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La conciliation entre ouvriers et patrons ou comment réagir en bon père de

CHAPITRE III – POUR LE PROGRÈS NATIONAL : LE DÉVELOPPEMENT DE

3.3 La question ouvrière : le progressisme paternel et sans moyen de Lomer Gouin

3.3.1 La conciliation entre ouvriers et patrons ou comment réagir en bon père de

L‟ancien président du Club National enregistre en 1897 sa première victoire électorale en l‟emportant dans Montréal no 2. Appelé communément Saint-Jacques, ce comté est qualifié d‟ouvrier. La convention le désignant comme candidat n‟est pas unanime. Cette contestation serait-elle liée à son statut de bourgeois? Rien ne l‟indique. Cependant, Lomer Gouin prend bien soin d‟intégrer des éléments relatifs à la question ouvrière dans son programme électoral.

Bien qu‟il s‟en remet « à l‟intelligence et au libéralisme des braves ouvriers72 » au moment de sa désignation comme candidat, le parcours de L. Gouin comme député est plus ou moins marqué par la question ouvrière, comme en témoigne sa gestion du dossier du monopole du tramway verdunois. Dans un discours devant le Club libéral de la partie Est, il affirme le 4 mars 1900 que les conflits entre le capital et le travail troublent « l‟harmonie économique » et mettent « en danger la sécurité des États ». Toutefois, il admet que « l‟ouvrier canadien commence lui aussi à trouver la vie lourde et qu‟en présence des fortunes et des bonheurs qu‟il ne peut atteindre, il se dit, en lui-même, confusément, des choses qui rappellent le vers de Richepin : Je songe aux blés coupés qui ne sont pas les

nôtres, et dont les épis mûrs font du pain pour les autres73 ». L. Gouin ne dit toutefois pas

72 « M. Gouin dans St-Jacques », La Patrie, 1er mars 1897, p. 1.

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comment il envisage les solutions à cet épineux problème, se contentant d‟insister sur les besoins de la « coopération harmonieuse entre tous les individus et surtout entre toutes les classes de la société74 ».

Alors qu‟il occupe l‟année suivante le poste de commissaire des Travaux publics, L. Gouin dépose un projet de loi majeur : celui de l‟établissement des conseils de conciliation et d‟arbitrage pour régler les différends industriels. Son projet de loi est inspiré de législations adoptées précédemment en Ontario, ainsi qu‟en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en France. L. Gouin n‟agit pas en précurseur : il se fonde sur des exemples d‟ailleurs pour ajuster le statu quo à l‟émergence du monde ouvrier. Il se veut conciliant, en défendant le principe de la conciliation plutôt que de l‟arbitrage obligatoire, et en ne voulant pas mettre en péril les libertés ouvrières75. L‟objectif de ce projet de loi est d‟encadrer les négociations entre deux camps lors d‟un conflit entre ouvriers et patrons, grâce à la constitution de conseils de conciliation qui seraient composés de quatre membres, soit deux représentants pour chacune des parties. Lorsqu‟un tel conseil ne réussit pas à régler le différend, l‟affaire se déplace devant un conseil d‟arbitrage, dont les membres sont nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil. De fait, l‟un d‟eux est désigné par le monde ouvrier, un autre par les patrons, et le troisième est proposé comme président par les deux camps.

Cette mesure est un progrès pour le monde ouvrier. Elle dévoile aussi le paternalisme dans la pensée libérale de L. Gouin. Bien qu‟il ait offert initialement des félicitations au commissaire des Travaux publics, le chef conservateur Edmund-J. Flynn critique près d‟un an plus tard le choix fait le 4 mars 1902. Il conteste la nomination de Joseph Tanguay comme représentant ouvrier au sein du conseil d‟arbitrage, car ce dernier

74 Ibid. Le député montréalais termine son laïus en tentant de tirer une leçon, de façon plus ou moins claire, de la

Révolution française : « À la veille du cataclysme de 1789, au moment où l‟homme nouveau se préparait à se dresser dans toute la hauteur de ses droits et dans le rayonnement de toutes ses libertés, alors que personne n‟avait osé dire ce que tout le monde pensait, il se trouvait un vigoureux pamphlétaire à qui il suffit de poser la grande question pour la résoudre. Il la posa en ces termes : Qu‟est-ce que le tiers-état74? »

75 DALQ, 10/1, 27 février 1901, p. 56; DALQ, 10/1, 11 mars 1901, p. 137. En fait, il fonde son refus de l‟arbitrage

obligatoire en citant l‟homme politique français Jean Jaurès : « L'arbitrage obligatoire serait un péril mortel pour les libertés ouvrières ».

109 ne serait pas le choix de la majorité des ouvriers76. Devenu ministre depuis, L. Gouin s‟en défend, puisque parmi les cinq candidatures « qui avaient obtenu le plus de voix », il considère que le gouvernement avait désigné celui « qui lui a paru le mieux qualifié pour défendre les intérêts des ouvriers et des patrons77 ». Néanmoins, il confirme que la loi n‟oblige pas la sélection du candidat ayant obtenu le plus de votes. Un débat semblable se produit à nouveau en 1904, alors que le député de Dorchester, Louis-Philippe Pelletier, l‟interroge en Chambre au sujet d‟une rumeur voulant que les ouvriers n‟aient pas été consultés lors de la désignation de leur représentant au conseil d‟arbitrage. À nouveau, le ministre libéral rappelle que le gouvernement n‟est pas obligé de désigner le candidat choisi par les ouvriers, ni même celui des patrons. Son rôle est, « dans l‟intérêt public, [de] nommer le plus compétent et le plus apte à rendre service aux ouvriers et au public ». L. Gouin conclut en notant qu‟il discute de ce point avec les deux parties en question78.

Tout en voulant respecter les ouvriers et leurs leaders, L. Gouin ne se gêne donc pas pour manifester son paternalisme envers eux. Lors du débat sur l‟uniformité des livres, il affirme respecter l‟avis exprimé des leaders ouvriers. Cependant, il préfère croire « que la majorité des ouvriers est opposée79 » à celle-ci en se référant à l‟opinion du député de Saint-Sauveur, Joseph-Alphonse Langlois, qui affirmait que les travailleurs de Québec ne voulaient pas de l‟uniformité80. En fait, ce dernier tout comme le chef libéral ne pense pas que les chefs ouvriers s‟expriment au nom de la majorité : il préfère donc laisser cette question entre les mains du Conseil de l‟Instruction publique et de l‟Église81.

Une autre loi concernant la situation des ouvriers est celle des accidents de travail. Bien que Lomer Gouin affirme en 1915 sa fierté devant cette législation, tout en rappelant que sa province a été la première « a pensé à améliorer le sort de la classe ouvrière », il

76 DALQ, 10/1, 11 mars 1901, p. 137. Les députés conservateurs Jérôme-Adolphe Choquette et Louis-Philippe Pelletier se

lèvent aussi en Chambre pour donner leur appui, bien que ce dernier ne croie aucunement à son application. Quant au choix du représentant ouvrier au sein du conseil d‟arbitrage, nous ignorons la procédure de désignation par les ouvriers.

77 DALQ, 10/1, 7 mars 1902, p. 118.

78 DALQ, 10/2, 25 mai 1904, p. 419. Néanmoins, il est à noter que lors de ce débat, le premier ministre, Simon-Napoléon

Parent, invite L.-P. Pelletier à venir le voir en privé pour lui montrer un document « confidentiel » qui expliquerait le choix du gouvernement. Plusieurs hypothèses sur le rejet de certains candidats peuvent ainsi être émises.

79 DALQ, 12/3, 9 février 1911, dans http://www.assnat.qc.ca/Archives/Debats-

reconstitues/rd12l3se/index/seance.asp?se=110209, Assnat, page consultée le 11 février 2013.

80 Ibid. 81 Ibid.

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n‟intervient pas en 1911 lors du débat sur son adoption. Cette loi est mise en place à la suite d‟une commission instituée en 1907. À ce sujet, L. Gouin constate encore une fois que la France et la Grande-Bretagne ont adopté des lois sur la responsabilité de l‟ouvrier en cas d‟accident. Il souligne que, dans ces pays, cette législation soulève toujours des protestations, d‟où la nécessité de lancer cette commission pour entendre les différents camps82. Le gouvernement Gouin adopte aussi en 1919 une loi sur le salaire minimum. Comme le rappelle l‟historien Gilles Gallichan, cette dernière a pour but de venir en aide aux femmes qui sont plus présentes sur le marché du travail depuis la Première Guerre mondiale, mais qui se font alors odieusement exploiter83. Encore une fois, L. Gouin ne s‟exprime pas à ce sujet.

Somme toute, le bilan de son action en ce domaine est décevant et ne donne pas vraiment d‟éléments pour cerner sa pensée. Ce qu‟il faut retenir au sujet des législations ouvrières de ses différents gouvernements, c‟est qu‟elles ne sont pas respectées, faute de moyens et en dépit de leur caractère relativement progressiste. Déjà dans Question

actuelle, le futur Premier ministre constate que la province manquait de capitaux pour

financer efficacement ces mesures sociales84. Le règlement de la question du subside fédéral en 1908 et l‟amélioration subséquente des finances québécoises ne rendent pas nécessairement L. Gouin plus interventionniste. Il est possible de penser que, devant l‟action quelque peu inefficace de ses gouvernements, l‟homme politique veut privilégier davantage l‟éducation technique pour régler à long terme les problèmes ouvriers.