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Chapitre 3 Travailleurs précaires et syndicats

3.2 Variables indépendantes

3.2.1 Logique d’adhésion

La logique d’adhésion est composée des éléments qui vont influencer la propension d’un travailleur à se syndiquer. En effet, les éléments qui suscitent un désir de syndicat chez les travailleurs ont aussi une influence sur la façon dont ceux-ci se comportent une fois la syndicalisation acquise. Les différents facteurs de la propension à la syndicalisation sont retenus dans notre modèle comme partie intégrante de la variable indépendante, car ils sont vus dans les publications scientifiques comme des facteurs influençant la participation (Barling, Fullagar et Kelloway, 1992 ; Paquet 2005).

La propension à la syndicalisation a été l’objet de nombreux travaux qui nous permettent de mieux cerner les circonstances dans lesquelles un salarié est enclin à désirer un syndicat (Fiorito et al. 1986; McClendon et al. 1998). Les facteurs constitutifs de la logique d’adhésion sont les caractéristiques personnelles des travailleurs, l’insatisfaction en emploi, l’attitude envers les syndicats, la perception de l’instrumentalité du syndicat et la perception de l’opposition patronale à la syndicalisation.

Caractéristiques personnelles des travailleurs

Les études sur la propension à la syndicalisation de la main-d’œuvre incluent fréquemment les caractéristiques personnelles (sexe, âge, niveau d’éducation, etc.) dans leurs modèles afin de déterminer dans quelle mesure ces caractéristiques influent sur la propension à la syndicalisation.

Comparativement, on observe que les femmes ont une propension légèrement plus faible à la syndicalisation que les hommes (Fiorito et Greer 1986; Schur et Kruse 1992, Institut de la Statistique du Québec 2014b). De plus, et bien que la différence se soit estompée avec le temps, les travailleurs âgés de moins de 34 ans ont un taux de syndicalisation moins grand les travailleurs âgés et 35 à 54 ans (Institut de la Statistique du Québec 2014b). Enfin, la propension à la syndicalisation décroit plus le salaire est élevé (Bergeron 1994; Bergeron et Renaud 2000). Il s’agirait cependant, comme l’expliquent Fiorito et al. (1986) de variables proxys jouant plutôt un rôle sur d’autres facteurs de désir de syndicalisation, notamment des facteurs structurels.

Insatisfaction en emploi

L’insatisfaction en emploi est considérée comme une variable déterminante de la volonté de syndicalisation des travailleurs (Lorrain et Brunet 1984; Wheeler 1985; Bergeron 1994). Il existe en effet une forte corrélation négative entre la propension à la syndicalisation et la satisfaction au travail (Fiorito et al. 1986).

Bergeron (1994) ainsi que Bergeron et Renaud (2000) distinguent la satisfaction intrinsèque et la satisfaction extrinsèque. La satisfaction intrinsèque correspond aux caractéristiques des tâches du salarié. L’autonomie au travail, le fait de comprendre le rôle de sa tâche dans le processus de production et la variété du travail sont autant d’éléments de la satisfaction intrinsèque qui limiteront la volonté de syndicalisation chez un salarié (Fiorito et al. 1986). Les éléments constitutifs de la satisfaction extrinsèque sont quant à eux ce que l’on retire concrètement du travail : rémunération, avantages sociaux, sécurité de l’emploi, procédures de grief disponibles et chances de promotion (Bergeron 1994).

Attitude envers les syndicats

Un sentiment positif à l’égard du monde syndical est un facteur important pour que le désir de syndicalisation se manifeste (Bergeron 1994; Lorrain et Brunet 1984; Wheeler 1985). La vision qu’a un salarié du syndicat est tout d’abord conditionnée par son environnement social. Une personne dont la famille et les amis sont globalement favorables au syndicalisme est plus encline à développer une vision positive du syndicat, ce qui pourra accroitre sa propension à la syndicalisation (Fiorito et al. 1986; Collovald et Mathieu 2009). En d’autres termes, si l’individu connait des exemples, tirés de la vie personnelle ou de celle de ses proches, démontrant l’efficacité d’un syndicat, il aura plus tendance à considérer un syndicat comme un outil utile (Bergeron 1994). Sur le lieu de travail, la perception du syndicat peut aussi être influencée par l’attitude des collègues de travail face au syndicalisme (Lowe 1981; Collovald et Mathieu 2009).

Perception par le travailleur de l’instrumentalité syndicale

Le sentiment que le syndicat est un outil utile pour le salarié est déterminé par le jugement de ce dernier sur la capacité du syndicat à agir sur les causes de son insatisfaction au travail (Fiorito et al. 1986; Bergeron et Renaud 2000). Se demander si le syndicat est utile revient pour le travailleur à effectuer un arbitrage entre les couts possibles de la syndicalisation (perte de salaire, dépense de temps et d’énergie, potentielles sanctions de la direction) et les bénéfices (hausse de salaire, avantages sociaux, etc.) qu’il pense en tirer (Kelly 1998).

En plus de la vision que porte le salarié sur l’efficacité, de son syndicat, sa perception de l’instrumentalité syndicale est aussi influencée par des solutions alternatives à la voie syndicale. Si les salariés peuvent agir contre leur insatisfaction en vertu des lois du travail en vigueur (Bergeron 1994) ou en utilisant le pouvoir que leur confère leur occupation (Bergeron et Renaud 2000), la voie syndicale sera potentiellement perçue comme moins utile.

Perception des stratégies patronales antisyndicales

Si un employeur ne décide pas d’accepter le syndicat et de collaborer avec lui, il peut avoir recours à des stratégies visant à limiter la propension à la syndicalisation de ses employés ou à limiter le pouvoir d’un syndicat déjà en place. L’opposition patronale au syndicat figure parmi les couts pris en compte par les travailleurs lors de l’évaluation de l’instrumentalité du syndicat pour déterminer si l’engagement personnel dans l’action collective comporte plus d’avantages que de risques (Seeber 1981). Une forte opposition patronale fera augmenter le cout de la syndicalisation, ce qui pourra convaincre certains travailleurs à ne pas s’engager dans la mobilisation. Afin d’étudier ces stratégies antisyndicales, nous retiendrons la typologie de Laroche, Bernier et Dupuis (2015). La figure 3 à la page suivante présente cette typologie.

La direction d’une entreprise peut opter pour des stratégies d’opposition qui se divisent en deux volets, la substitution et la suppression. Le premier volet cherche plutôt à limiter l’envie de syndicalisation par l’augmentation des bénéfices à la non- syndicalisation alors que le second cherche à augmenter le cout de la syndicalisation et de l’utilisation des services syndicaux pour les salariés (Gall 2004). Une stratégie antisyndicale comportera typiquement des aspects relatifs à ces deux volets.

Les stratégies de substitution consistent à réduire le sentiment d’instrumentalité syndicale en améliorant les conditions d’emploi et les canaux de communication afin que les griefs des salariés restent sous le contrôle de l’organisation (Dundon et Gollan 2007).

Figure 3 : Typologie des stratégies patronales antisyndicales

Les stratégies de substitution se découpent en deux types. Dans le cas des stratégies de cooptation, les politiques de gestion des ressources humaines considérées innovantes, telle qu’un système formel de plaintes, un plan de partage des bénéfices, une autonomie accrue des équipes de travail ou la flexibilité des horaires sont mises en place afin de décroitre l’utilité du syndicat quant à l’amélioration des conditions de travail (Kochan et al. 1986 ; Bergeron 1994). Dans le cas des stratégies de contrôle, l’employeur met en place une politique lui permettant un plus grand contrôle des agissements du syndicat (Laroche, Bernier et Dupuis 2015). Pour le faire, l’employeur peut mettre en place un syndicat complice (Cooper et al. 2009) ou un syndicat plus modéré permettant la signature d’un accord favorable à l’employeur (Dundon 2002).

Alors que les stratégies de substitution consistent à réduire l’utilité du syndicat, les stratégies de suppression cherchent à augmenter le cout de l’utilisation des services syndicaux pour les travailleurs (Dundon et Golan 2007). Elles se découpent elles aussi en deux types, avec d’un côté la peur et de l’autre le blocage. La peur peut être utilisée

pour inhiber les salariés (McClendon et al. 1998; Dundon 2002), typiquement en menaçant de licenciement ou de fermeture d’établissement (Bronfenbrenner 1996). Les stratégies de peur peuvent aller jusqu'à la surveillance, la menace physique ou le harcèlement des personnes impliquées dans le syndicat (Laroche et Bernier 2016 ; Bronfenbrenner 1996).

Les manœuvres de blocage consistent quant à elles à retarder le processus d’accréditation syndicale, de négociation de la convention collective ou de traitement des demandes du syndicat, ce qui a tendance à faire baisser le pouvoir du syndicat et à susciter de la frustration et de la démotivation parmi les salariés (Dundon 2002; Boivin 2010).

La logique d’adhésion nous permet de résumer la situation dans laquelle se trouvent les travailleurs vis-à-vis de leur situation de travail. Y sont incorporés tous les éléments qui, comme nous venons de le voir, ont une influence sur la manière dont les travailleurs peuvent interagir avec leur syndicat. Cependant, le syndicat n’est pas passif et, à défaut d’agir directement sur la situation de travail, ce dernier a accès à des leviers d’action pour favoriser la participation de ces membres. Ces leviers, regroupés en un ensemble appelé logique de participation représentent la deuxième composante de notre variable indépendante.