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Les mécanismes d’agglomération des firmes : l’arbitrage entre coûts

2.3 Mobilité des facteurs et coûts de transport

2.3.1 Les mécanismes d’agglomération des firmes : l’arbitrage entre coûts

La NEG est apparue avec 3 auteurs, Krugman (1991), Fujita (1988) et Venables (1996). Cette nouvelle approche s’inscrit dans la lignée des théories issues de la "révolution des rendements croissants" (Fujita et al., chap.1) qui a débuté dans les années 70 avec l’introduction d’imperfections de marché et notamment de rendements croissants dans la modélisation des structures de marché.

En 1977, Dixit et Stiglitz formalisent la conception de la concurrence monopolistique de Chamberlin (1933). L’existence de coûts fixes et la diversité des biens intermédiaires conduisent à une structure industrielle telle que chaque entreprise produit un bien diffé- rencié tout en restant en situation de concurrence étant donné l’existence de substituts à ce bien. L’idée de Chamberlin est de supposer que les firmes produisent des biens différenciés pour satisfaire la préférence pour la variété des consommateurs.

Le modèle proposé par Dixit et Stiglitz (1977) abandonne l’hypothèse de rendements constants et suggère d’envisager la production industrielle comme étant sujette à des rendements croissants. C’est le fondement de cette nouvelle théorie spatiale.

En effet, comme nous l’avons vu dans la section 1, une des façons d’échapper au théorème d’impossibilité spatiale consiste à lever l’hypothèse de concurrence pure et parfaite et introduire des imperfections dans la structure des marchés. Il s’agit alors de réfléchir aux déterminants "endogènes " de la localisation sur la base des travaux de l’économie urbaine. Ainsi, la NEG va donc réconcilier la théorie économique standard et l’espace en supposant à la fois un espace homogène (des localités ayant les mêmes dotations initiales) et une concurrence monopolistique entre les firmes présentes dans ces localités.

Il s’agissait donc pour les théoriciens précurseurs de la NEG d’introduire des rende- ments croissants dans la production pour obtenir un ensemble d’entreprises en situation de monopole pour la production d’un bien différencié mais en concurrence en raison de la substituabilité des biens. La décision d’une firme n’a aucun impact sur les autres firmes mais chacune des entreprises dispose d’un pouvoir de marché tel qu’elle fixe son prix au-dessus du coût marginal. En outre, l’hypothèse de libre entrée et sortie du marché im- plique des profits nuls et donc une situation de concurrence. Ainsi, renoncer à l’hypothèse de concurrence pure et parfaite fait ressortir une dépendance entre offre et demande et produit des externalités pécuniaires.

La NEG propose donc d’expliquer la distribution spatiale des activités économiques comme le résultat d’un processus impliquant deux types de forces opposées : les forces d’agglomération et les forces de dispersion. Les forces centrifuges incitent les firmes à s’implanter loin les unes des autres pour satisfaire la demande des divers marchés. A l’inverse, les forces centripètes créent une incitation à la concentration des firmes et des travailleurs. Avant de détailler l’origine et la dynamique qu’impliquent ces forces, nous pouvons identifier et classer les forces les plus courantes dans un tableau (figure 2-1) selon qu’elles favorisent l’agglomération (forces centripètes) ou la dispersion d’activités économiques (forces centrifuges). Nous verrons par la suite que ce tableau est incomplet et que l’on peut aisément trouver d’autres facteurs capables d’expliquer la localisation des

activités économiques et des individus. Les facteurs de concentration spatiale modélisés par la NEG sont indiqués en caractères gras tandis que les économies externes identifiées par Marshall (1890) sont notées en italique.

Forces d’agglomération Forces de dispersion

Existence d’un vaste marché du travail offrant

de la main d’œuvre qualifiée Rentes foncières Grande disponibilité d’inputs : fournisseurs

spécialisés Effets externes négatifs : congestion Effets externes positifs liés à la facilité de

collecte et d’échange de l’information Facteurs de production immobiles

Economies d’échelle internes à la firme : rendements croissants

Fig. 2-1 — Tableau des forces capables d’affecter la concentration spatiale des activités économiques

La colonne de gauche fait apparaître les externalités marshalliennes présentées à la section 1 et les économies d’échelle interne à la firme. Ces dernières occupent une place fondamentale dans l’analyse spatiale de la répartition des activités économiques car elles remettent en cause l’hypothèse de concurrence pure et parfaite et le principe de divisibilité de la production. Le plus souvent représentés par des coûts fixes, les rendements d’échelles croissants favorisent la création de vastes unités de production et encouragent la firme à s’implanter en un lieu unique pour produire à grande échelle.

La colonne de droite répertorie les forces centrifuges qui découragent la concentration des activités industrielles. Les facteurs de production immobiles, la terre ou les individus, représentent du côté de l’offre, un frein à la concentration des activités de production.

Afin de satisfaire la demande de ces facteurs, les firmes ont deux solutions : soit implanter plusieurs unités de production à proximité des lieux de consommation, soit supporter des coûts de transport pour acheminer les marchandises du lieu de production aux différents marchés locaux.

Les coûts de transport constituent donc, eux aussi, une puissante force de dispersion des activités économiques car plus ils sont élevés plus les entreprises ont recours à des uni- tés de production réparties sur l’ensemble du territoire. En outre, une activité concentrée accroît la demande de facteurs immobiles dont l’augmentation de rente crée un frein à la concentration. Enfin, l’agglomération peut également générer des effets externes négatifs et notamment une congestion ou saturation du marché où sont localisées les firmes.

Même si l’ensemble de ces élements joue un rôle dans la modélisation de la distribution spatiale des activités économiques proposée par la NEG, les rendements d’échelle et l’immobilité des facteurs sont véritablement au centre de la problématique spatiale de la NEG.

L’idée principale de ces modèles est de comparer les coûts de transport et les rende- ments croissants pour déterminer la localisation de l’entreprise.

Rendements croissants et coûts de transport

Comme nous l’avons vu, l’abandon de l’hypothèse de concurrence pure et parfaite permet de contourner le théorème d’impossibilité spatiale. Afin d’intégrer la spatialité à la théorie économique dominante, les théoriciens de la NEG ont supposé l’existence d’un espace homogène tout en introduisant les mécanismes liés à la concurrence imparfaite modélisée par Dixit et Stiglitz (1977). Comme eux, ils vont supposer des rendements d’échelle croissants lors de la production. Ces rendements d’échelle sont supposés internes à la firme par opposition aux rendements externes qui apparaissent au niveau du secteur industriel dans sa globalité. Les rendements internes dépendent donc de la quantité de ressources utilisées par l’entreprise.

Habituellement, la théorie économique justifie l’existence de tels rendements par l’exis- tence :

— d’économies de spécialisation qui permettent aux firmes de produire à grande échelle afin de réaliser des économies de biens intermédiares.

— d’indivisibilités. La production peut demander le recours à des machines de grande taille plus efficientes pour des raisons technologiques.

— d’économies de diversification. Le risque d’échec est réduit quand un grand nombre de machines est utilisé.

Les théoriciens de la NEG intègrent les rendements croissants en supposant l’existence de deux secteurs de production.

Le cadre général du modèle peut être décrit de la façon suivante. L’économie est supposée être constituée de deux régions, de deux secteurs, l’un agricole et l’autre ma- nufacturé, et de deux facteurs de production. Les agents détiennent soit du travail soit du capital. Seul, le capital est mobile entre les localités. Le facteur travail est réparti de façon symétrique entre les régions. Les agents ont tous les mêmes préférences repré- sentées par une fonction d’utilité qui comprend la consommation de biens agricoles et la consommation de biens différenciés produits par le secteur manufacturé. Les agents expriment une préférence pour la variété : leur utilité s’accroît avec le nombre de variétés de biens industriels consommées. En outre, les biens produits par le secteur manufacturé s’échangent entre les régions moyennant un coût de transport.

Le secteur agricole est supposé en situation de concurrence pure et parfaite et présente des rendements d’échelle constants. Le secteur industriel est en situation de concurrence imparfaite en raison des rendements croissants. Etant donnée l’existence de coûts fixes, à mesure que l’échelle de production s’accroît, la firme réalise des économies d’échelle dues à la baisse des coûts fixes moyens et à une meilleure organisation de la production. Le producteur engage donc la fabrication d’un bien différencié afin de répondre à la demande des consommateurs. En raison des rendements croissants et de la préférence

pour la variété des consommateurs, aucune firme n’offre un bien déjà produit par une autre entreprise. Comme il n’existe aucune barrière à l’entrée ou à la sortie du marché, le prix de vente des biens différenciés est celui qui permet seulement de couvrir les coûts. Par conséquent, les firmes évoluent dans le contexte de concurrence monopolistique modélisé par Dixit et Stiglitz (1977). Ce sont les rendements croissants qui incitent les firmes à se localiser à proximité du plus vaste marché et le choix de localisation de l’entreprise est le résultat de l’arbitrage entre rendements croissants et coûts de transport.