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Enfants et femmes : une question de droit et d‟accès

CHAPITRE III – POUR LE PROGRÈS NATIONAL : LE DÉVELOPPEMENT DE

3.3 La question ouvrière : le progressisme paternel et sans moyen de Lomer Gouin

3.3.2 Enfants et femmes : une question de droit et d‟accès

La situation des enfants et des femmes dans la pensée libérale de Lomer Gouin permet de mettre l‟accent sur deux éléments : le développement de l‟individu concerne d‟abord est avant tout celui du genre masculin, l‟homme politique privilégie surtout la solution de l‟accès à l‟éducation. L. Gouin s‟est exprimé très peu sur le travail des enfants

82 DALQ, 11/3, 26 février 1907, p. 246.

83 Gilles Gallichan, loc. cit., dans 14/3, dans http://www.assnat.qc.ca/archives/Debats-reconstitues/rd14l3se/intro.html,

Assnat, page consultée le 4 février 2013.

111 dans les usines. En tant que ministre de la Colonisation et des Travaux publics, il présente néanmoins un projet de loi en 1903, interdisant l‟embauche des enfants d‟au-dessous de 13 ans85. Comme ce projet de loi ne soulève aucun débat, il ne commente pas. Même chose en 1919, alors que son ministre, Louis-Alexandre Taschereau, dépose l‟important projet de loi 171, obligeant les employeurs à exiger des certificats d‟instruction élémentaire chez les jeunes de moins de 16 ans. En conséquence, pour être engagé, un jeune devait montrer qu‟il savait lire et écrire86. Bien que parrainée par son dauphin, cette loi reste un témoignage de la pensée libérale de L. Gouin. Elle constitue une réponse à ceux qui réclament de rendre obligatoire la fréquentation scolaire. C‟est à ce moment qu‟il aurait dit : « Méfiez-vous des petits bills; ce sont les plus gros87 ». Incapable de prendre de front les problèmes du système scolaire québécois, qui est alors tenu en otage par le conservatisme de l‟Église catholique, Lomer Gouin use du même procédé tactique que celui employé au sujet des HEC et des écoles techniques : il intervient par la bande, dans le milieu industriel, en espérant avoir un impact sur l‟ensemble de la société88. Il peut ajuster ainsi le statu quo, sans risquer de crises politiques majeures.

Une des mesures les plus intéressantes de Lomer Gouin par rapport aux jeunes est toutefois l‟instauration d‟un tribunal de la jeunesse – ou tribunaux d‟enfant, selon la terminologie employée à cette époque. Comme le rapporte le politologue James Ian Gow, le système judiciaire québécois connaît peu de changements entre 1897 et 193689. Toutefois, celui-ci en est un majeur. Pour employer une expression plus actuelle, l‟idée derrière cette innovation – encore une fois inspirée par ce qui se faisait ailleurs – est d‟éviter d‟envoyer les jeunes délinquants à l’école du crime90. Lors de la première lecture du projet de loi, Lomer Gouin décrit l‟objectif humaniste derrière celui-ci : « Le but est de donner la chance aux jeunes délinquants de se racheter sans qu'ils soient classés comme

85 DALQ, 10/3, 9 mars 1903, p. 76; DALQ, 10/3, 11 mars 1903, p. 104. 86 Y. Lamonde, op. cit., p. 200-201.

87 R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, t. XXIV, Succession de Laurier, Montréal, Fides, 1971, p. 39. 88 Gilles Gallichan, loc. cit., dans 14/3, dans http://www.assnat.qc.ca/archives/Debats-reconstitues/rd14l3se/intro.html,

Assnat, page consultée le 4 février 2013.

James Iain Gow, Histoire de l’administration publique québécoise 1867-1970, Montréal, Les Presses de l‟Université de Montréal, 1986, p. 83.

90 Lorsqu‟il présente l‟intention du gouvernement de créer ces tribunaux, le député Joseph-Octave Mousseau se montre

très clair sur ce point. Lomer Gouin s‟empresse d‟appuyer son député après son allocution (DALQ, 12/1, 5 mai 1909, dans

http://www.assnat.qc.ca/Archives/Debats-reconstitues/rd12l1se/index/seance.asp?se=090505, Assnat, page consultée le 4 février 2013).

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des criminels. Ils seront traités dans un esprit paternel91 ». Lors de la deuxième lecture, il va encore plus loin en affirmant que le « bill vise à ce que les jeunes délinquants de Montréal soient traités comme des êtres humains et non pas comme ils le sont présentement dans les cours de police de la cité92 ».

En ce qui concerne la situation des femmes, la pensée libérale de Lomer Gouin ne l‟incite pas à innover de la même façon. Bien de son temps, il ne semblait pas entiché à l‟idée que la femme soit l‟égale de l‟homme. Du moins, il ne donne pas l‟impression d‟avoir voulu militer en ce sens. Alors qu‟Henri Bourassa s‟indigne en 1910 du faible salaire des copistes – des femmes –, du bureau d‟enregistrement de Montréal, son rival libéral est alors loin de partager son indignation, puisqu‟à son avis, « $25 et $ 30 [par mois] sont des salaires raisonnables pour des femmes ». Pour justifier sa position, L. Gouin prétexte aussi l‟offre élevée pour ce genre de poste, ainsi que les faibles qualifications professionnelles exigées93.

En ce qui concerne l‟un des débats importants de ses mandats, celui relatif à la question du droit de vote, Lomer Gouin s‟est montré très sibyllin. Selon R. Rumilly, il aurait carrément dit de façon péremptoire à Carrie Derrick, présidente de la Montreal

Suffrage Association : « Les femmes ne votent pas en Angleterre » en 1915. L‟historien

Richard Jones reprend d‟ailleurs ce passage pour dire que son sujet s‟opposait de façon catégorique à cette idée94. Il n‟est toutefois pas impossible que, à l‟instar de la situation scolaire, Lomer Gouin était conscient des changements en cours, mais que la position de l‟Église le bloquait dans toute réforme majeure du statu quo. Dans une entrevue à La

Presse en 1919, il se dit disposé à l‟idée du vote des femmes, droit qui vient d‟être accordé

91 DALQ, 12/2, 6 mai 1910, dans http://www.assnat.qc.ca/Archives/Debats-

reconstitues/rd12l2se/index/seance.asp?se=100506, Assnat, page consultée le 4 février 2013 (nous soulignons). Lorsque J.-O. Mousseau présente l‟intention de créer des tribunaux juvéniles, Lomer Gouin souhaite d‟abord en voir un à Montréal et à Québec. Au moment du dépôt du projet de loi, il n‟est toutefois plus question d‟en ouvrir un dans la capitale.

92 DALQ, 12/2, 19 mai 1910, dans http://www.assnat.qc.ca/Archives/Debats-

reconstitues/rd12l2se/index/seance.asp?se=100519m, Assnat, page consultée le 4 février 2013.

93 DALQ, 12/2, 4 juin 1910, dans http://www.assnat.qc.ca/Archives/Debats-

reconstitues/rd12l2se/index/seance.asp?se=100604, Assnat, page consultée le 4 février 2013. Devant les critiques de H. Bourassa, il admet toutefois que le coût de la vie a augmenté considérablement au cours des années précédentes.

94 R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, t. XIX, 1914, Montréal, Montréal-Éditions, [s.d.], p. 127; Richard

Jones, « Gouin, sir Lomer », dans Réal Bélanger et Ramsay Cook, dir., Dictionnaire biographique du Canada (DBC), vol. XV, de 1921 à 1930, Québec, Les Presses de l‟Université Laval, 2005, p. 464.

113 au fédéral95. Le député libéral Joseph-Séraphin-Aimé Ashby en 1920 propose à la Chambre d‟adopter une résolution, demandant aux parlementaires d‟étudier la possibilité d‟accorder le droit de vote aux femmes. À ce moment, son chef ne s‟y oppose pas et laisse même la résolution être adoptée à la majorité des voix96. En fait, L. Gouin ne laisse rien transparaître à ce propos. Toutefois, il appuie sans réserve le jeune député Lucien Cannon lorsque ce dernier demande à la législature de permettre aux femmes d‟accéder au Barreau du Québec. Cet appui n‟est quand même pas anodin vu l‟argumentaire solide et moderne de L. Cannon. En effet, ce dernier n‟hésite pas à dire que ce « fut le christianisme qui donna à la femme la place qu‟elle occupe aujourd‟hui dans la société », tout en faisant observer que son statut n‟a pas été intangible à travers l‟histoire et que le Québec était assez à la traîne dans ce dossier97.