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CHAPITRE II – RESSOURCES, TERRITOIRE ET BUDGET : LA PENSÉE

2.1 Lomer Gouin et les monopoles : rupture ou continuité?

2.1.1 Lomer Gouin, échevin de la Ville de Montréal

57 Bien qu‟il fût bref, le mandat de Lomer Gouin comme échevin du quartier Est au conseil de ville de Montréal est important pour la compréhension de sa pensée politique, étant donné le contexte qui prévaut au tournant du XIXe et du XXe siècle. Il est élu lors de l‟importante élection de 1900, où les réformistes réussissent à remporter 16 sièges sur 34. Bien que le maire Raymond Préfontaine résiste à cette vague, il y perd plusieurs alliés1. Comme le montre Patrice Dutil dans ses travaux sur Godfroy Langlois et le libéralisme radical, cette lutte s‟imbrique dans un combat initié dès 1901 et dont Lomer Gouin devient le héraut en Chambre contre l‟octroi des privilèges à la Montreal Light, Heat and Power

Company (MLHPC). Cette bataille attise alors la colère de plusieurs parlementaires,

notamment de la faction montréalaise du Parti libéral, contre le Premier ministre Simon- Napoléon Parent – qui est aussi maire de Québec et président de la Compagnie du pont de Québec. Ainsi, une analyse du court séjour du futur chef libéral dans l‟enceinte du pouvoir montréalais peut permettre de mieux saisir sa pensée sur sa lutte contre les monopoles.

Le député libéral de Montréal no 2 ne se présente sous aucune bannière lors de l‟élection municipale de 19002. Comme il tient à le souligner à sa première séance du nouveau conseil de ville : « je tiens à déclarer que je ne suis pas entré au conseil, ni avec l'étiquette de réformiste, ni avec celle d'anti-réformiste. J'y suis venu pour faire simplement mon devoir3 ». Le journal La Patrie indique que L. Gouin et l‟un de ses adversaires, le carrossier Félix Mercier, ont inscrit la réforme de l‟administration municipale dans leurs programmes respectifs4.

À l‟instar des réformistes en 1900, les candidats désignés sont des citoyens qui combattent le système corrompu du maire Raymond Préfontaine et qui veulent mieux développer la ville, notamment sur le plan des conditions sanitaires5. Selon La Patrie, Hormidas Laporte, l‟un des chefs du mouvement, préfère donner son appui à F. Mercier.

1 Paul-André Linteau, Histoire de Montréal depuis la Confédération, Montréal, Boréal, 2000, p. 255.

2 Lomer Gouin l‟emporte par 286 voix sur Félix Mercier, qui en a 178, et Adolphe Ouimet qui en recueille 81. (« Le

nouveau conseil municipal », La Patrie, 2 février 1900, p. 7).

3 « L‟Hotel [sic] de ville en liesse », La Patrie, 13 février 1900, p. 1.

4 « La campagne électorale dans le quartier est », La Patrie, 29 janvier 1900, p. 1. Il est mentionné dans cet article que L.

Gouin présente un programme détaillé, mais nous n‟en avons pas trouvé trace.

5 Paul-André Linteau, René Durocher et Jean-Claude Robert, Histoire du Québec contemporain, t. 1, De la Confédération

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Ce dernier reçoit aussi l‟appui des dénommés Monk et Rolland, qui sont possiblement Frederick Debartz Monk et Jean-Damien Rolland. Les deux sont liés aux cercles conservateurs, mais le dernier est le beau-frère du maire libéral Raymond Préfontaine. Il est donc étonnant d‟imaginer H. Laporte et un membre de la famille de son rival sur la même scène pour appuyer la candidature d‟un rival de L. Gouin6. Quant au troisième candidat, l‟avocat Adolphe Ouimet, un journal de l‟époque le soupçonne d‟être un « Castor7 ».

Sans surprise, L. Gouin reçoit l‟appui du journal libéral La Patrie8. Bien qu‟il appartienne au ministre libéral fédéral Joseph-Israël Tarte, loin d‟être l‟un de ses partisans, le rédacteur en chef était son ami, Godfroy Langlois. Encore une fois, Rodolphe Lemieux se trouve à ses côtés lors d‟une assemblée au cours de la campagne9. Il est aussi appuyé par quelques alliés du passé : Philippe Demers et Joseph Constant, qui l‟avait déjà proposé comme candidat à l‟élection provinciale de 189710. Au-delà de sa pensée libérale, ce sont ses liens avec Honoré Mercier qui font jaser, sauf dans La Patrie qui n‟en glisse mot. Le journal Le Canard le lui fait observer en disant que : « Gouin a déjà été élu une fois avec le nom de Mercier, mais c‟était pour les élections provinciales11 ». Dans un autre numéro, il se montre encore plus virulent : « Ce pauvre M. Lomer Gouin qui a déjà été élu député au cri de “Vive Mercier,” doit trouver cela dur de se faire battre comme échevin au même cri de “Vive Mercier.” C'est cependant ce qui va lui arriver, car dans un district d'affaires, comme le quartier-est, on vote pour l'homme et non pas pour le gendre12 ». Du côté du journal Les Débats, ce lien familial est plutôt valorisé, mais après son élection. Au moment de son départ du conseil de ville, ce journal souligne bien que le nouveau commissaire « est le type parfait du politique sagement progressiste. Avec lui pas de chocs violents à redouter, pas de mesures intempestives à craindre13 ». Il insiste particulièrement sur ce lien quasi mystique qui l‟unit à l‟ancien premier ministre nationaliste, signe d‟une

6 « Campagne municipale », La Patrie, 26 janvier 1900, p. 7. 7« Couac », Le Canard, 27 janvier 1900, p. 5.

8 La Patrie, 31 janvier 1900, p. 8.

9 « Campagne municipale », La Patrie, 26 janvier 1900, p. 7.

10 « M. Lomer Gouin est choisi », La Patrie, 24 février 1897, p. 1; « Proclamation des échevins, La Patrie, 22 janvier

1900, p. 3; « Campagne municipale », La Patrie, 26 janvier 1900, p. 7. Selon le deuxième article, L. Gouin est mis en nomination par A. Brodeur, T. Berthiaume, N. Pérodeau, Homer Lanctôt, Chas. Berger, A.-A. milson [sic], Jos. Riendeau, Henri Dubois, J.T. Cardinal, Jos. Constant, P.P. Mailloux, David Madore, Arthur Denis.

11 « Couac », Le Canard, 27 janvier 1900, p. 5.

12 « Élections municipales », Le Canard, 3 février 1900, p. 4.

59 carrière prometteuse : « Dépositaire des secrètes tendances du regretté Mercier, dont il est incontestablement l‟héritier politique14 ». L‟auteur de l‟article est persuadé que cet héritage fera de L. Gouin « un des adversaires les plus acharnés de l‟impérialisme15 », car ce dernier « professe pour le disparu et pour sa doctrine politique trop d‟admiration pour ne pas entrer dans la voie que le regretté premier ministre avait ouverte16 ». Les Débats était un journal jugé radical, son appui au candidat-député tient surtout à son héritage merciériste.

Son mandat à l‟échevinat est l‟occasion d‟un seul discours, soit celui qu‟il prononce lors de la première séance du nouveau conseil de ville. Nous n‟avons pu retrouver d‟autres mentions susceptibles d‟informer l‟analyste sur l‟exercice de ses fonctions d‟édile. Son intervention consiste surtout à critiquer la composition du comité des finances. Il trouve d‟abord que ce comité « pêche contre les lois de l‟équilibre » et qu‟il ne repose pas sur une « base de justice », puisque son quartier – dont il note l‟importance symbolique et historique – est ignoré. De plus, ce comité ne comprend pas d‟avocats, et les trois quarts du territoire municipal n‟y sont pas représentés. Nommé sur les comités du feu et du marché, il appuie toutefois l‟échevin Louis-A. Jacques dans son projet de créer un comité spécial – où lui et le maire siégeraient – pour « voir au moyen de fonder une bibliothèque municipale17 ». Quant à lui, l‟archiviste Bernard Weilbrenner affirme que L. Gouin veut encourager la concurrence entre les compagnies de gaz pour réduire de 25 % leur taux, sans toutefois préciser sa source ni le taux dont il fait mention18.

Son court passage n‟est donc pas marquant sur le plan de la connaissance de sa pensée politique. Sa seule allocution est sans éclat. Elle concerne surtout la composition du comité des finances, pour des raisons que l‟on ne peut nécessairement lier au libéralisme, mais laisse présumer déjà l‟importance qu‟il accorde au contrôle budgétaire. Toutefois, il se montre bien en faveur à ce que la Ville se dote d‟une bibliothèque. L‟analyse de son réseautage nous montre, par l‟appui du journal officiel du Parti libéral, qu‟il possède de

14 Ibid. 15 Ibid. 16 Ibid.

17 « L‟Hotel [sic] de ville en liesse », La Patrie, 13 février 1900, p. 1.

18 Bernard Weilbrenner, « Les idées politiques de Lomer Gouin », Rapport de la Société historique du Canada / Report of

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bons appuis en son sein et qu‟il conserve ses comparses de premières années, comme R. Lemieux, G. Langlois, P. Demers et J. Constant. Partisan probable de la réforme municipale, il ne se lie toutefois pas au clan réformiste, un de leurs leaders faisant même campagne contre lui. La carrière municipale du député de Montréal no 2 permet toutefois de constater que ses liens avec Honoré Mercier sont bien connus, même si officiellement il n‟en est que peu question. De plus, cette relation aide à façonner la représentation que les gens peuvent se faire de Lomer Gouin