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1. L’état des recherches actuelles

1.2 Deux voies principales de la recherche

1.2.1 La biomédecine reproductive

S’intéressant principalement aux stades pré-embryonnaires (du jour 0 au jour 14) et embryonnaires (du jour 15 à la 8e semaine) de la vie, divers domaines de la biomédecine

reproductive (embryologie, génétique, reproduction techniquement assistée) tentent de maîtriser et de reproduire ces processus dans le but de pallier aux diverses inaptitudes, imperfections ou défaillances du corps maternel. On vise à créer les conditions pour que des embryons puissent se développer efficacement en dehors de l’utérus maternel, dans le cas où celle-ci ne puisse y parvenir « naturellement » ou « correctement ». Cette première catégorie d’expertises technoscientifiques est essentiellement animée par une lutte contre l’infertilité et la stérilité – construites comme des pathologies ou dysfonctions « naturelles » sources de « désespoir » que la biomédecine se doit de surpasser6 – et pour une constante « amélioration » du développement

1 Rita Arditti et al. (dir.), Test-Tube Women. What Future for Motherhood?, op.cit.; Gena Corea, The Mother Machine, op.cit.; Jyotsna Agnihotri

Gupta, New Reproductive Technologies, Women’s Health and Autonomy. Freedom or Dependency?, New Delhi, Thousand Oaks & London, Sage Publications, Indo-Dutch Studies on Development Alternatives—25, 2000; Patricia Spallone, Beyond Conception, op.cit.; Louise Vandelac, L’infertilité et la stérilité : L'alibi des technologies de procréation, op.cit.

2 Plusieurs travaux féministes ont notamment dénoncé cette longue histoire d’interventions médicales où la femme est cobaye. Voir

parmi tant d’autres Gwynne Basen et al., Misconceptions, op.cit.; Gena Corea, The Mother Machine, op.cit.; Jyotsna Gupta, New Reproductive

Technologies, Women’s Health and Autonomy; op.cit.; Louise Vandelac, L’infertilité et la stérilité : L'alibi des technologies de procréation, op.cit. 3 Voir entre autres Robert C. Goodlin, « An Improved Fetal Incubator », Transactions of the American Society for Artificial Internal Organs,

9, 1963, p. 348-350; Howard Taylor et al., « Attempts to make an “artificial uterus” », American Journal of Obstetrics and Gynaecology, 77, 1959, p. 1295-1300.

4 Gregory Pence, « What’s so good about natural motherhood? (In praise of unnatural gestation) », dans Scott Gelfand and John

Shook, Ectogenesis, op.cit., p. 77. Dans le même sens, plusieurs recherches sont effectuées sur les cellules souches « issues de fœtus avortés ou d’embryons surnuméraires dans les cliniques de fécondation in vitro ». Henri Atlan et Mylène Botbol-Baum, Des embryons et

des hommes, op.cit., p. 46. Voir aussi Gwynne Basen, « Following Frankenstein : Women, Technology and the Future of Procreation »,

dans Gwynne Basen et al. (dir.), Misconceptions, op.cit., p. 27-38.

5 Pour mieux comprendre cette nouvelle spécialité biomédicale, voir le journal scientifique Reproductive Biomedicine Online

http://www.rbmonline.com ou l’Agence de la Biomédecine http://www.agence-biomedecine.fr (consultés en mars 2009).

6 Pour une pertinente analyse critique de la construction sociale de l’infertilité et de la stérilité comme « maladies », voir Louise

fœtal1. On constate dès lors que ces types de procédés témoignent déjà d’une forme d’ectogenèse

partielle, en reproduisant une partie de la reproduction en laboratoire. Parmi ceux qui s’intéressent à cette première étape de la grossesse, on décèle deux principaux moments clefs faisant l’objet de reproduction artificielle: d’une part, la fécondation de l’ovule et d’autre part, son implantation dans l’utérus2.

a) La fécondation extracorporelle

Les desseins et pratiques de fécondation extracorporelle ne datent pas d’hier, contrairement aux discours médiatiques qui souvent mettent l’accent sur l’aspect novateur tel que nous l’avons mentionné en introduction. Les premières tentatives de fécondation in vitro (FIV)3

d’embryons animaux remontent à 1878 et la première réussite date de 1934. En ce qui a trait aux embryons humains, la première fécondation artificielle réussie (mais qui a échoué lors de l’implantation) a été effectuée par John Rock en 1944 à l’Université Harvard, puis le flambeau fut repris par le Britannique Robert Edwards en 1969 qui a réussi à féconder un ovule en laboratoire4. La première grossesse accomplie par FIV s’est faite à Melbourne en 1973 (mais la

grossesse n’a duré que 9 jours). Enfin, le moment des plus significatifs de l’histoire de la procréation assistée est bien la naissance des premiers « bébés éprouvettes », tels la Britannique Louise Brown en juillet 1978 et la Française Amandine en 1982, ce qui donne le coup d’envoi à la généralisation de cette pratique dans les pays industrialisés. Sans trop s’attarder à l’historique de la FIV, retenons simplement pour l’instant que la vie humaine peut depuis quelque temps déjà commencer en laboratoire.

Jacques Testart (dir.), Le Magasin des enfants, Paris, Gallimard, coll. Folio actuel, 1990, p. 47-95. Sur le « monopole du désespoir », voir le chapitre « Sex, Drugs, and Money: The Public, Privacy, and the Monopoly of Desperation », dans Charis Thompson, Making

Parents, op.cit., p. 207-243.

1 On remarque que les soins pré-nataux ont tendance à intervenir en deçà des seuils anciennement établis. C’est le cas par exemple du

diagnostic préimplantatoire, qui détermine la « qualité » génétique de l’embryon fécondé avant l’implantation. Cette logique s’exprime aussi par une série de prescriptions et proscriptions biomédicales visant à optimiser le développement du fœtus avant même qu’il ne soit conçu (ex. consommation d’acide folique un an avant de concevoir). Voir notre chapitre 4.

2 Évidemment, il existe d’autres étapes qui peuvent être reproduits artificiellement, comme l’insémination artificielle. Par contre, nous

ne considérons pas cette procédure comme une reproduction extracorporelle à part entière, puisque le processus reproductif est déclenché lors de la fécondation de l’ovule qui s’effectue à l’intérieur du corps maternel.

3 Faits tirés de Stephen Coleman, The Ethics of Artificial Uteruses, op.cit., p. 5-6.

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b) La nidation

1

extracorporelle

Le deuxième processus biologique que ce domaine tente de maîtriser davantage est celui de l’implantation d’un ovule fécondé in vitro dans une matrice artificielle. Bien que l’implantation utérine demeure une condition sine qua non de la reproduction humaine, il faut voir qu’à l’heure actuelle, certains chercheurs visent à surpasser cette limite à la fois biologique et éthique2. La

recherche la plus connue et citée est celle de la pionnière Dr Helen Hung-Ching Liu de l’Université Cornell à New York. Directrice de la Reproductive Endocrine Laboratory (Center for

Reproductive Medicine and Infertility), elle et son équipe ont tenté de reproduire l’implantation

d’embryons humains dans une ébauche d’utérus artificiel3. Principalement, il s’agissait de prélever

des cellules endométriales cultivées in vitro, produites grâce à un cocktail hormonal, et tenter de les implanter dans un artefact biodégradable de forme utérine (fait de collagène), ce qui a réussi. L’expérience a dû être interrompue après quelques jours conformément aux lois bioéthiques américaines alors en place4; plusieurs considèrent donc cet arrêt non pas comme un échec mais

plutôt comme une première étape réussie qui mènera un jour – lors d’un éventuel assouplissement juridique – à l’accomplissement du projet. C’est notamment l’objectif explicite de la chercheure Liu, qui affirmait sans ambages lors de la conférence de la American Society for

Reproductive Medicine en 2001 : « That’s my final goal. […] I believe this can be achieved, we could

possibly have an artificial uterus so then you could bring a baby to term »5.

1 Nidation : implantation de l’ovule fécondé dans la muqueuse utérine.

2 Henri Atlan, « Des gènes, des embryons, de l’espèce humaine et de l’humanité », dans Henri Atlan et Mylène Botbol-Baum, Des embryons et des hommes, op.cit., p. 32. Il s’agit d’une limite éthique parce qu’elle implique la participation du corps d’une femme pour la

poursuite de toutes sortes de recherches. Un utérus artificiel permettrait de « dépasser » ce problème éthique.

3 Citée dans les écrits déjà cités de Irina Aristarkhova, Henri Atlan, Stephen Coleman, Philippe Descamps, Scott Gelfand et John

Shook, Christine Rosen, entre autres. Voir aussi Jonathan Knight, « An Out of Body Experience », Nature, 419, 12 septembre 2002, p. 106-07. Voir également la page web de H. H. Ching Liu sur le site Internet du Center of Reproductive Medicine and Infertility :

http://www.ivf.org/liu.html (consulté en décembre 2009). L’autre expérience souvent mentionnée est celle des chercheurs italiens en 1988 qui ont tenté (en vain) de faire développer des embryons humains dans un utérus artificiel. Voir Carlo Bulletti et al., « Early Human Pregnancy in vitro Utilizing an Artificially Perfused Uterus », Fertility and Sterility, 49 (6), juin 1988, p. 991-996; Claire Chabot, « De la fécondation in vitro à l’utérus artificiel », Québec Science, Juillet/Août 1993, p. 14. Pour des recherches sur des embryons animaux visant à réaliser l’ectogenèse, voir entre autres les recherches de Denis New, de l’Université Cambridge (qui a tenté de mener à terme la croissance de fœtus de rats cultivés en éprouvette) ou encore celles de la biologiste australienne Lynne Selwood (qui a réussi à cultiver artificiellement des embryons de marsupiaux jusqu’à 10 jours, alors qu’une grossesse dure normalement 11 jours). Tous deux cités dans Roger Gosden, Designing Babies, op.cit., p. 200-01.

4 De façon générale, les lois interdisent qu’un embryon soit développé en laboratoire plus de 14 jours. Voir Scott LaFee, « Spare

Womb. Will Artificial Wombs Mean the End of Pregnancy?”, loc.cit.

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