Chapitre 2 Effet de la polarité sur la croissance et les propriétés des nanofils de
2.2 Nucléation et vitesse de croissance des nanofils de polarité oxygène et zinc
2.2.3 Mécanisme de croissance
2.2.3.1 Conditions de croissance
L’évolution du pH de la solution au cours d’une croissance réalisée dans des conditions
standard est montré Figure 2.14a. Le pH initial de 6,77 diminue rapidement en début de
croissance avec l’augmentation de la température. La température de croissance de 90°C est
atteinte après 40 minutes avec un pH de 5,57 qui diminue légèrement jusqu’à atteindre 5,42
à la fin de la croissance, après 180 minutes.
Figure 2.14 (a) Évolution du pH dans le bain chimique en fonction du temps de croissance. La
température de croissance de 90°C est atteinte après 40 minutes (ligne verticale pointillée). (b) Diagramme de prédominance des complexes Zn(II) à 90°C en fonction du pH simulé avec le logiciel Visual MINTEQ pour une concentration équimolaire de 𝑍𝑛(𝑁𝑂3)2 et de HMTA de 30 mM. La zone hachurée de couleur orange représente le domaine de pH mesuré dans nos conditions de croissance.
La distribution des différents complexes Zn(II) en solution, déterminée par des
simulations thermodynamiques, est présentée Figure 2.14b. Le domaine de pH, représenté
par la zone hachurée de couleur orange sur la figure, montre que dans nos conditions de
croissance les ions Zn
2+sont largement dominants et les autres espèces, comme 𝑍𝑛(𝑂𝐻)
+et
𝑍𝑛(𝑁𝐻
3)
2+sont négligeables [364]. Par conséquent, nous allons considérer par la suite que
les ions Zn
2+, formant typiquement une molécule de zinc hexahydratée [Zn(H
2O)
6]
2+, sont
les seuls complexes Zn(II) participant à cristallisation du ZnO pour former les nanofils en
bain chimique.
2.2.3.2 Modèle de croissance
Le régime d’élongation des nanofils de ZnO en bain chimique peut être analysé en
considérant les phénomènes compétitifs de transport diffusif et de réaction à la surface des
réactifs.
En suivant ce type d’approche, Boecker et al. ont d’abord proposé un modèle de
croissance limitée par la diffusion des réactifs en solution [381] pour expliquer la relation
inversement proportionnelle entre les dimensions (longueur, diamètre) des nanofils et leur
densité, observée expérimentalement dans le cas de réseaux de nanofils relativement denses
et obtenus par croissance spontanée en bain chimique sur des couches d’amorces
polycristallines de ZnO [373, 381].
Cheng et al. ont ensuite montré que ce n’est pas uniquement la densité de nanofils qui
affecte leur vitesse de croissance et leurs dimensions, mais plutôt la fraction d’aire de surface
totale des plans c des nanofils exposée à la solution de croissance [358]. Ce paramètre, noté
S, correspond au produit de la densité de nanofils (n) par l’aire moyenne des faces de plan c
des nanofils (A), selon 𝑆 = 𝑛 × 𝐴 (2.2). Par exemple, un réseau très dense de nanofils à faible
diamètre et un réseau très peu dense de nanofils à large diamètre peuvent avoir un paramètre
S similaire et donc croitre avec la même vitesse de croissance axiale. L’élongation des nanofils
apparait selon cette approche limitée soit i) par la réaction à la surface lorsque le paramètre
S est faible (faible densité et faible diamètre des nanofils), soit ii) par le transport diffusif des
réactifs en solution lorsque le paramètre S est plus élevé (haute densité et large diamètre des
nanofils).
Cheng et al. ont alors adapté le modèle utilisé par Boecker et al. pour relier la vitesse de
croissance des plans c des nanofils (vitesse de croissance axiale), noté R
c−plane, à ce
paramètre S et à la concentration en ions Zn
2+dans la solution. Il s’agit ici de considérer les
processus en série de transport des ions Zn
2+de la solution jusqu’aux plans c des nanofils
correspondant à l’interface de croissance, et la consommation de ces ions à l’interface pour
former le ZnO. Une représentation schématique du modèle de croissance est montrée Figure
2.15.
Figure 2.15 Illustration schématique du modèle de croissance des nanofils de ZnO limité par les phénomènes de diffusion des ions Zn2+ et de leur réaction à l’interface de croissance. Adapté de Cheng
et al. [358].
On considère d’abord dans ce modèle que la concentration en ions Zn
2+dans la solution,
loin de l’interface de croissance, notée 𝐶
∞, reste constante. La diffusion des ions Zn
2+dans la
solution vers l’interface de croissance est modélisée par la seconde loi de Fick :
𝐽
𝑍𝑛= −𝐷𝑑𝐶
𝑍𝑛𝑑𝑧 (2.3)
avec 𝐽
𝑍𝑛le flux d’ions Zn
2+[m
-2.s
-1], 𝐷 le coefficient de diffusion des ions Zn
2+en solution
aqueuse à 90°C [m
2.s
-1], 𝐶
𝑍𝑛la concentration en ions Zn
2+proche de l’interface de croissance
[m
-3], et 𝑧 la distance par rapport à l’interface de croissance [m].
On suppose ensuite que la diffusion est statique et qu’elle a lieu sur une épaisseur de
fluide 𝛿 [m] adjacente à l’interface de croissance, appelée épaisseur de couche stagnante,
dans laquelle il n’y a pas d’écoulement, et seulement du transport diffusif. La concentration
en ions Zn
2+à la distance 𝑧 = 𝛿 de l’interface de croissance est alors 𝐶
𝑍𝑛(𝛿) = 𝐶
∞. La
concentration à 𝑧 = 0 est notée 𝐶
0. Dans ce cas, le flux 𝐽
𝑍𝑛s’écrit :
𝐽
𝑍𝑛= 𝐷𝐶
∞− 𝐶
0𝛿 (2.4)
La vitesse de la réaction de déshydratation de [Zn(H
2O)
6]
2+pour la formation de ZnO à
la surface des plans c des nanofils, notée 𝐺
𝑍𝑛[m
-2.s
-1], s’écrit, pour une réaction chimique du
premier ordre :
𝐺
𝑍𝑛= 𝑘
1𝐶
0𝑆 (2.5)
avec, 𝑘
1la constante de vitesse de réaction pour la cristallisation du ZnO à la surface au
premier ordre [m.s
-1].
La conservation de la masse implique un équilibre entre le flux des ions Zn
2+et leur
incorporation à la surface des nanofils :
En combinant les équations (2.4), (2.5), et (2.6), il est possible d’exprimer la
concentration 𝐶
0par :
𝐶
0= 𝐶
∞1 +𝑘𝐷 𝑆
1𝛿
= 𝐶
∞1 + 𝛷; 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝛷 =
𝑘
1𝛿
𝐷 𝑆 (2.7)
𝛷 est le module de Thiele. C’est une mesure du rapport entre la vitesse de réaction à la
surface et la vitesse de diffusion à travers la couche stagnante. Pour 𝛷 ≫ 1, on a 𝐶
0≪ C∞ et
la croissance des nanofils est limitée par la diffusion, tandis que pour 𝛷 ≪ 1, on a 𝐶
0~𝐶
∞et
la croissance des nanofils est limitée par la réaction à la surface. La limite entre les deux
régimes de croissance est obtenue pour 𝛷 = 1, ce qui correspond à une certaine valeur
critique de S, notée 𝑆
𝑐, qui se calcule par la formule :
𝑆
𝑐= 𝐷
𝑘
1𝛿 (2.8)
La vitesse de consommation des ions Zn
2+, 𝐺
𝑍𝑛, est liée à la vitesse de croissance axiale
des nanofils, 𝑅
𝑐−𝑝𝑙𝑎𝑛𝑒, par :
𝐺
𝑍𝑛= 𝑅
𝑐−𝑝𝑙𝑎𝑛𝑒𝜌𝑆 (2.9)
avec 𝜌 la densité molaire du ZnO [m
-3].
Il est ainsi possible d’exprimer 𝑅
𝑐−𝑝𝑙𝑎𝑛𝑒en fonction des différentes constantes (𝑘
1, 𝛿, 𝜌,
D) et des paramètres mesurables et connus (𝑆, et 𝐶
∞) en combinant l’équation (2.9) avec
l’équation (2.5) :
𝑅
𝑐−𝑝𝑙𝑎𝑛𝑒=𝑘
1𝐶
0𝑆
𝜌𝑆 (2.10)
puis avec l’équation (2.7) pour obtenir :
𝑅
𝑐−𝑝𝑙𝑎𝑛𝑒= 𝑘
1𝐶
∞𝜌(1 + 𝛷)=
𝑘
1𝐶
∞𝐷
𝜌𝐷 + 𝜌𝛿𝑘
1𝑆 (2.11)
La vitesse de croissance réciproque des nanofils évolue ainsi linéairement avec le
paramètre S selon la relation :
1
𝑅
𝑐−𝑝𝑙𝑎𝑛𝑒=
𝜌
𝐶
∞𝑘
1+
𝜌𝛿
𝐶
∞𝐷𝑆 (2.12)
2.2.3.3 Régime de croissance et vitesse de réaction à la surface
Les réseaux de nanofils de ZnO ordonnés formés sur les monocristaux de ZnO de polarité
O et Zn dans le cadre de cette étude se prêtent bien à une analyse par cette approche en
raison de leur excellente uniformité structurale. Il s’agit ici d’extraire les paramètres 𝑘
1, 𝛿 et
𝑆
𝑐pour les nanofils de polarité O et Zn, à partir des mesures expérimentales des dimensions
des nanofils obtenues pour les différents domaines. Cela nécessite de supposer que la
croissance des nanofils de ZnO sur un domaine n’est pas affectée par les domaines adjacents,
ce qui est ici raisonnable en raison des distances significatives séparant les différents
domaines.
Le paramètre S est déterminé pour chaque domaine en utilisant les images MEB en vue
de dessus correspondantes et le logiciel ImageJ pour mesurer l’aire de surface moyen des
plans c des nanofils, que l’on multiplie ensuite par la densité de nanofils. Les valeurs
mesurées pour les différents domaines sont compris entre 0,14 et 0,54. Les vitesses de
croissance axiale (𝑅
𝑐−𝑝𝑙𝑎𝑛𝑒) expérimentales des nanofils sont déduites pour chaque domaine
en divisant la longueur moyenne des nanofils du domaine correspondant (Figure 2.11) par le
temps d’élongation. On suppose ici un temps de 140 minutes compte tenu du temps de
croissance total de 180 minutes et de la durée de 40 minutes nécessaire pour atteindre la
température de croissance de 90°C (Figure 2.14a).
Figure 2.16 Vitesse de croissance réciproque des plans c des nanofils de polarité O et Zn en fonction
de la fraction d’aire de surface des plans c. Les lignes vertes correspondent à un ajustement linéaire pour les deux polarités selon l’équation (2.8) avec 𝐶∞= 30 𝑚𝑀, 𝜌 = 4,20 × 1028 𝑚−3, et 𝐷 = 2,91 × 10−9 𝑚2. 𝑠−1 [519]. Les lignes noires verticales en pointillés délimitent la transition entre les régimes limités par la réaction à la surface et par le transport diffusif pour chaque polarité.
Il est ainsi possible de tracer la vitesse de croissance réciproque des nanofils de ZnO en
fonction de S pour les nanofils des deux polarités (Figure 2.16). Une relation linéaire est
observée dans les deux cas, ce qui est confirmé par le bon ajustement de ces résultats
expérimentaux avec l’équation (2.12), présentéeFigure 2.16, en prenant comme paramètres
C
∞= 30 mM, ρ = 4.20 x 10
28m
-3, et D = 2.91 x 10
-9m
2.s
-1[519]. Il est ainsi possible d’extraire,
à partir de la pente des ajustements, la valeur de la couche stagnante 𝛿, tandis que
l’intersection avec l’axe des ordonnées permet d’extraire la valeur de la constante de vitesse
de réaction à la surface 𝑘
1. Les valeurs pour les deux polarités sont regroupées dans le
Tableau 2.1. Le paramètre 𝛿, d’environ 3,8 mm, est similaire pour les deux polarités, ce qui
est attendu en raison des conditions de croissance identiques utilisés pour les deux
monocristaux de polarité O et Zn. Cela est également en accord avec la valeur obtenue dans
le cas de croissances spontanées par Cheng et al.[358]. En revanche, la valeur de 𝑘
1est très
différente selon la polarité des nanofils, avec 1,83 ± 0,13 µm.s
-1pour la polarité O, et 2,95 ±
0,42 µm.s
-1pour la polarité Zn, c’est-à-dire, environ soixante pourcent plus élevé pour les
nanofils de polarité Zn que pour ceux de polarité O.
La valeur critique 𝑆
𝑐pour laquelle la croissance passe d’un régime limité par la réaction
à la surface à un régime limité par la diffusion des ions Zn
2+en solution pour chaque polarité
est ensuite calculée grâce à l’équation (2.8) et présentée dans le Tableau 2.1. Là encore une
différence nette est constatée entre les nanofils de polarité O présentant une valeur de 0,42
± 0,07 et de polarité Zn présentant une valeur de 0,26 ± 0,07. La limite entre les deux régimes
est indiquée pour chaque polarité Figure 2.16. Il est à noter que la croissance des nanofils de
ZnO de polarité O s’effectue majoritairement dans le régime limité par la réaction à la surface
(treize domaines sur quinze). L’absence de variation de la longueur des nanofils de polarité
O avec le diamètre de trous (Figure 2.11b) peut alors se comprendre en supposant que, dans
ce régime, la concentration locale en réactifs en début de croissance au niveau des trous ne
dépend pas de leur diamètre, ce qui favorise une vitesse de croissance identique
indépendamment du diamètre des trous.
En revanche, dans le cas des nanofils de polarité Zn, la croissance s’effectue dans un
régime limité par la diffusion ou par la réaction pour environ la moitié des domaines chacun.
La vitesse de réaction à la surface 𝑘
1étant bien plus élevée pour la polarité Zn, le phénomène
de diffusion n’est pas assez intense pour compenser l’incorporation rapide des ions Zn
2+à
l’interface de croissance, particulièrement lorsque la fraction d’aire de surface des plans c est
grande. Il y a donc dans ce cas une déplétion locale de la concentration en réactifs à l’interface
qui limite la vitesse de croissance. Cet effet est notamment susceptible de se produire dans
les premiers stades de la croissance au niveau des trous, et un plus grand diamètre de trous
peut mener à une déplétion locale en réactifs plus importante, ce qui limite d’autant plus la
vitesse de croissance. Cela peut expliquer la diminution de la longueur des nanofils de ZnO
de polarité Zn avec l’augmentation du diamètre de trous observée Figure 2.11b.
Polarité 𝑘
1[µm.s
-1] 𝛿 [mm] 𝑆
𝑐O 1,83 ± 0,13 3,81 ± 0.36 0,42 ± 0,07
Zn 2,95 ± 0,42 3,78 ± 0,46 0,26 ± 0,07
Tableau 2.1 Valeurs des paramètres 𝑘1, 𝛿, et 𝑆𝑐 extraites pour les nanofils de polarité O et Zn.