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PREMIÈRE PARTIE

1.2. L ES MUSICIENS DES SCENES LOCALES

1.2.2. P LURIACTIVITE ET POLYVALENCE ARTISTIQUE

1.2.2.1. P LURIACTIVITE SOCIALE

Pour Pierre Michel Menger230, l'artiste pluriactif devient le travailleur typique des économies

capitalistes contemporaines au sens où il est intrinsèquement motivé, très mobile et inventif.

Mais surtout, l’artiste est pris dans une économie de l’incertitude231 : il est habitué aux

concurrences et à l’insécurité. Pierre-Michel Menger envisage ainsi le travail créateur comme un principe favorisant le capitalisme. Pour cet auteur, l’intermittence symbolise la nouvelle norme d’employabilité qui favorise un plein-emploi précaire correspondant aux volontés des économies capitalistes. Ses apports constituent un cadre théorique cohérent, cependant nous privilégions une analyse prenant plus en considération les expériences vécues des créateurs. La réflexion sur les représentations des acteurs développant des nouvelles pratiques artistiques amateurs qui se mesurent aux standards professionnels et donnent lieu à d’inédites expériences de création, de diffusion et de distribution s’avèrent riches d’enseignements. Comme nous nous intéressons plus particulièrement dans une optique compréhensive et pragmatique, aux expériences vécues et aux représentations des acteurs des scènes musicales locales, nous privilégions les apports de la sociologie compréhensive de Nathalie Heinich notamment. Ces représentations tournent autour d’une notion centrale, celle de vocation. Les musiciens des scènes locales, pour expliquer leur motivation à créer, ont en effet souvent recours à des représentations liées à la vocation au sens d’une forte attirance, d’une inclination qui traverse leur vie comme on peut le voir ici avec Héléa (entretien du 7 décembre 2011, 26 ans, chant/clavier, traductrice, éditrice) :

« La musique que ce soit l’écoute, l’écriture, la composition, mais aussi la lecture de critiques, de blogs, les concerts d’autres groupes auxquels j’assiste, ça fait partie intégrante de ma vie. »

On note comme la musique dans toutes ses dimensions (écoute, lecture, création) relève d’une implication totale. Ici Adrien (entretien du 9 novembre 2011, 28 ans, composition/guitar/chant, ingénieur) déclare que la pratique créative est essentielle pour lui : « Je peux pas me passer de créer quelque chose, d’essayer de toucher les gens ». On perçoit l’idée d’une nécessité irrémédiable de créer. Clément nous fait également part d’une passion pour la musique qui

230 MENGER Pierre Michel, Portrait de l’artiste en travailleur : métamorphoses du capitalisme, Paris : Éditions du

Seuil, La République des Idées, 2002.

traverse son parcours de vie (entretien du 7 novembre 2013, 22 ans, composition/chant lead/guitare, étudiant et animateur radio bénévole) :

« La musique, du plus lointain souvenir que j’ai, a toujours eu une place importante dans

ma vie. J’aimais l’écouter, danser, chanter etc. etc.Puis un jour j’ai vu un concert. Je me

suis, dit waouh ! C’est ça ce que je veux faire… Pour moi faire de la musique était mon rêve, et pour l’accomplir la pratique instrumentale était nécessaire, du coup je me suis mis à la gratte. Puis en pratiquant j’y ai pris goût et là j’ai commencé à apprendre d’autres instruments. »

On perçoit combien les représentations des musiciens justifiant leur engagement dans la musique, tiennent à des aspirations considérées comme allant de soi, des motivations intérieures et individuelles parcourant toute leur expérience. La dimension d’autodétermination est aussi très présente. Ces représentations se comprennent amplement à l’aune de ce que Nathalie Heinich nomme le régime vocationnel. Le régime vocationnel désigne un régime de croyances et de représentations, informel et ouvert, où sont mis en avant l’inspiration, le don, l’inné. Nathalie Heinich explique que le passage au régime vocationnel de l’art (envisagé comme engagement

dans une vocation) date du début du 19ème siècle avec les romantiques :

« Le « régime vocationnel », en matière de définition de l’activité, s’oppose tant au « régime artisanal » - celui des métiers - qu’au « régime professionnel » - celui des « professions » au sens américain du terme, proche de ce que nous appelons les professions

libérales (Heinich, 1993232). Il se définit avant tout par ce que Pierre Bourdieu nommait

une « économie inversée » (Bourdieu, 1992) : l’on ne travaille pas pour gagner sa vie mais l’on gagne sa vie pour pouvoir exercer l’activité en question – qu’elle soit spirituelle, dans les ordres religieux, compassionnelle, avec les médecins, ou artistique, avec les créateurs. C’est selon ce régime vocationnel que les activités de création se sont exercées « normalement » - c’est-à-dire conformément aux valeurs en cours dans le monde artistique de la modernité – à partir du milieu du XIX° siècle, pour des raisons et

selon des modalités que j’ai analysées ailleurs. »233

Ce régime vocationnel a supplanté le régime professionnel de l’art (envisagé comme un travail)

au milieu du 19ème siècle. Ainsi l’artiste est passé d’un statut de travailleur dans un régime

professionnel à celui de personne engagée dans une vocation. La période romantique a donc fait

232 HEINICH Nathalie, Du peintre à l’artiste. Artisans et académiciens à l’âge classique, Paris : Éditions de Minuit,

1993.

233 HEINICH Nathalie, « Régime vocationnel et pluriactivité chez les écrivains : une perspective compréhensive et

ses incompréhensions », in Socio-logos, Revue de l'association française de sociologie, n°3, 2008 [En ligne]. 15 janvier 2008. Disponible en ligne : http://socio-logos.revues.org/1793 [consulté le 6 octobre 2012].

de l’art une vocation prônant l’excellence singulière et délaissant la maîtrise des canons qui était propre au régime professionnel. A l’époque une expansion du terme artiste s’opère qui va de pair avec une connotation positive de ce statut, toujours en vigueur aujourd’hui. De la sorte les raisons invoquées à toute activité créatrice qui se construisent autour de représentations liées à la vocation, ont émergé il y a moins de deux siècles et n’existaient pas auparavant. Il est remarquable de réaliser comme cette construction historique apparaît aujourd’hui telle une constante qui n’aurait pas connu une évolution radicale. Cette évolution vers le régime vocationnel a été rendue possible par le développement de croyances et représentations qui se sont progressivement stabilisées et qui tiennent encore actuellement reposant sur l’idée de compétences innées, d’un investissement total des artistes dans leur activité créatrice, d’une

forme de désintéressement liée à toute activité créatrice234, et enfin la valorisation symbolique de

la figure de l’artiste. Une des conditions constitutives du régime vocationnel est que la création est considérée comme une vocation (et non une profession) et c’est en cela que se justifie le fait que la création puisse ne pas être payée. Le musicien joue même s’il n’est pas payé parce que la création n’est pas vue comme un travail mais comme une vocation. Et la vocation engendre des plaisirs et profits qui ne sont pas réductibles à l’argent. Nathalie Heinich estime alors que le régime vocationnel engendre inévitablement de la pluriactivité. La conception professionnelle de l’activité suppose une rémunération. Or une conception vocationnelle de l’activité (qui vaut pour tous les arts) comme elle ne suppose pas systématiquement une rémunération, elle oblige à démultiplier l’activité.

Aussi, si les représentations vocationnelles des musiciens des scènes locales font fi des différences de statuts au sens où tous les musiciens partagent cette dimension de motivation intérieure et d’autodétermination, les rapports à la pluriactivité en revanche sont largement fonction des statuts des musiciens (double activité, chômage du régime général et intermittence). De la sorte, chez les musiciens des scènes locales inscrits en double activité, c’est-à-dire pratiquant une activité musicale qui se donne à voir régulièrement sur scène ainsi qu’une activité professionnelle, ces envies de créer viennent souvent s’inscrire en tension avec l’activité professionnelle.

234 C’est aussi ce qui fonde en partie la perception du travail des chercheurs : dévouement et désintéressement

justifié par l’accomplissement d’une activité passionnée octroyant des bénéfices moraux par le fait d’être pratiquée.

Cependant être impliqué dans l’activité professionnelle octroie un statut social, une rémunération et une relative stabilité qui permet en outre d’investir financièrement la passion musicale (achat d’instruments, de pédales de distorsions…). Dans le même temps cette activité professionnelle implique une gestion du temps disponible qui doit être aménagé pour répondre à la vocation créative. Donc la pluriactivité permet de gérer ces tensions entre vocation créative et socialisation professionnelle.

Les quelques musiciens au chômage rencontrés sont en général diplômés de l’enseignement supérieur, mais ne trouvent pas de travail malgré leur formation. Ils sont au chômage en oscillant entre travail alimentaire, travail proche de leurs compétences mais temporaires, entrecoupés de périodes de chômage. Ces périodes sont généralement appréhendées comme difficiles mais à la fois comme des occasions présentant l’avantage de dégager du temps pour la création musicale.

Les musiciens intermittents quant à eux connaissent aussi la pluriactivité qui se manifeste autour de leur activité de musicien professionnel, bien que ce soit une autre forme de pluriactivité. Cette pluriactivité s’explique souvent par une finalité économique, dans le but de parvenir à cumuler le nombre de cachets suffisants pour prétendre à l’intermittence. De la sorte ils créent pour leurs propres projets musicaux, mais aussi très souvent en collaboration avec des compagnies de théâtres, des producteurs de films ou de documentaires, ou encore ils mènent des projets d’action

culturelle235 autour de la musique avec des salles de musiques actuelles, comme le relate ici

Lise (entretien 28 avril 2011, 27 ans, composition/chant lead/clavier/guitare/batterie, intermittente du spectacle/cours de clavier) :

235 « L’action culturelle » signifie de manière ramassée le fait de mettre en place des spectacles ou animations

spécifiques à dimension culturelle ou artistique pour permettre à certains publics d’en bénéficier. Les publics désignés se construisent autour de considérations d’âges (jeunes générations, publics âgés) et concerne globalement toutes les personnes dites « éloignées de la culture », autrement dit des personnes incarcérées, ayant des troubles psychiques. Ces actions culturelles sont principalement une des conséquences de l’implication des intermédiaires de régulation politique dans le financement public des associations de musiques actuelles. En effet les subventions sont souvent accordées à la condition d’une implication de l’association dans la logique de démocratisation des pratiques culturelles, ce qui a progressivement conduit à institutionnaliser ce champ d’intervention nommé « action culturelle ». Il s’est construit de façon pratique autour de publics dits éloignés de la culture (on note ici l’ancrage du Ministère de la Culture dans une optique de démocratisation culturelle malrucienne -permettre à tous d’accéder aux grandes œuvres, valoriser la réception de la culture légitime- qui a provoqué des conséquences différentes de ce que pourrait engendrer une approche par la démocratie culturelle – valorisation des pratiques culturelles et artistiques et de toutes les cultures– au sens anthropologique).

« Là on a une subvention, enfin avec le CNV et (la salle), ils ont fait un dossier, c'est pour ça que j'accompagne la chorale des seniors, en contrepartie tu fais une action culturelle, et donc grâce à ce projet, toutes mes résidences elles sont payées en cachet, donc en gros ça va me faire 18 cachets pour mon intermittence, ce qui fait beaucoup. »

Un autre musicien (Patrick, entretien du 12 juin 2010, 35 ans, composition/batterie/clavier, musicien intermittent) participe quant à lui toute l’année à un spectacle de prévention des risques auditifs à destination des jeunes scolarisés, ce qui lui permet d’être assuré de ces cachets réguliers. Les discussions approfondies avec les musiciens, permettent de saisir que ces actions culturelles qu’ils mènent relèvent moins d’une volonté spécifique d’investissement de soi dans ce domaine à connotation sociale, que de motivations individuelles. En sommes ils répondent ainsi à un système de contraintes du statut intermittent en cumulant les cachets nécessaires à l’intermittence en saisissant les opportunités offertes par les salles de concert labellisées (qui ont au sein de leurs cahiers des charges l’obligation de mener des actions de ce type). D’autres

intermittents tel Alain (entretiens informels juillet-décembre 2012, 30 ans,

composition/bassiste/chant lead, musicien intermittent et manager) créent des musiques pour des productions spécifiques, en l’occurrence la musique pour un documentaire produit et diffusé par la chaîne France 5 ; ou Paul (entretien du 15 mai 2009, 34 ans, composition/guitare/chant lead/clavier, musicien intermittent) qui a créé un jingle pour une grande marque de cosmétiques qui avait lancé un appel à propositions en ligne qu’il a remporté, et qui depuis perçoit l’équivalent d’un salaire minimum mensuel lui permettant de dégager du temps pour pratiquer la musique et s’investir dans de nombreux autres projets musicaux. Ou encore Aurélien par exemple (entretien du 7 novembre 2011, 31 ans, guitare/chant lead/clavier, musicien intermittent) qui participe à la création de musiques pour des spectacles vivants hors du champ de la musique :

« En ce moment je termine un spectacle de cirque, et je termine un spectacle de théâtre, après j’écris des trucs pour un peintre, et puis voilà, tu vois,…Et du coup c’est pas facile, mais…c’est cool ! J’aime bien ! Tu vois là j’avais une semaine de tournée avec (tel groupe) je suis rentré le dimanche matin, et dimanche après-midi, donc hier, j’ai répété avec (autre groupe), tu vois…je passe tout le temps du coq à l’âne, tous les jours, c’est cool, moi j’aime bien, je suis content… »

On décèle clairement une pluriactivité et une polyvalence artistique qui permettent de s’enrichir au contact de partenaires variés, comme le signale d’ailleurs Pierre-Michel Menger. La

pluriactivité236 des artistes répond à un besoin économique mais également à la volonté d’accroître leurs expériences auprès de divers acteurs et univers culturels.

Enfin notons qua Nathalie Heinich conçoit au sein du régime vocationnel une distinction qu’est le régime de singularité. Le régime de singularité suppose une vocation telle, qu’il pousse à s’affranchir des conditions de masse. Par son ouverture, le régime vocationnel engendre la possibilité élargie d’être ou de se dire artiste pour de nombreuses personnes. Alors que le régime de singularité précisément réclame quant à lui une « excentricité » : « au cœur du régime de

singularité, […] sa propriété fondamentale, l’insubstituabilité »237. Les productions des artistes

inscrits en régime de singularité ne sont pas substituables par d’autres productions. « On retrouve

là […] cette corrélation étroite entre la notion d’œuvre d’art et la notion de personne […] »238.

Pour le résumer clairement il y a la vocation à faire de l’art, et en son sein, la singularité pour certains, d’être artiste : « En d’autres termes, la notion de singularité renvoie à une particularité « anormale » - réservée à certains êtres d’exception, qu’ils soient admirables ou

abominables »239. Nathalie Heinich convient que la singularité « prend à contre-pied le socle

même du sociologisme »240. Ainsi on postule que les musiciens double-actifs correspondent au

régime de vocation quand les musiciens intermittents, engagés jusque dans le sacrifice de soi, correspondraient au régime de singularité. Les musiciens intermittents transforment leur vocation en une profession qui implique des conditions de vie souvent précaires mais enrichies de rétributions symboliques dont la reconnaissance et la valorisation du statut d’artiste font partie. Cependant, intermittents comme double actifs sont pris dans des logiques de pluriactivités indissociables du régime vocationnel.

236 MENGER Pierre-Michel, Le travail créateur : s’accomplir dans l’incertain, Paris : Seuil, Gallimard, 2009.

237 HEINICH Nathalie, L’art en conflit. L’œuvre de l’esprit entre droit et sociologie, Paris : La Découverte, 2002,

p.100.

238 Ibidem

239 Ibidem, p. 123.

Nathalie Heinich précise que Pierre Bourdieu propose de parler d’économie inversée241.

L’économie inversée suppose que l’on ne travaille pas pour gagner sa vie mais que l’on gagne sa vie pour pouvoir exercer l’activité en question, ici libérer du temps pour la création. Les musiciens intermittents des scènes locales sont indéniablement inscrits dans cette logique : la multiplication de l’activité pour cumuler des cachets permettant d’accéder à l’intermittence, implique une économie inversée. C’est que, même pratiquée en tant que profession, la musique reste inscrite dans une logique de vocation, et implique forcément de gagner sa vie pour pouvoir être exercée la majeure partie du temps. Pour Nathalie Heinich l’économie inversée n’est plus envisagée comme une façon de dévoiler des intérêts cachés (ce qui est le propre de la sociologie critique de Pierre Bourdieu), mais comme une façon de prendre sociologiquement en

considération les représentations que se font les acteurs242, notamment en montrant que ces

derniers agissent en quête d’un accomplissement de soi au travers de ce qu’ils ressentent comme étant une vocation.

Dès lors que l’activité artistique n’est plus réservée à des créateurs bénéficiant de rentes

personnelles, comme c’était le cas avant le 20ème siècle, la pluriactivité sert à compenser le peu

de ressources tirées de la création (d’infinitésimales à insuffisantes pour en vivre). Nathalie Heinich rappelle que les activités vocationnelles n’entrent pas dans la logique professionnelle (dans la logique professionnelle toute activité se justifie par un salaire), et que de fait il n’y a pas de raison de considérer la pluriactivité comme une anormalité, une anomalie à dénoncer ou une

injustice à critiquer243 (certains auteurs vont jusqu’à considérer que la pluriactivité constitue une

forme de résistance244). Au contraire la pluriactivité est constitutive de l’expérience des

créateurs, même s’il existe de nombreuses façons de la vivre.

Les créateurs en régime vocationnel, ne répondent pas ou peu à des commandes extérieures comme c’était le cas sous le régime professionnel de l’activité artistique avant le tournant

241 HEINICH Nathalie, « Régime vocationnel et pluriactivité chez les écrivains : une perspective compréhensive et

ses incompréhensions », in Revue de l'association française de sociologie, n°3, 2008.

242 Comparativement Pierre Bourdieu prenait en considération la recherche cachée d’une accumulation de capital.

243 Ce que fait parfois Bernard Lahire.

244 BUREAU Marie-Christine, CORSANI Antonella, « La pluriactivité comme art de la résistance », in BUREAU Marie-

romantique. Les créateurs répondent surtout, dans la logique vocationnelle du régime de singularité, à une nécessité qui leur est propre, la nécessité de créer. Et si cette valorisation de la vocation et donc de la figure de l’artiste dure encore aujourd’hui, c’est que selon Nathalie Heinich, le régime vocationnel permet de prendre en compte des aspirations à l’égalité (tout le

monde peut être artiste) et la reconnaissance de la réussite (dans un esprit méritocratique).De la

sorte la singularité offrirait un compromis : une forme d’élitisme acceptable par son inspiration démocratique.

Mais peut-être faut-il aller plus avant dans l’analyse pour saisir la diversité des situations sociales dans lesquelles s’inscrivent les musiciens qui jouent sur les scènes locales ; à cette fin, nous pouvons emprunter deux concepts proposés par Nathalie Heinich : l’unicité et la multiplicité. Voici la façon dont Nathalie Heinich el présente quant aux écrivains :

« Cette opposition entre unicité (être écrivain et seulement écrivain) et multiplicité (écrire tout en pratiquant un second métier) constitue la forme proprement identitaire de la disposition entretenue par le sujet à l’égard de l’activité d’écriture. Elle met en évidence, dans la question de la pluriactivité, l’importance des enjeux liés non seulement au statut matériel et à l’activité de création, mais aussi à l’identité : pouvoir se dire à soi-même et à

autrui, et pouvoir être dit par autrui, « écrivain ». »245

L’unicité désignerait les musiciens qui ne font que de la musique et la multiplicité, ceux qui font de la musique et occupent une autre activité. Rappelons cependant qu’il est nécessaire de modérer nos propos puisqu’une réalité commune pour la population étudiée est un changement de statut régulier. Notre population a une moyenne d’âge de 28 ans et comme l’a bien montré par

ailleurs la sociologie de la jeunesse246 depuis deux décennies, l’entrée dans la vie active est

tardive et s’effectue de façon morcelée. Alternant souvent postes à durée déterminée, périodes de chômage ou emplois à temps partiels. De fait les personnes concernées appartiennent le plus souvent de façon temporaire à ces dispositions. Voici comment se répartissent typiquement les musiciens des scènes locales : 1. La pluriactivité en unicité : un seul grand domaine d’activité (la musique) mais en développant diverses activités autour de la musique, ce sont les musiciens

245 HEINICH Nathalie, « Régime vocationnel et pluriactivité chez les écrivains : une perspective compréhensive et

ses incompréhensions », in Socio-logos, Revue de l'association française de sociologie, n°3, 2008.