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La Régulation Identitaire

2. LE TRAVAIL IDENTITAIRE (TI)

Il convient de présenter rapidement le concept de travail identitaire.

Les travaux consacrés au « travail identitaire » (« identity work ») visent à appréhender comment les individus construisent leur identité (« a sense of self ») :“a range of activities that individuals engage in to create, present, and sustain personal identities that are congruent with and

32« How do people negotiate their unique individual identities in the face of strong social demands toward shared

supportive of the self-concept”, Snow & Anderson, 1987). Le TI est donc le processus (« the ongoing mental activity » Alvesson et al. 2008 :15) par lequel les individus « forment, réparent, maintiennent, renforcent ou révisent les éléments identitaires assurant une cohésion et un caractère distinctif à leur identité » (Sveningsson & Alvesson, 2003 :1165). Il est caractérisé par sa dimension dimension discursive (Sveningsson & Alvesson, 2003 ; Gendron & Spira, 2010) et dépend de la capacité de réflexivité de chaque individu, mais aussi des influences auxquelles est soumis l’individu (Watson, 2008 :129), celui-ci tentant d’absorber (et parfois de modifier en retour) les différentes identités sociales plus ou moins contradictoires formulées par les différents groupes sociaux auxquels il appartient. Le TI s’effectue à un double niveau : un niveau émergé et ponctuel (« sometimes», Alvesson et al., 2008 :19), sous le coup d’événements de rupture majeurs ou de micro incidents récurrents déclenchant des crises d’identité (Dutton&Dukerich, 1991 ; Elsbach & Kramer, 1996 ; Glynn, 2000) et un niveau immergé, continu (« always », Alvesson et al.2008 :19), sous l’effet du travail quotidien de l’individu au sein d’organisations fragmentées ou déployant des cultures organisationnelles très fortes (Kunda, 1992) ou encore, dans le cadre d’activités imposant à l’individu des identités exigeantes et complexes à gérer, tel le prêtre devant faire face au défi d’à la fois maintenir son identité individuelle et remplir sa mission de prêtre (Kreiner et al., 2006) ou le policier devant mettre en œuvre des manœuvres coercitives (Dick, 2005) ou effectuer « le sale boulot » (Ashforth&Kreiner, 1999). Notons ici que la majeure partie des travaux de recherche se concentre sur les situations de crise.

De nombreux travaux portent sur la dimension discursive du travail identitaire : ‘identity

discourse’ (Ainsworth & Hardy, 2004; Hardy et al., 2005; Thomas & Linstead, 2002), ‘identity

talk’ (Snow & Anderson, 1987) ou encore ‘identity narratives’ (Beech & Sims, 2007; Brown,

2006; Czarniawska, 1997; Somers, 1994). 3.LA RÉGULATION IDENTITAIRE (RI)

.1. Définition de la RI :

Le concept de RI trouve sa source dans les travaux consacrés aux formes de conrôle socio- idéologiques (Kunda, 1992 ; Willmott, 1993). A la suite, les travaux d’Alvesson et Willmott (2002) ont fait référence et c’est sur eux que nous appuierons notre travail d’analyse.

Voici la définition qu’ils donnent de la régulation identitaire : « Identity regulation encompasses the more or less intentioonal effects of social practices upon processes of identity construction and reconstruction » (Alvesson et Willmott, 2002 :625).

Pour le dire autrement, la régulation identitaire est le « processus continu durant lequel l’individu négocie la question du « qui suis-je ? » au sein du social « voici qui nous sommes » » (Kreiner et al, 2006). Afin de répondre à ces questions, l’individu élabore des récits (« self narratives ») en se fondant sur ses ressources culturelles, ses souvenirs, ses désirs en vue de reproduire ou transformer son identité (« sense of self »).

.2. Les sources de la RI :

Selon Alvesson & Willmott (2002), la RI provient principalement des pratiques discursives visant à définir l’identité des employés (« regulating employees’ ‘insides’, their self-image, their feelings and identifcation », Alvesson & Willmott, 2002 :622), telles que :

> les pratiques managériales, comme par exemple les modalités de promotion et d’évaluation des employés, les formations (Alvessonn et Kärreman, 2007) ou les pratiques de recrutement (Bergström et Knights, 2006).

> la multiplicité des discours organisationnels. Il s’agit alors d’une source quasi autonome, émergeant en réaction à la diversité et au caractère parfois ambigu des messages et injonctions auquel est soumis l’individu

> les interactions sociales

> les ancrages culturels ou communautaires

qui exercent une forme de contrôle sur « l’intérieur » de l’individu (« the ‘insides’ of people »). .3. Les pratiques et cibles de la RI :

Alvesson et Willmott (2002) ont identifié neuf pratiques organisationnelles de régulation identitaire, présentes simultanément au sein des organisations et visant quatre cibles distinctes (Figure 5). Leur grille inllustre que les pratiques de RI peuvent être dirigées vers des individus, mais aussi des groupes, qu’elle peut procéder de façon plus ou moins directe, et à travers différents média ( :632).

.4. Les conditions d’efficacité des pratiques de RI

D’une part, les individus peuvent réagir de façon plus ou moins intense aux discours de régulation identitaire, les (ré)intégrer, les désintégrer puis, s’engager à la suite dans un travail identitaire plus ou moins intense, les processus de RI étant ambigüs et intersubjectifs, toujours liés à des conditions locales spécifiques (Kuhn, 2006 ; Zanoni et Janssens, 2007).

D’autre part, l’effet des discours de régulation identitaire n’est pas tant indexé sur leur degré de réalisme que sur :

> les forces qui garantissent l’accès ou limitent l’accès au discours

> l’intensité et la fréquence des discours (O’Doherty et Willmott, 2001 ; « a certain intensity of meaning and some amount of emotionality » Alvesson et Willmott, 2002 :632)

> leur propension à s’intégrer au processus de (re)formation de l’identité, propension valorisées par la proposition d’identités de valence positive (Zanoni et Janssens, 2007), offrant un sens de continuité avec l’existant (Musson et Duberley, 2007), et étant facilitée par l’absence de contre- discours (Alvesson et Willmott, 2002). Quand il y a discontinuité, la RI déclenche un travail identitaire, selon le flux décrit en Figure 10.

La RI est un processus « fluide, instable et réflexif qui présente des opportunités de micro- émancipation tout autant qu’il ouvre la voie à de ‘nouvelles’ formes de subordination» (Alvesson et Willmott, 2002 :638). En effet, l’individu exerce ses capacités discursives, questionne les discours officielles, bricole les figures imposées, mobilise ou non les identités sociales pour construire in fine une identité mult-facettes, évolutive et qui lui est propre et spécifique (Bergström et Knights, 2006 ; Caroll et Levy, 2008 ; Gendron et Spira, 2010 :298 ; Tracy et Trethewey, 2005 :185)

La RI, pratique discursive de construction de l’identité, processus de négociation entre le « qui suis-je ? » et le social « qui nous sommes », nous semble un outil conceptuel particulièrement fécond pour éclairer le rôle de la marque sur l’identité des employés en cela que son objet d’analyse sont les pratiques managériales et les discours, dans toute leurs complexité, (la marque, objet de notre étude étant entendue comme discours polymorphe, fluide et construit), qu’il intègre la dimension d’outil de contrôle des discours san pour autant la surinvestier.

La limite de ce concept est toutefois qu’il n’existe à ce jour que très peu d’études concernant les modalités d’actions concrètes de la RI (Alvesson et Willmott, 2002).

Chapitre 3.