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Chapitre 5. Résultats de la recherche p.163 1 Quand le discours marketing imprime le discours organisationnel p

2. LE LUXE, « STORYTELLING INDUSTRY »

Nous allons maintenant nous appuyer sur le travail séminal de Boje (1995) pour mieux qualifier ce discours managérial d’inspiration marketing, discours que nous allons confronter au discours officieux en analysant nos 59 entretiens longs menés auprès de managers de l’industrie du luxe.

Notons ici que nous avons forgé le terme "discours managérial d’inspiration marketing" pour

souligner le caractère copié-collé du discours de la marque-employeur inspiré du discours de la marque-commerciale et pour éviter les connotations épistéologiques liées au terme d’internal branding (partie A, chapitre 1, partie 3.2.).

2.1. Constat d’un écart entre discours officiel et discours officieux

Alors que nous procédions à l’analyse des discours officiels, nos lectures nous ont amené au travail séminal que Boje (1995) a consacré à Disney. Le chercheur, en proposant la métaphore discursive de Tamara, déconstruit les discours officiels et montre comment les « discours pré- modernes » (l’artisanat, le conte de fées, la métaphore de la famille, la signature « Walt Disney Presents », le récit mythifié des origines du projet comme du personnage de Mickey) servent à « masquer des réalités managériales modernes » (taylorisation de l’animation et des parcs à thèmes, artiste « in a creative vacuum », marchandisation de l’univers Disney, refus de toute contestation). Il labellise ainsi Disney de « storytelling organization » : une organisation où le discours officiel est sciemment développé comme un discours écran aux réalités de pratiques ou de production.

Boje (1995) définit trois types de discours à l’œuvre chez Disney (discours pré-moderne, moderne et post-moderne) et pose que ces trois discours sont en lutte permanente les uns avec les autres au sein de l’organisation dans un flux qui réorganise le discours opposé de telle manière qu’in fine le statu quo est maintenu.

C’est tout particulièrement la définition que Boje (1995) donne dans son article du « discours pré-moderne » qui a retenu notre attention car elle fait étonnamment écho aux dimensions du discours officiel du luxe : « a mythic and nomadic journey, defending artisan, craftmanship, spirituality, family and a strong sense of community over economic rationality ».

Nous y retrouvons ainsi bon nombre des dimensions listées dans la Fig.21. : le voyage, l’artisanat, le savoir-faire, la spiritualité (qui pourrait correspondre aux notions de « magie » ou « passion » dans le luxe), la famille, le refus du « tout rationnel ». Il est vrai que les similarités entre Disney, organisation créative où l’image et le langage sont clefs, et le luxe industrie narrative dominée par les marques sont réelles et que l’on peut donc opérationnaliser sans la trahir la grille de Boje (1995) pour analyser l’industrie du luxe56.

De fait, l’analyse de nos 20 premiers entretiens, a révélé une rupture, parfois forte, entre le discours officiel et le vécu organisationnel des managers interrogés, nous conduisant à étendre la notion de « storytelling » appliquée par Boje (1995) à une unique organisation, à une industrie dans son ensemble, et à théoriser le luxe comme une « storytelling industry » (Beaume-Brizzi, Darpy et Perret, 2015) ; une industrie où le discours officiel n’entretient qu’un rapport

distendu au réel et vise à masquer et légitimer la ‘réalité’.

Qualifions maintenant cet écart en dévoilant les discours alternatifs dissonants recueillis en entretien et qui caractérisent les tensions traversant le luxe industriel dévoilées par notre revue de littérature.

2.2. Thématiques du storytelling managérial faisant tension

Nous allons maintenant nous employer à montrer comment les postulats que l’on peut faire sur la marque (commerciale) de luxe entendu comme « régime de tensions » (Heilbrunn, 2011) peuvent être transférés à la marque-employeur. Nous allons qualifier la nature de ces tensions.  Tension réalité / hyper réalité :

La première tension observée concerne l’opposition entre réalité et hyper-réalité du luxe industriel, liée à l’emprise de la communication. Si les répondants s’accordent sur la nécessité de communiquer pour exister commercialement, rappelant que sans le verbe d’un bon vendeur, l’artisanat ne saurait trouver de relais, ils critiquent « une hypocrisie communicationnelle » (Samantha, marketeur) qui escamote le réel. Comme nous le dit Sébastien (tab.11), Directeur

56 Notons toutefois que si notre terrain d’étude présente des similitudes avec celui de Boje (1995), notre objectif n’est pas ici d’élaborer un comparatif entre ces deux univers mais plutôt de nous appuyer sur la notion de storytelling afin de qualifier les discours à l’œuvre au sein du luxe industriel.

Marketing d’une Maison de Joaillerie ; c’est ce que l’industrie donne à voir qui se vend, et qui finit par constituer le luxe. L’actuelle forte dépendance à une clientèle peu éduquée aux savoir- faire donne le pouvoir au verbe de la marque : ce qui compte est plus de prendre massivement la parole, que le contenu même du discours, il ne s’agit pas de ‘faire sens’ du réel mais d’inventer un réel pour ‘faire vendre’. Cela explique certainement l’uniformité des discours officiels relevée plus haut. Jérôme (tab.11), déplore que dans le champagne, désormais, ce soit le flacon-objet de communication qui garantisse l’ivresse, plus que le breuvage lui-même.

Jérôme (commercial): « Nous, nous avons un discours du genre « notre produit, c’est notre produit »… alors que les distributeurs disent « c’est quoi votre nouveauté ? quel packaging ? » (…) du coup, on est obligés de faire des packs, des alibis-presse.»

Sébastien (marketeur) « Ils n’ont pas arrêté la ligne de produit, ils ont juste changé la façon de communiquer. Ca suffit à faire des résultats stables. Mais les produits sont les mêmes dans les magasins ! »

Tableau 11_ Thématiques du storytelling managérial faisant tension : tension réalité/hyper réalité

Nous nous inscrivons ici dans la lignée des travaux présentés dans notre revue de la littérature consacrée au luxe (partie A, chapitre 3.) et décrivant la dimension « métaphorique » de la marque de luxe (Heilbrunn, 2012), en invitant à les transposer à l’interne de l’organisation. Ce que ces verbatims nous disent, c’est que, dans le luxe, ce n’est pas uniquement la marque-commerciale que l’on peut penser comme une véritable « bulle communicationnelle » (Heilbrunn, 2012 :58) mais aussi la marque-employeur.

 Tension artisanal / industriel

La seconde tension observée naît du rapport ambigu que le luxe industriel entretient avec l’artisanat. Un large consensus est apparu entre nos répondants : le rythme soutenu des collections et le réseau de distribution étendu des marques placent nécessairement l’artisanat du côté du mythe du luxe mais ne transcrit que marginalement son actuelle production….

Nous avons montré que la rhétorique autour de l’artisanat constitue un axe majeur du discours de la marque-commerciale (Assouly, 2011 ; Bertrand, 2012 ; Remaury, 2012 ; Talon, 2012) et qui à été copiée-collée au discours d’internal branding (chapitre 5, paragraphe 1.2.). Notre analyse des entretiens montre que ces discours entrent en contradiction avec les pratiques de production réelles, suscitant une véritabe « déception du sens » (Barthes, 1967 : 314-318) et des tensions identitaires fortes. Cette tension artisanat/industriel, naissant d’un discours d’internal branding ambigu, apparaît de façon très saillante dans la vaste majorité de nos entretiens.

Victoire (marketeur): « Il y a ces marques de malles qui jouent sur le principe artisanal alors que c’est fait dans une usine de menuiserie, avec de la CAO, en Espagne ! Il n’y a pas plus d’artisanat que dans un placard Ikea, mais leur communication est artisanale. »

Samantha (marketeur) : « L’artisanat? Il disparaît mais on essaie de nous faire dire qu’il y en a de

plus en plus. (…) C’est un énorme outil de communication ! »

Julie (designer): « Les métiers d’art (…). c’est quand même beaucoup de communication. Il y a clairement un écart entre la communication et la réalité ! »

Eloïse (à la tête d’une petite Maison labellisée « Patrimoine Vivant», ex salariée d’un conglomérat): « La place de l’artisanat dans le luxe ? Il est plus présent en communication que dans la réalité. A mon

avis, il est à la marge. (…) Le gros de l’industrie du luxe, c’est pas de l’artisanat d’art, c’est beaucoup d’investissement en communication (…) l’artisanat d’art survit beaucoup grâce au luxe, mais il est très faible dans la réalité de production du gros de l’industrie. Il y a clairement un écart entre la

communication et la réalité !»

Tableau 12_Thématiques du storytelling managérial faisant tension : tension artisanal / industriel

 Tension refus du « tout rationnel » / financiarisation du luxe

Nous venons de montrer que la tension artisanal / industriel s’incarne dans les pratiques de production. Notre analyse des entretiens montre qu’elle s’incarne également dans les pratiques de management, se traduisant comme une tension entre un refus du « tout rationnel » exprimé dans les discours officiels d’une part et réalité d’un luxe financiarisé révélé dans les discours officieux.

Les entretiens décrivent ainsi un écart problématique entre un discours d’internal branding valorisant les petites mains, les longues heures de travail, l’exceptionnel et donc, en un sens, la résistance du luxe à une rationalité purement économique (la logique de la Haute Couture qui échappe aux exigences de marge des autres catégories de produits) et une réalité financiarisée de conglomérats captant la valeur et exigeant une profitabilité à tout crin.

Cette tension fait ponctuellement naître des actions concrètes de résistances (comme la grève évoquée ci-dessous par Victoire) ou nourrit le plus souvent une déception ; le discours managérial-marketing ne tenant pas ses promesses.

Victoire (marketeur) « Il y a une forte tension, ça s’est vu dans les grèves des tourneurs-fraiseurs- soudeurs. Ils travaillent comme un fabricant de tuyaux de plomb mais ils travaillent l’or. Le travail est le même, payé au même prix que s’ils faisaient un tube de plomberie, sauf qu’à la fin le tube rapporte

beaucoup plus à l’entreprise. Donc, même socialement, il y a cette tension entre valeur apportée, discours

artisan et réalité de la rémunération.»

Juliette (marketeur) « Ce qui déçoit les équipes ? C’est tout le revers du luxe, un management resté très

traditionnel, le Comité de Direction en haut de sa tour d’ivoire et le peuple qui bosse. C’est ca ! C’est la répartition des richesses, la valeur du travail (…) sur le papier on est dans des Maisons, mais en fait on est dans les mains d’un conglomérat.»

Giulia (designer accessoires freelance, ex-salariée d’une marque de mode de premier ordre)

« En recherches matières, tu peux avoir 36.000 idées, mais après tu ne peux pas les réaliser car il y a une

avais. Donc on est quand même vachement influencé par le commercial qui veut des choses à vendre, pas chères, donc évidemment l’idée du départ n’est plus du tout la même à la fin… oui… un défilé peut rester

très créatif, mais pour plein de produits on n’arrive pas à ce qu’on veut parce qu’il y a trop de contraintes commerciales, économiques, au niveau des budgets qu’on nous donne. (…) Le créatif est bridé par la Direction Générale qui lui demande de faire certaines choses avec pour objectif d’avoir un chiffres d’affaires X

Tableau 13_Thématiques du storytelling managérial faisant tension : tension refus du tout rationnel / financiarisation

 Tension temps long / temps court

La quatrième tension, est liée à un conflit de temporalités. Le temps long, valeur ultime sur laquelle les marques de luxe fondent leur récit (dimension patrimoniale des produits, savoir-faire ancestraux mobilisés, geste lent de la main) ne serait plus en phase avec l’injonction d’immédiateté de la société contemporaine. L’actualité d’octobre 2015 (Gaultier arrête le prêt-à- porter, Raf Simmons épuisé par le rythme incessant des collections ne renouvèle pas son contrat chez Dior, Alber Elbaz défenseur d’une temporalité de la main, est remercié chez Lanvin) met sur la scène publique un ressentiment diffus chez les Directeurs Artistiques et de plus en plus prégnant également parmi les managers. Cette accélération, initiée dans la mode, s’est étendue à l’ensemble du luxe (Godart, 2011 :108), mettant tous les acteurs sous pression (parmi nos répondants, seul Marcus évoque un aspect positif à ce tempo soutenu).

Claudia (manager mode) «Là où il y a une tension, c’est que dans l’artisanat il faut un certain temps

pour le tannage, pour former les gens, se faire un œil. C’est les conflits de temporalité entre la frénésie d’aujourd’hui et le vrai artisanat»

Céline (designer mode) « On veut livrer plus vite, donc il faut créer plus vite, il y a une énorme pression sur les créatifs et développeurs qui pètent les plombs»

Juliette (manager joaillerie) «Ce produit va passer de 900 à 9.000 pièces mais le serti prend toujours autant de temps à la main ! Donc ça se tend énormément côté atelier!»

Marcus (designer mode) «Le meilleur de notre cycle, c’est qu’on peut se planter mais on a une chance de recommencer juste derrière, ça efface vite les frustrations »

Tableau 14_Thématiques du storytelling managérial faisant tension : tension temps long / temps court

Cette dimension frénétique du rythme de l’industrie du luxe revient comme un point saillant dans les entretiens que nous avons menés – alors même qu’elle est étonnamment sous-pensée dans la littérature académique. Les professeurs de marketing du luxe expliquent le calendrier des collections sans le questionner, et il est vrai qu’à l’interne les managers ne peuvent le plus souvent que s’y soumettre. La critique par certains créatifs du caractère néfaste de cette accélération de la mode est récente et demeure minoritaire (chapitre 4, partie 2.2.) et demeure le plus souvent centrée sur l’effet négatif de ce rythme sur la créativité des designers. L’effet de ce rythme sur les managers – hors créatifs - n’a à notre connaissance jamais fait l’objet d’études spécifique. Si

« manager le luxe consiste à manager l’aura de la marque dans le temps57 » (Dion & Arnould, 2011 :503), alors manager la marque de luxe à l’interne impose d’interroger le rapport de la marque au temps et les effets de la temporalité accélérée des pratiques de production sur les processus identitaires des managers du luxe.

 Tension créatif / standardisé

Cette accélération du rythme de création est-elle synonyme d’intense créativité ? C’est là l’ultime tension entre discours managérial officiel et vécu des acteurs que révèlent nos entretiens ; la tension entre créativité et standardisation. Les points de vue divergent. Certains soulignent le revers de la concentration de l’industrie en conglomérats, induisant une moindre prise de risque des créatifs comme des managers, d’autres croient à l’existence d’espaces créatifs à la marge, d’autres enfin questionnent le sens de ce bruissement créatif. Tous sentent qu’il s’agit d’un nœud complexe du luxe industriel. Comme l’explicite bien le verbatim de Giulia (Tableau 15), cette tension entre créatif et standardisé serait le sous-produit de l’accélération du rythme des collections et de la financiarisation de l’industrie du luxe.

Joël (designer horloger) « Il n’y a jamais eu autant de designers et aussi peu de créativité»

Stéphane (manager horlogerie): «Il y a un moule, les managers sont tous pareils, c’est des clones» Sophie (marketeur) « Chez marque horlogère, il y a la peur de perdre la recette si on change. Il y a une pensée unique»

Anne (directrice de boutique accessoires) « Le luxe, est-il créatif ? Oui, il y a de la marge. Enfin, pas

dans les Groupes, c’est trop sclérosé, trop de pyramides, trop de gens, tu es étouffé»

Giulia (designer accessoires freelance, ex-salariée d’une marque de mode de premier ordre) «Avant, le

créatif se permettait des extravagances, des folies, et ca c’est qui a fait que les marques sont aujourd’hui ce qu’elles sont. Parce que c’est quand même ca qui a nourri le développement des marques! Maintenant je trouve qu’on tourne un peu en rond, il y a une espèce de… je dirais que les produits sont devenus beaucoup plus faciles… donc on tourne en rond, les briefs des commerciaux, c’est la Bible ! Les marques

ont mis de côté la créativité (…) Ce qu’on a vécu chez marque de mode de premier plan au sein d’un conglomérat avec directeur artistique reconnu pour sa grande créativité,ca n’existe plus aujourd’hui !

La contrainte de faire un chiffre d’affaires est absolument écrasante, énorme ! Donc tout le monde est obligé d’aller dans le sens de l’efficacité absolue ! Que ce soit dans les dessins, dans les prototypes, dans

les choix des matières ! Il faut être le plus efficace possible pour avoir les prix, le maximum de résultats.

Mais cette efficacité là, ca va à l’encontre de la créativité, car tu te retrouves presque à prendre ta

calculatrice et à dire « ah, oui mais si je prends cette matière là, si ca atteint ces prix là, j’y pense même pas » donc si a la base, on a cette contrainte absolument énorme, et ben ça devient plus formaté !» Clara (développeuse matières) « Chez marque de mode de premier plan au sein d’un conglomérat,le Directeur Artistique est bridé par la Direction Générale qui lui demande de faire certaines choses avec

pour objectif un chiffre d’affaires de X

Tableau 15_Thématiques du storytelling managérial faisant tension : tension créatif / standardisé

Ces verbatims critiques nous invitent à penser le luxe comme l’indice ultime d’une « société accélérée » où « la vitesse prodigieuse des événements (…) cache à peine la profonde inertie culturelle et structurelle de notre époque » (Rosa, 2014, p51-52).

Ils situent également nos recherches dans la continuité des travaux approchant le luxe comme « une industrie créative …parmi d’autres » en cela qu’elle à la fois un projet économique et une activité artistique (Godart, 2012 :7) – oscillant entre recherche (affichée) d’une création de rupture et pratique réelle d’une création par « reconfiguration analogique » (Islam, et al. 2016) limitant les risques commerciaux.

Toutefois, là où ces recherches se limitent à acter des pratiques de création dans le luxe, notre travail apporte un éclairage inédit en révélant :

(1) l’ampleur des pratiques de « reconfiguration analogique» (Islam, et al. 2016) versus de création pure, l’analogie allant parfois jusqu’au pur « copier-coller » (Beaume, Flamand & Leclair 2016, 2017),

(2) l’effet de ces pratiques sur les managers qui sont chargés de les mettre en œuvre - alors même qu’ils sont la cible de discours d’internal branding présentant la marque comme créative et innovante.

En cela, notre travail se fait l’écho d’un discours officieux inédit qui se pose en contraste avec les approches marketing traditionnelles de « l’aura du créatif » (Heilbrunn, 1999) susceptible d’opérer une véritable « transmutation » (Kapferer, 1998) ; le directeur artistique assurant et maintenant la légitimité charismatique à la marque de luxe (Dion & Arnould, 2011). Si cette transmutation fonctionne auprès du client de la marque-commerciale, l’effet semble plus incertain lorsque ce discours est intégré à la marque-employeur. A l’interne, les employés exercent leur sens critique et mettent en regard du discours d’internal branding, la réalité des pratiques de création dont ils sont les témoins. Ils expriment assez clairement que la figure du directeur artistique ne fait plus figure d’exception au sein de l’organisation, qu’il est devenu un manager presque comme les autres ; soumis à la règle du marché au sein d’une industrie désormais financiarisée. Au sein de l’organisation, les managers questionnent le « pouvoir magique de l’artiste » et sa capacité à créer « un monde imaginaire distinctif » » (Dion & Arnould, 2011) alors même que les produits créés sous sa direction sont jugés insuffisamment créatifs. Il ne s’agit pas ici simplement d’acter de l’émergence de la figure du « street-wise designer » (Gutsatz & Auguste, 2013 :13), guidé à la fois par sa vision créative et son sens du marché (par opposition au « créatif aristocratique » qui se voit comme un créateur-artiste et

n’intègre pas les règles du marché58) mais véritablement d’intégrer le discours officieux interne – plutôt que de le refouler – afin de renouveller l’approche de la notion de légitimité du luxe.  Tension succès / crise

Enfin, le dernier hiatus dévoilé est celui entre les réguliers communiqués aux actionnaires mentionnant des résultats exceptionnels et la perception interne d’une situation de crise, poussant à s’engager dans un quasi effort de guerre, et à n’émettre aucune critique, le marché étant perçu comme difficile. Les managers semblent même avoir internalisé la pression que les marques premium et le fast fashion imposent aux marques de luxe, pression qu’ils semblent traduire par une inéluctable acceptation d’un changement d’éthique pour préserver sa place.

Clara (développeuse matières, ex-salariée d’une marque de mode référente d’un conglomérat) «On ne

pense qu’au chiffres d’affaire, est-ce qu’on va vendre – point barre ! Alors effectivement, je suis obligée