• Aucun résultat trouvé

Intégration régionale et analyse spatiale de la concurrence fiscale

2.4 Agglomération et concurrence fiscale

2.4.1 Intégration régionale et analyse spatiale de la concurrence fiscale

tions d’un modèle avec mobilité des entrepreneurs feront l’objet d’une étude approfondie dans le chapitre 3 de cette thèse.

2.4

Agglomération et concurrence fiscale

2.4.1

Intégration régionale et analyse spatiale de la concurrence

fiscale

Ludema et Wooton (2000) sont les premiers à proposer une analyse spatiale de la concurrence fiscale. Leur objectif est d’étudier la compétition fiscale entre des gouverne- ments nationaux qui cherchent à influencer la localisation des activités industrielles. Le point de départ de leur réflexion se trouve dans la compréhension des effets de l’intégra- tion économique sur la capacité des pays à utiliser le levier fiscal.

L’analyse de Ludema et Wooton s’inscrit dans une volonté de compréhension des mécanismes d’agglomération au sein de l’Union européenne. Le papier d’origine (CEPR

discussion Paper 1822, 1998) a été écrit dans le cadre d’un programme de recherche

du CEPR11 financé par la Comission européenne et portant sur la nouvelle économie

géographique en Europe.

Le constat de départ porte sur les effets de l’intégration économique européenne. Celle-ci doit, en effet, conduire à une plus grande mobilité des facteurs de production et à une réduction des coûts d’échange des biens au sein de la zone intégrée. Ces deux effets se traduisent, dans les modèles d’économie géographique, par une modification des incitations à l’agglomération via la baisse des coûts de transport ou via une plus forte réactivité des bases imposables face à la variable fiscale.

Intuitivement, et si l’on se conforme aux raisonnements traditionnels sur la concur- rence fiscale, ces deux effets de l’intégration économique devraient se traduire par une compétition fiscale accrue entre les localités et par un report de la charge fiscale sur les facteurs immobiles. En effet, pour attirer les travailleurs de l’industrie dans leur localité, les gouvernements vont s’engager dans une course fiscale via une réduction du taux de taxe. Par ailleurs, face à la plus grande réactivité des bases imposables, les autorités locales perdent une partie de leur autonomie fiscale. De ce fait, les gouvernements vont alléger la pression fiscale sur les travailleurs et reporter la charge fiscale sur les bases captives, à savoir les agriculteurs.

Ludema et Wooton (2000) vont s’attacher à démontrer que ces deux intuitions sont fausses si l’on envisage une économie spatiale. Ils utilisent alors une version simplifiée du modèle de Krugman (1991) dans laquelle ils introduisent le raisonnement proposé par Persson et Tabellini (1992) concernant les effets de l’intégration régionale sur le niveau de taxation et sur le comportement de l’électeur médian (voir chapitre 1).

Ils supposent également l’existence de deux groupes de population : des agriculteurs immobiles et des travailleurs mobiles géographiquement. Une taxe sur les revenus des travailleurs est prélevée selon le principe de résidence. Elle sert à financer une subvention

forfaitaire pour tous les agriculteurs de la localité. Ainsi, un accroissement du niveau de la taxe permet d’augmenter les revenus des agriculteurs mais encourage la fuite des travailleurs. Il est supposé ici que les agriculteurs représentent le groupe majoritaire, le gouvernement a donc pour objectif de maximiser l’utilité de l’électeur médian agriculteur. Le jeu fiscal se déroule en deux temps : les gouvernements décident de leurs taux de taxes simultanément puis les facteurs mobiles décident de leur localisation étant donnés les niveaux de taxes décidés lors de la première étape. La solution de ce jeu est un équilibre de Nash.

La modélisation proposée par Ludema et Wooton (2000) permet de formuler deux résulats essentiels :

— Les forces d’agglomération influencent la réactivité des travailleurs mobiles face à la variable fiscale. Lorsque l’intégration économique s’accentue, le travail devient plus réactif aux différentiels de taxes mais cet effet est compensé par la réduction des coûts de transport. Celle-ci constitue un accroissement de l’intensité des forces d’agglomération. Lorsque les coûts d’échange diminuent, les travailleurs sont incités à rester concentrés dans la localité centre qui offre de vastes possibilités d’emploi. — L’intégration économique peut conduire à une augmentation des taux de taxes

lorsque les forces d’agglomération dominent les forces de dispersion. Il existe, en effet, un effet indice des prix selon lequel la migration des travailleurs, suite à un accroissement du taux de taxe, se traduit par une réduction de la production natio- nale. Ceci amène les consommateurs à consommer davantage de produits importés et donc à supporter les coûts de transport. Or, lorsque l’intégration économique est forte, ces coûts diminuent et cela vient atténuer l’effet prix négatif face à une aug- mentation des taxes. Ainsi, la réduction des coûts de transport rend moins coûteux l’accroissement du niveau de taxation.

Les travaux de Ludema et Wooton (2000) permettent de dire que l’intégration éco- nomique amplifie les forces d’agglomération et autorise les Etats à une plus grande auto-

nomie fiscale. Les forces centripètes créent alors une rente d’agglomération qui peut être taxée par la région centre sans provoquer de fuite des facteurs mobiles.

Bien que ces résultats constituent une avancée théorique importante face aux analyses traditionnelles de la concurrence fiscale, l’approche de Ludema et Wotoon (2000) souffre néanmoins de trois limites importantes (Rieber, 2000). D’une part, les auteurs supposent la mobilité des travailleurs. C’est elle qui implique la dynamique spatiale et les comporte- ments de migration alors que dans le contexte européen, la mobilité des facteurs se définit davantage par la mobilité du capital. D’autre part, la taxe est supposée être prélevée sur les travailleurs immobiles pour être redistribuée aux agriculteurs immobiles. L’objectif des gouvernements locaux est donc de maximiser le bien-être des facteurs immobiles alors qu’intuitivement et conformément aux analyses traditionnelles, pour contrer les effets de la concurrence fiscale, ceux-ci devraient effectuer un arbitrage fiscal en faveur des fac- teurs de production mobiles. Enfin, Ludema et Wotoon font totalement abstraction de la notion de biens collectifs pouvant être une source d’attractivité du territoire. Cette dernière critique est au centre de la réflexion que nous avons voulu mener dans ce travail de thèse. La fiscalité agit sur la localisation des entreprises et des capitaux mais il ne faut pas omettre sa contrepartie directe que constitue la fourniture d’équipements collectifs. Ceux-ci exercent, eux aussi, un pouvoir d’attraction pour les facteurs mobiles. Partant de ce constat, Andersson et Forslid (2003) prolongent le travail de Ludema et Wooton (2000) en y introduisant la production d’un bien public local.

2.4.2

Influence du secteur public sur la localisation des firmes

Faisant suite aux travaux de Ludema et Wooton (2000), l’article d’Andersson et Fors- lid (2003) cherche à analyser la concurence fiscale dans un contexte de concentration des activités économiques autour de centres industriels. L’objectif est donc de prendre en compte des phénomènes cumulatifs d’agglomération pour expliquer l’existence de centres industriels dans lesquels les facteurs mobiles sont moins réactifs aux variations des taux de taxe que ce que prévoit le théorie économique.

Andersson et Forslid (2003) s’appuient sur l’existence de régions industrielles telles que la Silicon Valley aux Etats-Unis ou la "banane bleue"12 en Europe. Ces pôles offrent des avantages à l’agglomération tels que les facteurs mobiles ne réagissent pas à une variation marginale du taux de taxe par un mouvement migratoire tant que l’incitation à l’agglomération domine les effets négatifs induits par l’accroissement de la pression fiscale.

La démarche d’Andersson et Forslid (2003) présente la particularité de considérer la fiscalité de deux points de vue. Elle réduit le revenu net des ménages mais elle permet aussi la production d’un bien public local qui entre dans la fonction d’utilité de l’ensemble des consommateurs.

Ces derniers se répartissent en deux groupes de population : les travailleurs qualifiés mobiles géographiquement et travailleurs non qualifiés immobiles. Le travail non qualifié est utilisé dans la production du secteur industriel et du secteur agricole tandis que les travailleurs qualifiés utilisent leur savoir-faire exclusivement dans le secteur industriel. Andersson et Forslid (2003) font l’hypothèse qu’une seule unité de travail qualifié entre dans la production des biens industriels sous la forme d’un coût fixe : on peut donc considérer leur modèle comme un modèle avec mobilité des entrepreneurs (footloose en- trepreneur model ) dont la base est la modélisation proposée par Forslid et Ottaviano (2003).

L’impôt est prélevé sur les revenus de tous les travailleurs, il peut être différencié géographiquement et par type de facteurs. Ni les salaires, ni les équations permettant de déterminer l’équilibre ne dépendent des taxes. Ainsi l’effet de la fiscalité peut être étudié

12Ce terme désigne l’ovale incurvé que dessinent les territoires concentrant la richesse de l’Europe.

Le nom de banane bleue a été défini en 1988 par le géographe français Roger Brunet. Il désigne la dorsale économique et démographique de l’Europe occidentale qui s’étend de Londres à Milan. L’ensemble regroupe les régions les plus riches et les métropoles les plus puissantes du continent. Le nom de "Banane" s’explique par les hautes densités de population qui se détachaient nettement du reste de l’Europe par leur brillance nocturne sur les images prises par satellite. Aujourd’hui ce terme est soumis à controverse car les limites de la banane bleue tendent à toujours être en mouvement de sorte qu’il est impossible de définir précisément les régions appartenant à cette megalopole européenne.

par statique comparative. Nous ne développerons pas ici les équations de définitions (elles seront détaillées au chapitre 3) pour se concentrer uniquement sur les résultats issus de l’analyse d’Andersson et Forslid (2003).

— Lorsque les taux de taxe sont identiques entre les deux types de population mais diffèrent d’une localité à l’autre, le taux d’imposition qui maximise le bien-être des individus dans chacune des régions est donné par :

t∗ = γ

1 + γ (2.1)

où γ est un paramètre d’élasticité présent dans la fonction d’utilité de tous les indi- vidus et qui représente l’élasticité de l’utilité individuelle par rapport à la quantité de bien public consommée. Plus cette élasticité est grande plus le taux de taxe qui maximise le bien-être des travailleurs est élevé. Andersson et Forslid (2003) montrent ici qu’une variation du taux de taxe n’affecte pas la relation entre la part des activités localisées dans la région et l’utilité indirecte du travailleur mobile.La présence de forces d’agglomération permet à la région où sont concentrées les acti- vités de faire varier son taux de taxe du taux d’équilibre sans que cela ne provoque de mouvements migratoires catastrophiques.

— Lorsque le niveau des taxes diffère selon la catégorie de facteurs mais est identique entre les localités, cela a pour conséquence d’encourager la concentration des acti- vités industrielles uniquement si le taux de taxe supporté par le facteur mobile est supérieur à celui supporté par les agriculteurs immobiles. En revanche, lorsque le niveau d’imposition des agriculteurs est plus faible que celui des travailleurs mo- biles, cela renforce la stabilité de l’équilibre symétrique où les activités économiques sont réparties entre les deux régions. Ce phénomène s’explique par la technologie de production du bien public local. Celui-ci joue comme une nouvelle force d’ag- glomération dont l’influence sur les décisions de localisation dépend de la part de son financement supporté par les facteurs mobiles. En effet, comme le bien public

local entre dans la fonction d’utilité des travailleurs, ces derniers ont tendance à se concentrer pour partager le coût de sa fourniture. Dès lors, plus le taux de taxe servant à financer la provision de ce bien est élevé, plus les travailleurs mobiles sont incités à rester concentrés dans une seule des localités.

— Lorsque les taux de taxes diffèrent entre les localités et entre les facteurs, l’impact de la fiscalité sur l’équilibre spatial dépend de la puissance des forces en présence et de la répartition de la charge fiscale sur les deux catégories de population. La dispersion des activités est découragée lorsque le niveau d’imposition des facteurs mobiles est élevé. Plus précisément, c’est le ratio taux de taxe des travailleurs sur taux de taxe des agriculteurs (tL/tA) qui détermine la stabilité de l’équilibre dispersé. Ceci car

plus celui-ci est élevé plus les facteurs mobiles sont incités à se concentrer pour supporter la charge fiscale nécessaire au financement du bien public local. Ainsi, lorsque les taxes sont symétriques entre les facteurs, cela n’affecte pas la stabilité de l’équilibre. En revanche, des taxes redistributives entre les deux catégories de population entraînent une déstabilisation de l’équilibre dispersé et créent donc une incitation à l’agglomération des activités dans une seule des localités (Figure 2-3).

tL/ tA = 0,8

tL/ tA = 1,2

Distribution spatiale des activités

λ=1 : concentration dans la localité 1 λ=0 : concentration dans la localité 2

Rente d’agglomération

1

0,5 1

Fig. 2-3 — Stabilité et taxation des travailleurs mobiles. Source : Baldwin et al. Chap. 15.

L’approche d’Andersson et Forslid (2003) montre que la fourniture d’un bien public local financé à partir des recettes fiscales crée une force d’agglomération capable de désta- biliser l’équilibre dispersé de localisation. En effet, l’utilité des facteurs mobiles dépend de la provision du bien public local et les décisions de localisation sont donc influen- cées par cette nouvelle force d’agglomération dont la puissance dépend de l’intensité des préférences en terme de bien public.

En outre, la présence d’une taxe redistributive, prélevée en grande partie sur les travailleurs mobiles, encourage l’agglomération. Pour stabiliser la main d’oeuvre mobile et limiter l’agglomération, les gouvernements doivent donc reporter la charge fiscale sur les agriculteurs immobiles qui, en finançant la fourniture du bien public, stabilisent la population mobile. Ainsi, lorsque la charge fiscale est supportée en grande partie par le facteur immobile, cela vient compenser l’effet déstabilisateur de l’intégration économique (via la baisse des coûts de transport) et stabiliser la répartition symétrique des activités industrielles.

De même, lorsque la distribution spatiale des activités est de type centre-périphérie, la région centre peut imposer plus fortement les facteurs mobiles qui préfèreront rester concentrer pour supporter le coût de la provision du bien public local. La région péri- phérique devra donc réduire fortement son niveau de taxation des facteurs mobiles si elle souhaite capter les industries mobiles.

Andersson et Forslid (2003) ont permis de mettre en lumière le rôle du bien public dans les décisions de localisation des facteurs mobiles. D’une part, la production de ce bien accroît la satisfaction des individus mais d’autre part, elle a pour contrepartie un niveau d’imposition élevé qui réduit l’attractivité de la région et peut faire fuir les facteurs mobiles. L’impact de ces deux effets sur la distribution spatiale des activités dépend du degré d’intégration économique des régions ainsi que de la répartition de la charge fiscale sur les deux catégories de population. Ainsi, un renforcement de l’intégration économique aura pour conséquence de donner une plus grande liberté de taxation du facteur mobile

à la localité la plus industrialisée. En revanche, si les industries sont concentrées dans la localité voisine, le gouvernement devra réduire la pression fiscale des facteurs mobiles car la concurrence fiscale entraînera la délocalisation de ces facteurs vers l’autre localité.

Enfin, pour contrer les effets d’une agglomération totale des activités dans une seule région, les autorités sont amenées à imposer plus fortement le facteur immobile afin de financer la fourniture du bien public à même de retenir les facteur mobiles sur le terri- toire. En effet, le résultat essentiel de l’analyse menée par Andersson et Forslid (2003) tient au différentiel d’imposition entre les facteurs. Plus la charge fiscale des travailleurs mobiles est forte plus les forces d’agglomération sont puissantes et poussent à la concen- tration industrielle. Ainsi, dans un contexte de concurrence fiscale, les gouvernements auront tendance à reporter le fardeau fiscal sur le facteur immobile pour maintenir une répartition spatiale équilibrée des industries entre les localités. On retrouve donc ici un résultat traditionnel des modèles de concurrence fiscale (voir chapitre 1).

Toutefois, le modèle proposé par Andersson et Forslid (2003) souffre de certaines li- mites. En premier lieu, comme chez Ludema et Wooton (2000), il n’existe pas de capital mobile. Ce sont les travailleurs qui migrent d’une région à l’autre alors que la réalité européenne souligne la forte mobilité des capitaux et la relative sédentarisation des tra- vailleurs même qualifiés. Ensuite, il n’existe pas de jeu fiscal entre les gouvernements locaux. Aucune hypothèse n’est formulée sur leur fonction objectif ou sur la séquence des décisions fiscales. Par conséquent, et c’est là la principale critique, les taux de taxe sont supposés être exogènes. Or, l’analyse de la concurrence fiscale est précisément l’étude des décisions fiscales de régions concurrentes pour attirer le facteur mobile. Ainsi, Andersson et Forslid (2003) développent une analyse très intéressante car ils intègrent les deux vo- lets de l’action publique mais ils évincent la question de la détermination des niveaux de taxation et donc les interactions stratégiques entre les gouvernements locaux.

2.4.3

Mobilité des entrepreneurs et jeu fiscal entre gouverne-