qui voulait que ma fille épouse son garçon. C’est quand j’ai donné mon consentement, la famille du garçon a contacté mon mari et ses frères qui ont pris la décision de la donner en mariage quand elle avait 14 ans. Mon mari a demandé mon avis et cela en toute discrétion » Participante FGD Kayes

Grace aux activités de formation, d’IEC et de plaidoyer sur les violences faites aux femmes et aux filles, trois types d’acteurs se dégagent avec leurs perceptions sur le mariage des enfants dans la zone de l’étude.

Tableau N°2 : Typologie des acteurs et leurs perceptions Typologies d’acteurs Niveau des points de vue

Ceux qui sont pour le mariage des enfants

(Adhérents)

Ce sont des femmes et des hommes adultes et âgés, des leaders communautaires qui veulent que les filles soient particulièrement mariées très tôt pour ne pas mettre en péril les normes et valeurs traditionnelles de la famille et de la communauté.

Ceux qui sont contre le négatives (sociale, économique, sanitaire..) du mariage des enfants.

Pour eux, marier la fille avant 16 ans serait source de difficultés d’enfant. Ils sont sur une position intermédiaire entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre la pratique du ME. Ces acteurs continuent de pratiquer le mariage des enfants à cause des valeurs sociales. Parmi eux, il y a quelques jeunes activistes formés par les ONG mais qui ont du mal à en parler en public compte tenu du poids de la tradition et de l’influence des personnes adultes et âgées.

Sources : Enquête pour la présente Etude