• Aucun résultat trouvé

Comparaison de la participation entre les deux cas

Chapitre 7 Discussion des résultats

7.1 Comparaison de la participation entre les deux cas

Nous commencerons l’interprétation de nos résultats par la comparaison de la nature et du niveau de participation dans les deux cas. Nous pouvons d’emblée préciser que dans tous les indicateurs utilisés, à l’exception des activités individuelles, la participation des membres à la vie syndicale locale est supérieure dans le cas A comparé au cas B : Les travailleurs du cas A viennent plus nombreux aux réunions officielles, y posent plus de questions et formulent plus de propositions ; ils organisent et participent plus fréquemment à des activités informelles avec d’autres membres ; ils n’hésitent pas à formuler un grief si la situation l’impose. Enfin, certains d’entre eux manifestent le désir de devenir délégué syndical et de prendre part à l’administration du syndicat.

Nous allons maintenant passer en revue divers phénomènes qu’implique ce différentiel de participation.

Cohésion de groupe

Pour reprendre l’idée de cohésion de groupe de Nahapiet et Ghoshal (1998) présentée au chapitre 3, le cas A semble présenter une cohésion de groupe supérieure au cas B pour pratiquement tous les aspects observés et pris en compte : Les relations interpersonnelles sont plus nombreuses, plus inclusives et les rencontres informelles qui sont aussi plus fréquentes. Le fait que le cas A ne soit constitué que d’un établissement possédant cinq délégués syndicaux permet de palier à la disparité des

horaires de travail, car les délégués peuvent s’arranger pour qu’au moins l’un d’entre eux soit présent. Un délégué nous a de plus signalé qu’il s’était arrangé avec le gérant de la succursale pour être parfois présent dans l’établissement en dehors de ses horaires de travail, afin d’assurer une permanence et de répondre si besoin est aux interrogations de ses collègues.

Le premier effet de cette intensité de relations interpersonnelles est l’organisation bien plus fréquente d’événements informels. Alors que les salariés du cas B organisent un événement annuel avec un nombre restreint de collègues, les salariés du cas A se rencontrent après le travail de manière très régulière, plusieurs fois par mois. La fréquence de ces rencontres ainsi que leur nature (aller simplement boire un verre après le travail) rend plus facile l’intégration des nouveaux venus au collectif de travail : On peut en effet imaginer qu’il soit moins intimidant pour un nouvel employé de rejoindre ses collègues dans un bar une fois son quart de travail terminé plutôt que de se rentre en fin de semaine au domicile d’un collègue pour y passer l’après-midi. Ce genre de rencontre, dont le but premier échappe à toute perspective syndicale, semble tout de même être subtilement récupérée par les délégués syndicaux pour cimenter le collectif de travail contre l’employeur et faire avancer les causes syndicales.

Activités individuelles

Un autre résultat notable de notre enquête est la quasi totale absence des activités individuelles dans nos deux cas. Les activités individuelles correspondent aux comportements qu’un travailleur syndiqué va adopter de son propre chef, ce qui correspond par exemple à chercher soi-même de l’information sur la convention collective ou les règles du travail en vigueur.

On remarque que dans nos deux études de cas, les travailleurs n’effectuent pour ainsi dire aucune action spontanément : Bien qu’une copie de la convention collective soit disponible sur le lieu de travail et que des actualités récentes soient affichées sur le babillard syndical, les travailleurs de nos deux unités d’accréditation auront toujours le réflexe de venir voir le délégué syndical à la place, même pour des questions simples à la solution facilement trouvable :

« Le thème le plus souvent abordé, c’est les horaires. Je pense que 3 questions que j’ai sur 4 sont sur les horaires. ‘‘Est-ce que la direction a le droit de faire ça?’’ ‘‘Comment je fais pour déposer un congé ?’’… Je connais a peu près mot pour mot la clause sur les horaires et les demandes de congé. »

Délégué syndical 2, cas B

Prenant cet état de fait en considération, il apparait important pour un syndicat d’être actif dans la diffusion de l’information. Puisque les membres ne viennent pas chercher l’information d’eux-mêmes, il faut s’assurer que l’information arrive à eux. Ce genre de service de proximité semble être un des facteurs décisifs dans la participation syndicale des travailleurs du cas A, comme nous le verrons dans la prochaine section de ce chapitre.

Utilisation des services

La plus grande utilisation des services dans le cas A peut être en partie attribuée à la plus grande intensité des relations interpersonnelles et aux liens de confiance plus forts qui existent entre le délégué et ses membres. En effet, l’organisation de petits événements informels et l’établissement d’un lien de confiance personnelle fort entre un délégué et un membre constituent un terreau fertile pour une meilleure collaboration dans le domaine syndical.

Ce climat de confiance a des répercutions importantes sur l’utilisation des services syndicaux : un membre qui connait bien son délégué et qui lui fait confiance, comme dans le cas A, sera bien plus enclin à venir signaler des problèmes, voire même formuler un grief ou témoigner en commission des relations de travail au besoin. À l’inverse, on constate dans le cas B, où un tel lien de confiance n’existe pas, qu’il existe bien plus de réticences de la part des salariés de donner suite au signalement d’un problème, que ce soit simplement en parler à l’employeur ou formaliser la plainte en grief.

Démocratie syndicale

L’idée déjà évoquée dans les chapitres 3 et 4 portant sur notre modèle théorique comme quoi la démocratie syndicale ne peut être aboutie que dans le cas d’une vraie

participation de la part des membres se trouve confortée lorsque l’on mène la comparaison entre nos deux cas.

De par leur taux de participation très fort aux diverses assemblées organisées et aux sondages, les salariés du cas A prennent pleinement part aux décisions stratégiques du syndicat. Ainsi, le cahier de demandes en vue de la renégociation de la convention collective prévue pour la fin de l’année 2018 a initialement été élaboré à l’aide des réponses à un sondage en ligne dont le taux de participation avoisine les 50%.

Comprenant plus de 40 questions, le sondage en ligne aborde les plus gros enjeux actuellement présents sur le plancher de travail. De nombreuses questions sont des questions ouvertes pour lesquelles les réponses sont parfois longues et détaillées. Le document demande de plus directement aux membres quelles seraient leurs suggestions pour la nouvelle convention collective. Une fois la première ébauche de cahier de demandes émise, le dialogue entre les délégués et la base reste constant avant de soumettre un document en vote à l’assemblée générale. À notre connaissance une telle mesure n’avait pas été mise en place dans le collectif de travail du cas B alors de la dernière période de négociation collective.

L’ensemble du processus a pris deux mois, pendant lesquels les délégués et la conseillère syndicale ont ajusté le cahier de demandes en fonction des nouveaux éléments à prendre en compte. Une fois soumise au vote en assemblée générale, le cahier n’a soulevé que quelques demandes de précisions avant d’être adopté à l’unanimité.

Cependant, il est à souligner que ce genre de démarche ne peut être entreprise avec succès que dans le cas où la base syndicale est déjà active et engagée. De l’aveu même des délégués et du conseiller syndical du cas B, un tel sondage se serait révélé inefficace en ce qui les concerne, car le taux de participation trop faible n’aurait pas permis de tirer des conclusions valides.