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La municipalisation et la nationalisation des services publics

CHAPITRE II – RESSOURCES, TERRITOIRE ET BUDGET : LA PENSÉE

2.1 Lomer Gouin et les monopoles : rupture ou continuité?

2.1.3 La municipalisation et la nationalisation des services publics

Lomer Gouin semble posséder une certaine sensibilité à l‟égard des entreprises de services publics. À travers la question des pharmacies, du tramway de Verdun et de la MLHPC, un élément constant se démarque : le législateur doit trouver le meilleur moyen pour que le citoyen reçoive le meilleur service, au meilleur prix possible. La liberté du marché semble primordiale, mais certaines situations peuvent nécessiter des mesures plus progressives. Toutefois, L. Gouin favorisait parfois une série de mesures législatives pour contourner un problème, plutôt que d‟y aller d‟une attaque frontale, comme dans le cas de la MLHPC. La situation des Montréalais le touche clairement, même s‟il préfère être patient en laissant une série de lois prendre effet, plutôt que de retirer ses privilèges à la MLHPC et opter réellement pour d‟autres moyens plus radicaux comme la nationalisation.

Pourtant, lors de la session de 1906, Maurice Perrault, le député libéral de Chambly, appuyé par Georges-Albini Lacombe, de Montréal no 1, propose la nationalisation des services publics, notamment ceux des tramways, de la pulpe, des aqueducs, de l‟électricité, des communications, des mines, des boissons et du gaz. Après un très long discours de M. Perrault34, le Premier ministre lui répond. Ce dernier n‟est aucunement « horrifié » par ce qu‟il vient d‟entendre, il ne le rejette pas du revers de la main et est même prêt à soumettre le projet à l‟étude. Cependant, il estime ne pas connaître d‟exemples de ce type de politique. L. Gouin termine en affirmant ses craintes devant le coût. À son avis, la nationalisation nécessiterait un emprunt de 60 000 000 $, tandis que la province est déjà endettée de 25 000 000 $. Il rappelle aussi que, devant l‟importance des mesures, le gouvernement se doit d‟aller devant le peuple pour le consulter35.

34 Malgré son appartenance au Parti libéral, Maurice Perrault avait de la difficulté à respecter la ligne de parti. Il ne

craignait pas d‟affronter le Premier ministre en pleine Chambre. Le 19 janvier 1906, il exige du gouvernement Gouin de respecter son étiquette « réformiste » en atteignant l‟équilibre budgétaire et en faisant des réformes : « Étant donné que le gouvernement est un gouvernement réformiste, il demande que la première des choses qu‟il fasse soit d‟équilibrer le budget. […] Combien de choses encore pourrais-je citer! Le ministère Gouin se proclame réformiste; je l‟appuierai à une condition qu‟il fasse effectivement des réformes. Car si ça continue, ça ne sera pas drôle. Il ne suffit pas de donner des banquets, de faire de grands discours, de se promener et de boire du champagne : le peuple exige autre chose » (DALQ, 11/2, 19 janvier 1906, p. 14).

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En 1909, le Premier ministre présente le projet de loi 46 introduisant la Commission des services d‟utilité publique. La nationalisation est bien lointaine. Après tous les débats concernant la MLHPC et la CLPC, L. Gouin institue donc une commission qui vise à créer un « intermédiaire36 » pour régler les conflits survenant entre les entreprises de services publics comme le chemin de fer, le tramway, l‟hydroélectricité et le gaz; les municipalités et les citoyens. Lui qui jusque-là insistait sur le devoir du législateur, il nomme une commission irresponsable : les trois membres ne sont pas des députés et sont accompagnés d‟experts dans leurs démarches. Encore une fois, L. Gouin fait reposer le succès de sa loi sur la qualité des hommes. En effet, les commissaires se réunissent sur demande et ceux-ci reposent leur analyse sur une expertise. Dès lors, il est clair dans l‟esprit de L. Gouin que les différends vont diminuer : « C'est un salaire suffisant, si on considère qu'après quelques années la commission aura peu de travail à faire37 ». Il souhaite que cette commission puisse apporter « un juste équilibre » entre lesdites compagnies et les citoyens. Le gendre d‟Honoré Mercier ne cache aucunement que l‟un des principaux mandats de cette nouvelle entité est de gérer la question hydroélectrique de Montréal, question qui rebondissait toujours sous une forme ou une autre à l‟Assemblée législative :

Les services d'utilité publique se multiplient de plus en plus. Chaque année, plusieurs semaines sont employées à régler les différends soulevés entre la seule ville de Montréal et les compagnies d'utilité publique qui opèrent dans les limites de son territoire. Les dépenses occasionnées par la nouvelle commission seront amplement payées par l'économie de temps et de frais de toutes sortes qui résultent des démarches faites de divers côtés auprès de la législature chaque année. Il demande à la Chambre d'appuyer cette mesure qui, assure-t-il, est présentée dans l'unique but d'en faire bénéficier le public38.

Lors du dépôt du projet de loi, L. Gouin peut compter même sur l‟appui de son rival Henri Bourassa, à qui il promet de ne pas en faire un « hôpital politique39 ». Joseph-Mathias Tellier, le chef de l‟Opposition aime plus ou moins l‟aspect jugé irresponsable de la commission, soulignant le paradoxe d‟avoir vu son opposant être si virulent lorsque la

36 DALQ, 12/1, 13 mai 1909, dans http://www.assnat.qc.ca/Archives/Debats-

reconstitues/rd12l1se/index/seance.asp?se=090513, Assnat, page consultée le 27 août 2012. L. Gouin affirme s‟être inspiré de la commission fédérale des chemins de fer.

37 Ibid. 38 Ibid. 39 Ibid.

67 Chambre a accordé des compétences extraordinaires à la MLHPC. D‟ailleurs, il apprécie très peu l‟idée d‟introduire ce modèle fédéral dans le cadre d‟une législation provinciale. Pour L. Gouin, la qualité des experts fait foi de tout : « Il vaut mieux accorder ce droit à des hommes compétents comme les commissaires que de le laisser uniquement aux députés qui ne sont pas experts en ces matières40 ». Il souligne aussi du même coup que la Commission est un ultime recours.

Deux ans plus tard, il prend véritablement fait et cause pour la Commission, alors qu‟il fait modifier sa loi constitutive afin de la renforcer, certaines parties de la loi initiale ayant été invalidées en Cour supérieure. C‟est le Premier ministre qui présente les modifications en Chambre, modifications qui visent entre autres à donner plus de pouvoir à la Commission en matière tarifaire41. De plus, le projet de loi octroie à la Commission le droit d‟« obliger une compagnie à étendre son service à une partie d‟une municipalité avec laquelle elle fait affaire et à en répartir le coût entre la compagnie et cette municipalité42 ». Une clause prévoit aussi des compétences relatives à la sécurité du public en ce qui concerne l‟équipement des compagnies43. Les représentants et actionnaires de diverses compagnies tentent de renverser ses dispositions, notamment celles concernant les tarifs. Toutefois, L. Gouin profite de l‟appui d‟Henri Bourassa pour rejeter la recommandation du comité de législation, soit celle d‟obliger le respect des tarifs déterminés par les contrats44. Au cours de la même année, la Province regroupe les compagnies de tramway montréalaises et les place sous l‟égide de la Commission des services. L‟objectif de ce projet de loi est de régler les problèmes de transport en commun à Montréal. L‟historien P. Dutil décrit la situation du transport montréalais en ces termes : « embrouillé par un ensemble complexe d'horaires incompatibles, de tarifs inégaux, de mauvaises répartitions des services et de problèmes constants de main-d'œuvre45 ». Bien qu‟il ne soit pas

40 DALQ, 12/1, 17 mai 1909, dans http://www.assnat.qc.ca/Archives/Debats-

reconstitues/rd12l1se/index/seance.asp?se=090517, Assnat, page consultée le 27 août 2012.

41 Incluant aussi une évaluation de la qualité du service.

42 DALQ, 12/3, 15 février 1911, dans http://www.assnat.qc.ca/Archives/Debats-

reconstitues/rd12l3se/index/seance.asp?se=110215, Assnat, page consultée le 3 septembre 2012.

43 Ibid., Lomer Gouin affirme que cette clause fait référence à « l‟utilisation de pare-chocs pour les tramways, de freins et

d‟autres dispositifs de ce genre ».

44 Ibid.; DALQ, 12/3, 24 février 1911, dans http://www.assnat.qc.ca/Archives/Debats-

reconstitues/rd12l3se/index/seance.asp?se=110215, Assnat, page consultée le 3 septembre 2012.

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entièrement d‟accord avec les dispositions, c‟est encore le libéral progressiste Godfroy Langlois qui pilote le dépôt du projet de loi46. Le Premier ministre en fait la promotion en Chambre, mais son argumentaire ne nous permet pas de saisir sa pensée libérale avec cette importante loi. Nous constatons simplement que, à l‟instar du cas du tramway de Verdun, il se montre favorable au regroupement ou au monopole dans le cadre du transport collectif.