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2. Le débat des années 1970 à aujourd’hui

2.1 Un outil thérapeutique sans précédent

2.1.1 Pour la mère

D’emblée et de manière récurrente, l’UA est présenté comme une solution sans pareille pour les femmes ayant de la difficulté à procréer ou n’ayant pas la capacité d’enfanter « naturellement » (vivant des problèmes d’infertilité ou de stérilité, ou ayant subi une hystérectomie suite à un cancer, par exemple). Comme l’affirme Philippe Descamps,

la mise au point de matrices externes artificielles apporterait incontestablement une solution aux femmes qui, pour diverses raisons, ne parviennent pas à mener à terme leur grossesse ou bien courent un grave danger en souhaitant la poursuivre. Une grossesse comporte en effet toujours un risque pour la mère et la mortalité maternelle en France est loin d’être négligeable4.

Vu le risque pathogénique inhérent au corps maternel, on comprend que toutes celles « souffrant » de divers problèmes reproductifs pourraient recourir à cette technique afin d’éviter les complexes procédures et traitements ainsi que leurs difficiles répercussions (corporelles, psychologiques, émotionnelles, etc.). Plus largement, cette technique rejoindrait toutes celles souhaitant esquiver les maintes complications possibles de la grossesse pathogène, ardue et risquée (pour la femme et pour l’enfant) dont la biomédecine se voue à maîtriser. Cette perspective est bien exprimée par Roger Gosden, chercheur en biologie reproductive à l’école de médicine de l’Université McGill : « Pregnancy and labor are times of uncertainty, of risk, and of anxiety […] and sophisticated medical care and antenatal advice maximize the chances of a happy outcome »5. À son avis, l’utérus est : « just a clever incubator, and rather less sophisticated

1 Philippe Descamps, ibid., p. 41.

2 Souligné par Henri Atlan et Mylène Botbol-Baum à propos de la légitimation de la recherche sur les cellules souches (Des embryons et des hommes, op.cit., p. 48). On retrouve la même logique discursive ici. Voir par exemple Frida Simonstein qui affirme que l’ectogenèse

« would reduce women’s suffering », dans « Artificial reproduction technologies (RTs) – all the way to the artificial womb? », loc.cit., p. 360.

3 Jim Davin, « Would Artificial Wombs Produce More Harm than Good? », The National Catholic Bioethics Quarterly, 5 (4), hiver 2005, p.

657.

4 Philippe Descamps, L’utérus, la technique et l’amour, op.cit., p. 42-43. 5 Roger Gosden, Designing Babies, op.cit., p. 181.

than either the ovary or the placenta »1. Ainsi, le passage d’une gestation naturelle à artificielle

serait non seulement bénéfique, mais n’impliquerait simplement qu’un saut d’une « machine » à une autre : « […] one serves as well as another »2. D’après Gosden, l’utérus ne représente qu’un

contenant ou couveuse, voire un aquarium3, et ce sont plutôt les gamètes riches en composantes

génétiques qui méritent d’être valorisés. On découvre alors une perspective qui dénigre l’expérience corporelle en la décrivant comme obsolescente, en mettant l’accent sur les inconvénients, les tracas, les complications et les risques, tels qu’en témoignent les extraits suivants :

[An artificial womb would] provide a solution for women who want a child biologically their own, but lack a womb (for whatever reason), as well as for homosexual couples. It might also appeal to women who require IVF to reproduce. Women may choose to save time, pain, bad moods and endless frustration (when embryos fail to implant). Generally, it may prevent endangering women’s health, for although a pregnancy is not considered an illness it poses inherent risks to the mother4.

Medically speaking, pregnancy is, in some cases, undeniably risky. Complications associated with childbirth are one of the leading causes of death in women of child-rearing age. Other medical problems can be exacerbated by pregnancy, such as kidney disease, diabetes, liver disease, and cardiac problems. Even for otherwise healthy women, pregnancy is a cause of nausea, cramps, hemorrhoids, heartburn, varicose veins and nosebleeds. Given the problems

that pregnancy can cause, it seems reasonable to attempt to develop an alternative, such as ectogenesis, even

if this alternative was only to be used in cases where pregnancy was likely to cause risk or serious harm to the mother5.

15% of all pregnant women develop potentially life-threatening complications. Over the years 2000-2002, the overall maternal mortality rate in the United Kingdom was 13.1 maternal deaths per 100,000 maternities. Pregnant women are likely to suffer health problems including back pain, exhaustion, bowel problems, and urinary incontinence extending for six months after delivery and beyond. The prevalence in particular of fecal incontinence following childbirth is something that has only just begun to be recognized, and it has been suggested that for this reason alone, “natural” birth should be something for which women give informed consent based on a full understanding of these risks6.

Présenté comme une « machine reproductive imparfaite »7, le corps maternel est non

seulement perfectible, mais devient en soi une embûche à surpasser. Porteuse de complications

1 Ibid., p. 183-84. Cité dans Irina Aristarkhova, « Ectogenesis and Mother as Machine », loc.cit. 2 Roger Gosden, ibid., p. 189.

3 « Just as a tropical fish survives in a heated tank on food and an occasional change of water, a fetus floating in its amniotic fluid is

substantially independent of outside conditions. Its environment is warm, wet, and contaminated with its own waste products. The oxygen and nutrients needed for growth are obtained via an umbilical cord attached to the placenta, rather like the lifeline of a North Sea diver trailing from the ship ». Roger Gosden, ibid., p. 184.

4 Frida Simonstein, « Artificial reproduction technologies (RTs) – all the way to the artificial womb? », loc.cit., p. 362.

5 Stephen Coleman, The Ethics of Artificial Uteruses, op.cit., p. 30-31. Référant à Laura Purdy, « The Morality of New Reproductive

Technologies », dans Reproducing Persons, Ithaca, Cornell University, 1996. C’est nous qui soulignons.

6 Anna Smajdor, « The Moral Imperative for Ectogenesis », loc.cit., p. 340. 7 Gena Corea, The Mother Machine, op.cit.

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diverses, la reproduction naturelle est comprise comme étant aléatoire et dangereuse1, synonyme

de douleurs, de souffrances, de risques et de pathologies; ainsi, la gestation et l’accouchement méritent selon ce point de vue d’être remplacés artificiellement. C’est clairement la position de la bioéthicienne Anna Smajdor qui déplore le fait « alarmant » que presque 50% de la population est concerné par les troubles de la procréation « naturelle » et que les autorités de santé publique tardent toujours à résorber cette situation « aberrante »2. Par-dessus les lourdes souffrances

physiologiques, elle ajoute que la gestation « naturelle » entraîne une myriade de problèmes psychologiques : la peur et le stress de l’accouchement peuvent causer des troubles psychiques ou émotionnels qui risquent de provoquer des complications lors de l’accouchement3; un

accouchement périlleux augmente les chances du syndrome de stress post-traumatique4; et les

taux de dépression post-partum semblent être à la hausse5. La compréhension de la grossesse et

de l’accouchement comme défaillantes et pathologiques pousse Smajdor à proclamer rien de moins que l’abolition la maternité corporelle « barbare » et à promouvoir une gestation ex vivo, à l’instar de la féministe Shulamith Firestone qui croit que « accoucher est comme chier une citrouille »6. Cette manière de penser suppose qu’une matrice artificielle rendrait service aux

femmes en éliminant la grossesse et l’accouchement. C’est notamment ce qu’exprime l’écrivain Edward Grossman lorsqu’il déclare : « artificial wombs would finally end human pregnancy and childbirth, physiological experiences [that are] disturbances. […] ectogenesis would be man’s greatest gift to woman, like pain-killing drugs used to pacify birthing women »7.

En plus de pallier aux lacunes biologiques et d’outrepasser les fardeaux psychologiques, physiques ou économiques qui en découlent, l’UA permettrait d’éviter le recours aux mères porteuses qui implique parfois de lourdes procédures juridiques et des complications de toutes sortes8. C’est notamment ce qu’expriment la Dr Helen Hung Ching Liu et son équipe de

l’Université Cornell qui présentent leurs travaux « comme étant d’abord orientés par des finalités

1 Joseph Dumit et Robbie Davis-Floyd, « Introduction. Cyborg Babies. Children of the Third Millenium », dans R. Davis-Floyd et J.

Dumit (dir.), Cyborg Babies, op.cit., p. 9.

2 Anna Smajdor, loc.cit., p. 339-40. 3 Ibid., p. 340.

4 Ibid., p. 340. 5 Ibid., p. 342.

6 Traduction libre de « childbirth is like shitting a pumpkin »,Shulamith Firestone, The Dialectic of Sex, New York, Bantam Books,

1970. Citée dans Rosemarie Tong, « Out of Body Gestation: In Whose Best Interests? », dans S. Gelfand et J. Shook (dir.), Ectogenesis,

op.cit., p. 64.

7 Edward Grossman, « The Obsolescent Mother: A Scenario », The Atlantic, 227 (5), 1971, p. 39-50. Cité dans Sarah Langford, « An

end to abortion? A feminist critique of the ‘ectogenetic solution’ to abortion », loc.cit., p. 264.

8 Henri Atlan, L’utérus artificiel, op.cit., p. 89; Philippe Descamps, L’utérus, la technique et l’amour, op.cit.; Scott Gelfand et John Shook

(dir.), Ectogenesis, op.cit.. Selon Roger Gosden, « Artificial wombs would put an end to all the medical and social difficulties of surrogate motherhood, so that conventional maternity would become unnecessary » (Designing Babies, op.cit., p. 198).

médicales : remplacer un utérus absent ou pathologique et permettre ainsi à des femmes de procréer sans faire appel à des mères porteuses, avec tous les problèmes émotionnels et légaux que cela comporte »1. Ceci rejoint directement les propos de Peter Singer (philosophe éthicien) et

Deane Wells (alors un membre du parlement australien) qui affirment – dans leur texte fondamental faisant figure de référence en matière d’ectogenèse :

Medically speaking, ectogenesis offers an alternative to surrogate motherhood for women who are incapable of pregnancy or for whom pregnancy is not recommended on medical grounds. […] The most likely cases are women who have had a hysterectomy or women with a health problem that could be worsened by pregnancy. […] The medical case for ectogenesis, then, would consist of the medical case for surrogate motherhood coupled with the claim that ectogenesis should be chosen in preference to surrogacy2.

Ces discours témoignent tous que l’alternative technoscientifique à la grossesse faillible et dangereuse assurerait tout simplement de meilleures conditions d’enfantement, qu’elles soient de nature juridique, économique, biologique, psychologique ou sociale. « There might be greater scope for ectogenesis to be prioritized due in part to the pain and trauma that even the best- managed childbirth entails. […] it may come to seem absurd that they [women] are chained to the

degrading and dangerous processes of pregnancy and childbirth simply because of our inability to get our

heads round the possibility of an alternative »3. De la sorte, ces propos démontrent aisément

qu’au fur et à mesure que les techniques se perfectionnent, « les corps féminins sont pathologisés au profit de machinerie cliniquement contrôlable »4.

S’exprime alors clairement la dialectique entre contraintes liberticides et contrôle libertaire : « obstruant » la santé et le bien-être, ainsi que la pleine liberté individuelle et la concrétisation d’un projet parental, la procréation corporelle nécessite d’être reformatée technoscientifiquement dans le but d’améliorer les conditions d’enfantement et d’éliminer tout risque et souffrance. Le corps maternel est donc symbole ultime de limitation, et l’UA est le moyen préconisé pour dépasser la contrainte corporelle afin d’aboutir à la pleine émancipation maternelle.

1 Henri Atlan, ibid., p. 39.

2 Peter Singer et Deane Wells, « Ectogenesis », dans S. Gelfand et J. R. Shook (dir.), Ectogenesis, op.cit., p. 11. 3 Anna Smajdor, « The Moral Imperative for Ectogenesis », loc.cit., p. 343. C’est nous qui soulignons.

4 Traduction libre de « women’s bodies [are] pathologized in favour of clinically controllable machinery », Maureen Sander-Staudt,

« Of Machine Born? A Feminist Assessment of Ectogenesis and Artificial Wombs », dans S. Gelfand et J. R. Shook (dir.), Ectogenesis,

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