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L’action collective des travailleurs précaires

Chapitre 2 Travail précaire et action collective

2.3 L’action collective des travailleurs précaires

Afin d’agir contre les causes de la précarité évoquées dans le premier chapitre, des travailleurs se mobilisent afin d’obtenir de meilleures protections face à leurs conditions d’emploi.

Déterminer si les travailleurs en situation de précarité se mobilisent d’une manière différente que les travailleurs aux conditions d’emploi traditionnelles est l’un des principaux objectifs de notre recherche. On peut cependant dès à présent identifier plusieurs éléments caractéristiques des travailleurs précaires qui pourront venir teinter la façon dont ces derniers se mobilisent. Nous identifions trois éléments principaux avec lesquels des travailleurs précaires de nos deux cas doivent composer dans leur vie

syndicale : les phénomènes d’exit et de silence, la nature du syndicalisme au Québec et les problématiques inhérentes aux travailleurs précaires.

2.3.1 Exit et silence

La mobilisation, c’est-à-dire le processus par lequel un groupe obtient les ressources nécessaires à la mise en place d’une action collective, est un processus se déroulant en plusieurs étapes et où il est fait plusieurs fois appel à l’arbitrage des individus pour savoir si ceux-ci souhaitent s’engager davantage ou non (Kelly 1998). Un travailleur est enclin à s’engager et se mobiliser en vue d’une action collective s’il pense que les gains de l’action collective seront plus élevés que les couts associés à la mobilisation.

Cependant, dans tous les cas de figure, le salarié a le choix de partir, de quitter l’entreprise dans l’espoir de trouver des conditions d’emploi au moins équivalentes dans un autre milieu de travail (Dufour-Poirier et Laroche 2015). Un travailleur peut également décider de ne rien faire et de « souffrir en silence » (Donaghey et al. 2011). Ces stratégies dites d’exit et de silence peuvent potentiellement saper la volonté de mobilisation au sein d’un collectif de travail, car il se peut que les salariés optent pour la stratégie d’exit plutôt que d’opter pour une mobilisation aux couts importants et aux gains incertains. L’employeur peut d’ailleurs prendre avantage de cet état de fait en suscitant de la frustration chez les salariés dans les périodes de mobilisation ou de négociation collective afin d’éroder la motivation des salariés et le pouvoir du syndicat (Dundon 2002; Boivin 2010).

2.3.2 La nature du syndicalisme et des relations de travail au Québec

Un autre aspect problématique quand il s’agit pour les travailleurs précaires de faire entendre leurs voix pour obtenir de meilleures conditions de travail vient de la structure même des relations de travail au Québec, et plus généralement en Amérique du Nord. En effet, même si les interactions entre les acteurs du monde du travail et le législateur existent, les relations de travail sont principalement vues comme étant un sujet dont l’ampleur ne dépasse pas les murs de l’entreprise (Boivin 2010). Dans ce cas de figure,

l’État n’assure que le cadre procédural des relations de travail ainsi que les conditions de travail minimales (Coiquaud 2011).

Or, comme nous le verrons dans le prochain paragraphe, cette organisation des relations de travail n’est pas adaptée aux nouvelles réalités de l’emploi atypique dont les causes et les conséquences sortent du cadre classique des relations de travail internes à l’entreprise pour venir toucher des sujets au cadre plus large (Pinard 2011b).

De plus, le statut atypique de certains travailleurs peut empêcher ces derniers de bénéficier du droit à la syndicalisation (Coiquaud 2011). Le manque de couverture syndicale peut donc s’avérer un problème pour les travailleurs précaires. Même si ceux- ci ont la possibilité d’être syndiqués, les choix stratégiques de la part d’un syndicat peuvent s’opposer à la syndicalisation. Il peut en effet exister au sein d’un syndicat une tension entre le choix de s’intéresser uniquement à ses membres traditionnels, des

insiders aux conditions d’emploi standards, ou alors essayer d’aller chercher des outsiders aux conditions d’emploi plus atypiques (Pulignano et Signoretti 2015).

Gorodzeisky et Richards (2013) montrent de leur côté que, stratégiquement, les syndicats n’ont pas toujours intérêt à se tourner vers les travailleurs précaires. L’étude des auteurs, qui porte sur la syndicalisation des travailleurs migrants, suggère que des facteurs organisationnels peuvent dissuader les syndicats de chercher de nouveaux adhérents dans des milieux moins syndiqués. Pour le dire autrement, si le syndicat n’a pas besoin de recruter de nouveaux membres pour gagner en force et en légitimité, les efforts mis dans la syndicalisation d’outsiders pourront être vus comme ne valant pas la peine d’être déployés.

2.3.3 Problématiques inhérentes aux précaires

Comme on l’a vu, la plupart des problématiques inhérentes aux travailleurs précaires, telles que le bas salaire, la discontinuité d’activité, l’incertitude des horaires ou le manque de protection sociale, représentent des enjeux qui, par leur ampleur, sortent en partie du cadre des relations de travail classiques et les principaux facteurs de précarité pourraient trouver leurs solutions dans des actions gouvernementales.

Dans ce contexte, les syndicats doivent alors faire preuve d’innovation pour, en plus de négocier les conditions de travail au niveau de l’entreprise ou de l’établissement, aller chercher une solidarité étendue à l’ensemble de la société pour obtenir des changements législatifs afin de contribuer à l’établissement de meilleures garanties pour les travailleurs atypiques. Ces nouvelles stratégies peuvent inclure des actions qui diffèrent des moyens de pression habituels : appel au boycottage, occupation de bâtiments, création d’espaces de travail commun pour les travailleurs indépendants (Mattoni et Vogiatzoglou 2014).

Le mouvement Fight for 15 est une illustration de ces nouvelles pratiques syndicales cherchant à s’adapter aux enjeux concernant les travailleurs précaires. Le mouvement

Fight for 15 a débuté en 2012 parmi les employés de restauration rapide dans la région

de New York avant de s’étendre à de nombreuses villes et régions des États-Unis et du Canada.

Le mouvement initialement créé par le syndicat américain Service Employees

International Union incite les salariés travaillant au salaire minimum à se mettre en

grève afin de faire pression sur les entreprises et les politiques pour une augmentation progressive du salaire minimum jusqu’à 15 dollars par heure. Cet objectif a déjà été accompli dans les états de New York et de Californie puisque des lois y ont été votées afin d’augmenter progressivement le salaire minimum jusqu’à 15 dollars par heure. Au Québec, la FTQ et Québec Solidaire se sont clairement prononcés en faveur d’un salaire horaire minimum à 15 dollars (FTQ 2016 ; Québec Solidaire 2016).

2.4 Conclusion de chapitre

Le deuxième chapitre de ce mémoire nous aura principalement permis de mettre en lumière les principaux enjeux qui touchent les travailleurs précaires en ce qui concerne la mobilisation et l’action collective.

La précarité en emploi représente un enjeu important dans la société actuelle. Les formes de travail précaire se sont diversifiées avec le temps, et chaque groupe de travailleurs précaires le sera à sa manière. Cet état de fait rend difficile l’organisation et

la lutte syndicale contre le phénomène. Mais l’organisation collective des travailleurs précaires n’en demeure pas moins une voie efficace de changement pour limiter les facteurs de précarité.

Mieux connaitre les caractéristiques des membres dans le contexte de l’emploi précaire apparait ainsi comme un élément important si un syndicat souhaite mettre en place des stratégies efficaces pour contribuer à l’amélioration des conditions d’emploi des travailleurs précaires.

Il convient dès lors de dresser un inventaire des éléments théoriques qui seront utiles à la compréhension des mécanismes à l’œuvre lors de la participation des travailleurs précaires à la vie de leur syndicat.

Chapitre 3 - Travailleurs précaires et syndicats