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À l‟ombre des géants : la discrète campagne électorale fédérale de 1891

CHAPITRE I – DES LIENS ET DES INTERPRÉTATIONS : LA PENSÉE

1.2 Dans le sillon d‟Honoré Mercier : le Club National et l‟élection fédérale de

1.2.2 À l‟ombre des géants : la discrète campagne électorale fédérale de 1891

Lomer Gouin fait ses débuts en politique active en février 1891, alors qu‟il est candidat libéral dans le comté fédéral de Richelieu. La bataille qui débute au confluent de la rivière Richelieu et du fleuve Saint-Laurent est des plus importantes… mais sans que sa présence ait réellement quelque chose à y voir. Cet épisode de sa carrière donne peu d‟information sur sa pensée libérale. Toutefois, comme pour celui du Club National, il montre malgré tout la loyauté de L. Gouin à l‟endroit de ses chefs et de leurs politiques.

47 Il est important de noter que Le Clairon publiait des petits comptes rendus des réunions du Club National et qu‟il ne fut

publié que du 7 décembre 1889 au 22 mai 1890. La diminution de la tension au Club l‟aurait-elle rendu inutile?

48 Ibid., p. 35-36. 49 Ibid.

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Lors de la campagne de 1891, les libéraux de Wilfrid Laurier promettent d‟abolir la Politique nationale mise en place par les conservateurs de John A. Macdonald en 1879. Les libéraux veulent ainsi abolir les tarifs protectionnistes et le remplacer par un traité de réciprocité avec les États-Unis51. En contradiction avec les positions initiales de son parti, L. Gouin est plutôt reconnu comme un partisan de ces tarifs. Il n‟y a pas de preuve documentaire indiquant que, lors de sa première campagne électorale, il appuya avec fermeté la réciprocité défendue par Wilfrid Laurier et Honoré Mercier52. Lors de l‟assemblée contradictoire du 24 février 1891, il affirme pourtant son soutien à Wilfrid Laurier, et ce, devant son beau-père qui était présent pour appuyer les libéraux dans le comté53. Le Sorelois, un journal conservateur du comté, ne se gêne pas pour associer un vote à la recrue à un vote pour le libre-échange, donc pour l‟annexion avec les États-Unis et pour la taxe directe54. Lors d‟une assemblée contradictoire tenue vers le 1er mars 1891, Edward A. D. Morgan reproche à L. Gouin : « Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es55 ». Alors que les journaux libéraux semblent tenir sous silence le lien familial entre ce dernier et le premier ministre québécois, le candidat libéral lui répond :

Je n'ai pas à rougir de ceux que je fréquente [...], car je fréquente les deux hommes les plus intègres du Dominion, ce sont MM. Laurier et Mercier. Je suis donc un homme honorables [sic] et intègre. Mais Sir Hector et vous, M. Morgan, qui fréquentez-vous? […] Vous fréquentez McGreevy qui est un voleur, comme l'a prouvé M. [Joseph-Israël] Tarte en votre présence à Sorel, jeudi dernier; donc vous êtes... tirez la conclusion vous-mêmes messieurs les électeurs56.

La seule autre mention notable que nous retrouvons de L. Gouin est celle du 26 février 1891. Alors que son adversaire Hector-Louis Langevin vient de se défendre en faisant la lecture d‟une lettre des archevêques Cornelius O‟Brien et Édouard-Charles Fabre, le candidat libéral contre-attaque en faisant lui-même la lecture d‟une lettre du grand vicaire Louis-Delphis-Adolphe Maréchal. Dans celle-ci, « ce dernier dénonce ceux

51 R. Bélanger, op. cit., p. 173.

52 Il faut noter que Le Clairon militait aussi pour la réciprocité (A. Beaulieu et J. Hamelin, op. cit., p. 220).

53 « Immense assemblée », Le Sud, 25 février 1891, p. 2-3; « Grande assemblée à Sorel », Le Canadien, 25 février 1891,

p. 3.

54 Publicité parue à la troisième page du Sorelois du 24 février et du 3 mars 1891. 55 « La journée d‟hier », Le Sud, 2 mars 1891, p. 3.

37 qui, à l'instar de la presse conservatrice de sir Hector Langevin et de ses amis, se servent de la dernière lettre pastorale de Mgr Fabre pour des fins politiques57 ». Toutefois, ces extraits nous en disent bien peu sur la pensée libérale de L. Gouin.

Cela étant dit, au-delà de son ralliement à son chef du 24 février 1891, les gestes de L. Gouin peuvent être toutefois des indicateurs de sa pensée libérale. Bien que la recrue politique fasse campagne à travers le comté de Richelieu, il se retrouve rapidement à l‟arrière-plan. Son adversaire n‟est nul autre que Hector-Louis Langevin, l‟un des principaux ténors de l‟aile québécoise du Parti conservateur et, dans le contexte qui nous intéresse, ministre des Travaux publics. Le plus important employeur de la ville de Sorel, principale municipalité du comté de Richelieu, est alors le chantier du Dominion du Canada, qui se trouve sous la compétence du ministère des Travaux publics. À ce moment, H.-L. Langevin est donc maître d‟un important levier de favoritisme fédéral dans le comté. De plus, son ami proche, Thomas McGreevy, député et financier important du Parti conservateur, est aussi président de la Compagnie de navigation Richelieu et Ontario, une autre entreprise opérant à Sorel. Pour contrer l‟avantage que pourrait donner le favoritisme aux conservateurs58, les libéraux ont toutefois le beau jeu. Le puissant ministre vit alors les pires moments de sa carrière politique qui, après l‟élection de 1891, vont le pousser hors de la scène politique canadienne. La faute en revient à T. McGreevy, dont les malversations ont été dénoncées par son frère, Robert59. J.-I. Tarte, pourtant un ancien allié de H.-L. Langevin, en profite pour déclencher en 1890 une campagne contre Thomas McGreevy et, par ricochet, contre le ministre des Travaux publics. Derrière cette campagne se pose l‟enjeu du leadership de l‟aile québécoise du Parti conservateur60. Les actions de J.-I. Tarte le poussent toutefois hors du Parti conservateur. Wilfrid Laurier tente rapidement de l‟attirer au Parti libéral61. La campagne de Richelieu est donc une belle occasion pour les

57 « À Richelieu », Le Canadien, 28 février 1891, p. 3.

58 Notons que le maire de Sorel et sénateur conservateur, Jean-Baptiste Guèvremont donne publiquement son appui à

Hector-Louis Langevin, « Écho de la Ville et du District », Le Sorelois, 20 février 1891, p. 3.

59 Andrée Désilets, « Langevin, sir Hector-Louis », dans http://www.biographi.ca/009004-119.01-

f.php?&id_nbr=6840&interval=20&&PHPSESSID=vuceikc9c8nof8md8a0tg7fg54, DBC en ligne, page consultée le 28 mars 2011.

60 Michèle Brassard et Jean Hamelin, « Tarte, Joseph-Israël », dans http://www.biographi.ca/009004-119.01-

f.php?&id_nbr=7097&interval=20&&PHPSESSID=dhjlr54i0cbaeter7nm58h3271, DBC en ligne, page consultée le 4 février 2011.

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libéraux d‟inciter l‟ancien conservateur à travailler de concert avec eux et pour J.-I. Tarte de venir faire la lutte directement au « McGreevisme ». Ce dernier décide toutefois de demeurer indépendant lors de la campagne électorale de 1891, où il se présente plutôt comme dans le comté de Montmagny, dans le but de « détruire le McGreevisme62 ». Néanmoins, son autonomie est toute relative : son organisateur est Charles Langelier, un libéral notoire63. Pis encore, il lance sa campagne à Québec avec les libéraux64!

Les libéraux organisent une assemblée contradictoire le 24 février 1891, où Hector- Louis Langevin est invité. Celui-ci ne se présente pas; Joseph-Israël Tarte, qui s‟est déplacé pour l‟occasion, refuse alors de prononcer un mot en l‟absence de son adversaire. Le Premier ministre du Québec, Honoré Mercier, de même que Rodolphe Lemieux sont aussi sur place. Alphonse-Antoine Taillon, Pierre-Évariste Leblanc et Guillaume-Alphonse Nantel se retrouvent du côté des conservateurs. L. Gouin y prend la parole. Deux jours plus tard, une deuxième assemblée contradictoire est organisée. Cette fois, Hector-Louis Langevin y participe, ainsi que J.-I. Tarte. Ce dernier en profite pour lancer ses accusations au ministre des Travaux publics. L. Gouin se retrouve alors à l‟arrière-plan de sa propre campagne pour faire place à celui à qui son chef aurait dit : « Tarte, pourquoi ne venez- vous pas avec nous? On vous méconnaît dans votre parti65 ».

Hélas pour Lomer Gouin, son adversaire l‟emporte par 308 voix66. Celle-ci constitue alors la deuxième plus grosse majorité de l‟histoire de ce comté67. Le journal libéral La Patrie le présente malgré tout parmi les candidats dont elle regrettait la défaite, à l‟instar d‟une vedette libérale établie comme Laurent-Olivier David68. Un journal pro- mercieriste de Sorel, Le Sud, renchérit. La rédaction accuse entre autres une partie du

62 Joseph-Israël Tarte, « Chronique électorale », Le Canadien, 13 février 1891, p. 2. 63 M. Brassard et J. Hamelin, loc. cit, page consultée le 4 février 2011.

64 J.-I. Tarte, loc. cit. Dans cet article, l‟auteur indique que M. Laurier n'a pas hésité à dire : « M. Tarte et moi

n'appartenons pas à la même religion politique, mais j'accepte sa candidature conservatrice ». Voir aussi « Grand ralliement des libéraux de Québec » et « Bulletin politique », La Patrie, 12 février 1891, p. 1 et 4.

65 M. Brassard et J. Hamelin, loc. cit., page consultée le 4 février 2011.

66 Le décompte final est de 1701 voix pour H.-L. Langevin, contre 1393 pour L. Gouin.

67 Le journal pro-conservateur Le Sorelois ne se gêne pas pour affirmer que cette majorité serait la plus importante de

l‟histoire du comté. Lors de l‟élection de 1870, Georges-Isidore Barthe avait toutefois vaincu son adversaire par 345 voix. Dans le même texte, l‟auteur associe la défaite de L. Gouin à une défaite pour son beau-père, H. Mercier. Il est aussi souligné que plusieurs « libéraux indépendants » ont voté pour le candidat conservateur. Voir « Sir Hector Langevin », Le Sorelois, 6 mars 1891, p. 2.

39 clergé des paroisses richeloises d‟être la cause de la défaite. Elle affirme aussi que l‟« appât de l'or a été trop fort pour quelques-uns de nos chefs dans les paroisses et plusieurs ont trahi le vaillant candidat fédéral qu'ils acclamaient la veille : honte à eux ». Il assure ensuite le candidat défait de l‟« appui cordial des libéraux au jour de la revanche!69 ». Ce jour n‟est pas proche pour L. Gouin, car son beau-père se retrouve quelques mois plus tard embourbé dans l‟affaire de la Baie des chaleurs, ce qui précipite sa perte du pouvoir. Bien que H.-L. Langevin démissionne peu de temps après pour ne représenter que le comté de Trois-Rivières70, les libéraux ne font pas appel au gendre de l‟ancien premier ministre déchu pour tenter de prendre le comté71.