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La gestion des ressources naturelles peut être réalisée par la mise en œuvre de lois et de sanctions. Les sanctions revêtent deux formes principales : les sanctions énoncées par la loi et les sanctions résultant des pratiques locales. Mais dans la majeure partie des cas, ces sanctions locales doivent se conformer aux lois en vigueur.

A. La loi et les statuts particuliers des forêts

Les lois sont accompagnées de sanctions appliquées en cas d'infractions ou de non respect. Mais pour que la gestion des ressources soit effective, outre la loi, l'administration forestière peut aussi avoir recours à d'autres méthodes dont les statuts particuliers des forêts.

1. Les sanctions dans les lois

Les lois prévoient des sanctions pénales, lesquelles sont appliquées lorsqu'il y a infraction et non respect des règles dictées. Elles sont applicables sur tout le territoire national. Tout Malgache se doit alors de respecter les termes de la loi sous peine d'être sanctionné.

La loi forestière (loi n° 97-017 du 8 août 1997 portant révision de la législation forestière dite loi forestière) ne déroge pas à cette règle. Cette loi permet de réguler, entre autres, les actions qui pourraient être entreprises sur les forêts malgaches. Elle prescrit les comportements que chaque acteur devrait avoir à l'égard des ressources : il est interdit d'effectuer des défrichements sur le domaine forestier national (les forêts classées, les réserves naturelles, les parcs nationaux, etc.) ; il est interdit d'allumer un feu de végétation sur le domaine forestier national. En cas de manquement à ces règles, les sanctions sont appliquées. Par exemple, la pratique du tavy est proscrite par la loi forestière. Les dispositions pénales prises en compte sont celles de l'ordonnance n° 60-127 fixant le régime des défrichements et des feux de végétation, ainsi que l'ordonnance n° 60-128 du 3 octobre 1960 fixant la procédure applicable à la répression des infractions à la législation forestière, de la chasse, de la pêche et de la protection de la nature (article 54 de la loi forestière). Ces sanctions sont par exemple l'incarcération du délinquant (article 25 et 34 de l'ordonnance n° 60-127 fixant le régime des défrichements et des feux de végétation 29), le paiement d'une amende ou l'astreinte à des travaux forcés30.

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Ces sanctions n’ont pas pu être strictement appliquées, non seulement parce que l’État n’a pas les moyens de le faire, mais également parce qu’elles sont inadaptées au contexte local malgache. L'administration forestière est de ce fait obligée de recourir à d'autres outils afin de pallier ce manque.

2. Les différents statuts de gestion des forêts

Pour diverses raisons, en particulier à cause du manque de moyens financier et humain de l'administration forestière, cette dernière a doté de statuts spéciaux certains domaines forestiers. Ce sont entre autres le statut des réserves naturelles intégrales et des forêts classées et celui des aires protégées.

"Une Réserve Naturelle Intégrale (RNI) désigne une aire représentative d’un écosystème particulier, dont le but est de protéger des valeurs particulières, notamment biologiques et naturelles dans un périmètre délimité, tenant dûment compte des spécificités et coutumes malgaches" (MEFT, 2008). Les seules activités qui y sont acceptées sont la recherche, moyennant autorisation auprès des ministères concernés et des gestionnaires de l’aire protégée, et en conformité avec les droits de propriété intellectuelle. L'accès et l’utilisation des ressources naturelles sont interdits sauf à des fins de recherche ou à des rites très spécifiques agréés dans le plan de gestion. Les habitations humaines sont exclues lors de leur délimitation, ce qui laisse entrevoir le caractère très strict de leur protection. Ces RNI sont anciennes car les premières datent de 1928 (Maksim, 1989). Si les RNI ont constitué une catégorie spéciale pour les zones forestières malgaches, actuellement, elles font partie des aires protégées appartenant à la catégorie 1 des aires protégées dans le SAPM.

Un des statuts encore connu actuellement est celui de "forêts classées"31, institué la première fois en 1955 à Madagascar (décret n° 55-582 du 20 mai 1955 relatif à la protection des forêts

"(…) en cas d'infraction aux dispositions de la présente ordonnance, le délinquant arrêté sera conduit (…) au parquet qui, sans délai, remettra le dossier au magistrat de siège. Ce dernier statuera immédiatement par ordonnance sur l'incarcération du délinquant".

Article 34 de l'ordonnance n° 60-127 fixant le régime des défrichements et des feux de végétation : "tous les

cas de feu sauvage intentionnellement allumé ou provoqué seront punis d'un emprisonnement de cinq à dix ans".

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Article 34 bis de l'ordonnance n° 60-127 fixant le régime des défrichements et des feux de végétation : Les autres infractions à la présente ordonnance seront punies soit d'une amende de 15 000 à 300 000 francs et d'un emprisonnement de six mois à trois ans ou de l'une de ces deux peines seulement, soit d'un nombre de journées de travail à fournir à l'administration chargée des eaux te forêts, correspondant à l'amende encourue (…).

(Il est à noter que 1 ariary = 5 francs malgache)

31 Article 2 du décret n° 55-582 du 20 mai 1955 relatif à la protection des forêts dans les territoires d'Afrique

dans les territoires d'Afrique relevant du Ministre de la France d'Outre-Mer). Ce statut est donc ancien. Il met l’accent sur la protection des milieux, notamment sur la conservation et la restauration des sols. Le classement a été considéré comme la seule forme de mise en réserve des forêts, au début de son adoption à Madagascar (Madec, 1997).

La protection de ces forêts classées n'est pas aussi stricte que celle des réserves naturelles intégrales, car certaines activités sont acceptées dans les limites de ces zones spéciales (tombeaux, passage des populations riveraines, etc.). Les droits coutumiers des populations locales continuent à s'exercer dans les forêts classées (article 6 dudit décret). Les cultures peuvent également y être autorisées sous certaines conditions (article 9 dudit décret) : le reboisement et la restauration forestière32.

Actuellement, le statut de ces forêts continue encore à être évoqué par les agents de l'administration forestière. Il est également encore mentionné dans les législations actuelles comme dans la loi forestière de 199733. L'utilisation de ce statut constitue un atout pour l'administration forestière pour renforcer la nécessité de protéger des forêts déterminées. Le statut est également utilisé comme un argument par certains organismes de conservation pour asseoir la légitimité de leurs activités de protection stricte des ressources. Pour Didy, la forêt d'Ambohilero est toujours considérée comme une forêt classée. Ce statut permet à certains organismes de conservation de lutter pour la protection stricte de cette forêt en y interdisant toute exploitation des ressources forestières.

La restriction de l'accès à ces forêts incluses dans le contexte du SAPM renforce les sanctions déjà dictées par les règlementations en vigueur. Les sanctions communément évoquées pour la protection des ressources naturelles sont celles édictées par les lois et celles résultant de la mise en œuvre du statut particulier des ces ressources.

32 Article 9 du décret n° 55-582 du 20 mai 1955 relatif à la protection des forêts dans les territoires d'Afrique

relevant du Ministre de la France d'Outre-Mer : "L'autorisation de pratiquer des cultures itinérantes à

l'intérieur des forêts classées peut être accordée aux agriculteurs qui s'engagent à participer au reboisement en essences de valeur des surfaces défrichées"

33 Art. 12 de la loi n° 97-017 du 8 août 1997 portant révision de la législation forestière

- Sont notamment soumis au régime forestier, dès I'entrée en vigueur de la présente loi, compte tenu des dispositions particulières des conventions internationales :

les forêts naturelles telles que les réserves naturelles intégrales, parcs nationaux, réserves speciales, forêts classées, les forêts domaniales, les réserves forestières ;

B. Gestion adaptée aux pratiques locales

Afin de pallier l'inefficacité des modes de gestion centralisés et exclusifs des ressources naturelles, l'administration forestière a recours à d'autres sanctions. Ce sont les vonodina relatifs au dina, et les contrats considérés comme des alternatives aux sanctions. Le contrat peut, à lui-seul, constituer une alternative aux sanctions lorsque sa mise en place est mûrement réfléchie.

1. Le vonodina

Le dina est "une convention ou accord entre les membres d'une communauté déterminée [le fokonolona] où chaque membre doit marquer son adhésion par des serments ou des imprécations et dans laquelle des sanctions (Vonodina) ou malédictions sont prévues ou réservées à ceux qui ne respectent ou n'appliquent pas les termes convenus" (Razanabahiny, 1995). Le dina, une convention de création typiquement malgache, gère ainsi le fonctionnement de la société traditionnelle. À chaque dina sont associés des vonodina. Ces derniers sont des sanctions pécuniaires, appliquées, lorsque les membres de la communauté ne respectent pas les règles édictées par les dina34. Ces vonodina peuvent être de nature pécuniaire, ils peuvent également être plus radicaux : les membres de la communauté peuvent pas exemple se prononcer sur une expulsion de l'un des leurs, si ce dernier a commis des infractions graves, comme le cas de viol dans la région de Didy.

Les premiers dina sont apparus avec la construction de la société Merina sur les Hautes Terres centrales de Madagascar (Rarivomanantsoa et Jovelin, 2004). Ils n'étaient d’abord valides qu'au sein des lignages ou des clans, et visaient à prévoir et sanctionner surtout dans le domaine du foncier. Ensuite, sous l'impulsion d’Andrianampoinimerina (1787 – 1810), au moment de la construction de la digue d'Ikopa (Lejamble, 1972 ; Callet, 1974b), le dina a commencé à être également utilisé pour gérer des communautés villageoises, des hameaux, etc. Enfin, le dina a été mis en place pour imposer l'exécution de travaux communautaires au sein des villages, hameaux, etc. et pour sanctionner ceux qui n’y participaient pas. Ces dina, pour être applicables, doivent faire l'objet d'un joro ou d'un sacrifice.

34 Art. 3 de la loi n° 2001-004 du 25 octobre 2001 portant réglementation générale des dina en matière de

sécurité publique : La violation des règles édictées par le dina entraîne l'application du vonodina qui consiste en des réparations pécuniaires ou en nature au profit de la victime et du Fokonolona telles que prévues dans le dina.

Les dina traditionnels sont encore vivaces dans les communautés locales, dans la région de Didy et celle du Lac Alaotra. Ces dina sont mis en œuvre lorsque des membres de la communauté enfreignent les règles posées par les dina (Rafaralahimanana, 2008). Dans la région de Didy, le dina sur l'empiètement des kijana forestiers35 est encore en vigueur. Il consiste à sacrifier rituellement un zébu si le bétail d’un lignage a empiété sur le kijana d’un autre lignage. Mais, avec le coût élevé actuel de la vie, les pratiques ont été adaptées aux situations locales : on ne sacrifice plus les zébus que pour des infractions très importantes comme les vols des ossements des ancêtres. Un empiètement des kijana est sanctionné, mais le rituel se fait seulement avec du rhum traditionnel au lieu du zébu.

Étant donné que les dina sont les formes de régulation les plus appliquées au niveau local, ils ont été institutionnalisés pour rendre effectif le système de sanction. La loi n° 2001-004 du 25 octobre 2001 portant réglementation générale des dina en matière de sécurité publique est la base juridique qui permet de réaliser cette institutionnalisation. L'État peut réguler et contrôler l’ampliation des dina locaux. En effet, les dina doivent faire l'objet d'un agrément pour pouvoir être appliqués. Il en est de même pour les dina dans les contrats de transfert de gestion. Ces contrats ont ainsi pris la forme des dina36.

Les dina sont donc des sanctions tirées des conventions locales issues de pratiques locales et des traditions. Mais cela n'en fait pas des sanctions pleinement appliquées. Certains facteurs, surtout de nature sociale, font que leur application n’est pas toujours aisée. En effet, il est impossible de sanctionner un tangalamena dans le cadre d'un dina à cause de sa place dans la hiérarchie sociale. A Didy par exemple, un tangalamena a perturbé une assemblée générale de la Communauté Locale de Base (COBA). Le dina de la COBA stipule qu’une telle action est passible de sanction37, mais les membres du bureau exécutif se sont abstenus, se refusant d’infliger une peine à un tangalamena du fait de son statut social.

35 Les kijana sont des unités de gestion de l'espace sylvicole. Ce sont, par définition, des aires sylvo-agro-

pastoraux. Ils sont utilisés comme des aires de pâturage et de parcage pour les zébus lorsque ces derniers ne travaillent pas dans la plaine de Didy. Le fait d'envoyer les animaux dans la forêt épargne à leurs propriétaires le coût d'entretien de ces animaux ainsi que le coût de gardiennage. Les propriétaires des zébus se mettent en commun pour le contrôle des animaux. Le contrôle et la garde des animaux ne sont pas continus.

36 Article 49 à 53 de la loi nº 96-025 du 30 septembre 1996 relative à la gestion locale des ressources naturelles

renouvelables.

37 Article 11 du dina de la COBA de Beririnina : "mba hisian'ny fifanajana sy ny dinika mahomby dia saziana vonodina 2000 ar izay misotro toaka alohan'ny fivoriana rehetra, na ara-potoana na tsy ara-potoana, ka mamo na manakorontana" (pour le bon déroulement des réunions, toute personne ayant consommé de

2. Le contrat comme alternative à la sanction : cas de la loi Gelose

La loi et les sanctions prévues ne sont pas toujours totalement respectées, car elles ne sont pas obligatoirement connues par tous les membres de la communauté du fait du déficit d'informations arrivant à leur niveau. Pour y remédier, divers outils sont mis en place. Dans le domaine de la protection des ressources naturelles, la Gelose en fait partie (Karpe et Randrianarison, 2009).

Si la protection des ressources naturelles a toujours été une préoccupation pour les régimes qui se sont succédé à Madagascar, les actions entreprises ne se sont pas avérées totalement efficaces. Des outils sont ainsi nécessaires pour s'assurer de l’application des lois. Le contrat en est un. Ainsi, la Gelose est un contrat qui délègue la gestion des ressources à la communauté locale. Elle permet aux parties contractantes de négocier et d'avoir une forme particulière d'application de la loi.

L'objectif de ce contrat est le développement durable. Les moyens utilisés à cet effet sont : une fiscalité incitative38, des mesures d'accompagnement nécessaires au contrat39 et des formes particulières de sanction. Celles-ci ont alors recours aux pratiques traditionnelles et aux coutumes (plus particulièrement les dina), mais également aux conciliations.

Les contrats ont institué des règles qui peuvent être considérées comme des alternatives aux sanctions.

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Prévue par l'article 54 de la loi Gelose : " Les communautés de base agréées, bénéficiaires du transfert de gestion dans le cadre de la présente loi auront droit à certains avantages pour la commercialisation et la valorisation des ressources renouvelables et des produits dérivés".