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CHAPITRE III – POUR LE PROGRÈS NATIONAL : LE DÉVELOPPEMENT DE

3.2 L‟homme prudent : Lomer Gouin entre les positions de Godfroy Langlois et de

3.2.3 La fréquentation obligatoire

Bien que la fréquentation scolaire obligatoire soit une vieille promesse libérale, lorsque cette question est posée en Chambre, Lomer Gouin s‟applique à son devoir d‟homme d‟État, devant établir l‟égalité pour tous devant la loi. L‟éducation était une

53 Ibid. 54 Ibid. 55 Ibid. 56 Ibid.

103 priorité pour lui et – du moins, une fois au pouvoir – il favorise le rôle du père dans l‟élaboration des lois scolaires. Toutefois, de là à rendre l‟autorité paternelle responsable de l‟absence des enfants en classe, il y avait là un pas que L. Gouin se refusait nettement à franchir.

Ainsi, lorsque John Thomas Finnie, député de Montréal-Saint-Laurent, dépose un projet de loi proposant de rendre obligatoire la fréquentation des écoles lors de la session de 1912, le Premier ministre s‟y oppose, puisqu‟il est notamment question de pénaliser les parents dont les enfants refuseraient d‟aller à l‟école. Sa principale objection consiste toutefois dans le fait que la loi s‟appliquerait seulement aux « parents, tuteurs, curateurs ou gardiens non catholiques57 ». Cette partie de la loi semble tout à fait odieuse pour le Premier ministre, car il s‟agit alors de restreindre la liberté d‟un groupe sur l‟assise des nationalités et des confessionnalités, ce qu‟il juge inéquitable :

Si nous allions donner force de loi à une telle proposition, nous enlèverions une liberté aux parents non catholiques pour la raison qu'ils ne sont pas catholiques et nous conserverions cette même liberté aux parents catholiques pour la raison qu'ils sont catholiques. En d'autres termes, nous punirions une minorité parce qu'elle ne partage pas les croyances de la majorité; car il ne faut pas l'oublier, ce n'est pas l'exercice d'un droit ou d'un privilège que l'on réclame, mais tout simplement l'imposition d'une peine afflictive58.

Au cours des débats concernant ce projet de loi, G. Langlois fait à nouveau référence au fameux discours de 1899. Le chef du gouvernement québécois se défend bien encore une fois d‟être revenu sur sa parole. Pour lui, ce discours auquel son ancien collègue du

Clairon ne cesse de le rattacher, n‟était qu‟un aveu pour l‟amélioration de l‟éducation. En

aucun cas, il ne souhaiterait user de mesures pénales pour parvenir à ses fins :

[C]e que j'ai dit à mes électeurs de Saint-Jacques et ce que j'ai à maintes reprises affirmé au cours de ma carrière, je ne crains pas de le répéter dans cette Chambre. Je suis et je reste en faveur de l'amélioration scolaire dans toute sa plénitude; mais je ne suis pas en faveur des lois discriminatoires et je me refuse à établir en cette province le régime de la contrainte, tout d'abord parce qu'elle répugne à la majorité de notre population et parce qu'à mon avis nous avons

57 DALQ, 13/1, 27 novembre 1912, dans http://www.assnat.qc.ca/Archives/Debats-

reconstitues/rd13l1se/index/seance.asp?se=121127, Assnat, page consultée le 28 janvier 2013.

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pour encourager la fréquentation scolaire d'autres moyens plus efficaces que celui de l'obligation59.

[…] Aurons-nous de meilleures écoles si nous envoyons les parents en prison? Ce n'est pas parce que nous aurons emprisonné le père ou la mère de famille qui n'auront pas eu le moyen de vêtir leurs enfants à l'école, que nous améliorerons l'enseignement. Le remède ne serait pas très efficace60!

L. Gouin dénonce aussi ce projet de loi en prétextant son inutilité et en présentant un portrait plus que glorieux du système scolaire québécois61. Il laisse toutefois sous-entendre que si chacun est égal devant la loi, tous n‟ont pas droit à l‟égalité des chances : « Payons, s‟il le faut, pour ceux qui sont trop pauvres pour envoyer leurs enfants à l‟école62 ». Parle- t-il alors de l‟État québécois ou simplement des mieux nantis? Difficile à dire, mais il insiste plus loin auprès de ceux qui critiquent l‟éducation au Québec. À son avis, ces derniers devraient contribuer davantage en aidant les plus démunis : « À ceux qui sans cesse élèvent les deux mains pour protester contre le système actuel, je dis : Baissez-en donc une autre au niveau du cœur et portez l‟autre à votre gousset pour aider le pauvre et le déshérité à profiter librement des bienfaits de l‟éducation63 ».

L‟historien Patrice Dutil souligne dans L’avocat du diable les réactions plus que positives des autorités catholiques à la suite de l‟intervention du Premier ministre, selon laquelle le fait d‟offrir l‟instruction obligatoire aux protestants allait nécessairement affaiblir le statu quo parmi les catholiques64. Il ne faut toutefois pas sous-estimer ici le nationalisme libéral du gendre d‟Honoré Mercier. Dans son journal Le Pays, G. Langlois reproche à son ancien camarade de nuire aux intérêts anglais [faisant fi de la présence des Anglo-protestants] à cause du conservatisme des Canadiens français : « S'il plaît aux Canadiens français de s'immobiliser dans la peur et l'inaction, les [Canadiens] anglais n'ont pas le droit d'avancer. C'est là la doctrine nouvelle que sir Lomer Gouin veut faire prévaloir et contre laquelle nous nous rebellons65 ». Comme nous l‟avons vu, le 59 Ibid. 60 Ibid. 61 Ibid. 62 Ibid. 63 Ibid.

64 Patrice Dutil, L’avocat du diable, Montréal, Éditions Robert Davies, 1995, p. 244. 65 Godfroy Langlois, cité dans Ibid.

105 redressement de la situation socioéconomique de ses compatriotes est primordial à la pensée libérale du Sorelois d‟adoption. Il est possible de penser qu‟il ne souhaite pas non plus créer une autre division entre les deux groupes nationaux.

Il est plutôt difficile de dresser un portrait complet de la pensée libérale de Lomer Gouin en ce qui concerne le système scolaire québécois, car il a laissé assez peu de traces malgré un bilan législatif tout de même assez imposant. L‟historienne Marie-Pier Duford a d‟ailleurs bien résumé l‟importance de ce bilan :

[Lomer Gouin] réussit notamment à augmenter le budget de l'État consacré à l'éducation et améliore la situation financière des enseignants. De 1905 à 1920, il met sur pied un réseau d'enseignement spécialisé en agriculture sans compter la création d'écoles normales et techniques, ainsi que l'École des hautes études commerciales, en 1910. Il donne un soutien majeur à l'École Polytechnique de Montréal et inaugure des cours du soir destinées aux adultes. Les améliorations réalisées par le gouvernement de Gouin visent largement l'éducation supérieure et touchent assez peu au réseau primaire66.

À ces initiatives, mentionnons également l‟importante Commission royale d‟enquête sur la Commission d‟écoles de la cité de Montréal, qui est présidée par le sénateur Raoul Dandurand de 1909 à 1911. Cette Commission étudie alors la nécessité de centraliser davantage les municipalités scolaires montréalaises. Les recommandations du rapport finissent par faire un bout de chemin en 1916, alors que l‟évêque de Montréal, Mgr Paul Bruchési, finit par accepter les fusions de celles-ci et favoriser la fameuse uniformité des livres67. Nous ne savons malheureusement que très peu de choses sur les interventions de Lomer Gouin sur plusieurs de ces mesures. Ces dernières ne l‟incitaient pas toujours à réagir en Chambre ou à en faire mention dans les journaux. Ses adversaires ne pouvaient que reprendre son discours d‟avril 1899 pour tenter de le mettre en contradiction. Cependant, comme la pensée libérale de cet homme politique rusé et discret associait éducation et développement de l‟individu, ses interventions sur ce plan ont pu être indirectes, comme lors de l‟adoption en 1919 d‟une loi sur l‟embauche des personnes de moins de 16 ans. Cette loi a été jugée comme une mesure atténuante à la suite de l‟échec

66 M.-P. Duford, loc. cit., p. 66-67.

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du projet du député de Saint-Hyacinthe, Télesphore-Damien Bouchard, projet voulant instaurer la fréquentation scolaire obligatoire68.