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Confirmation des éléments de théorie classique

Chapitre 7 Discussion des résultats

7.3 Retour sur le modèle théorique

7.3.2 Confirmation des éléments de théorie classique

L'idée derrière notre recherche était d'appliquer des éléments de théorie classique à une situation de précarité en emploi. Le but étant à la fois d’étudier la dynamique derrière la participation syndicale des travailleurs en situation de précarité d’emploi, mais également de voir quels éléments connus des théories sur la participation des travailleurs traditionnels peuvent également s’appliquer aux précaires. Nous allons donc maintenant passer en revue les éléments que nous avons observés qui correspondent à des phénomènes également visibles dans le cas d’une main d’œuvre ne présentant pas de signe de précarité de l’emploi.

Nécessité de la participation des membres

Nous avons vu dans le chapitre 3 que de nombreux auteurs (Gordon et al. 1980 ; Barling, Fullagar et Kelloway 1992 ; Paquet et Bergeron 1995) soulignent l’importance de la participation des membres à la vie de leur syndicat. Sans cette participation, le syndicat ne saurait être efficace et ne serait pas en mesure d’améliorer concrètement et durablement les conditions de travail de ses membres.

L’importance primordiale de la participation de la base a été confirmée sans réserve par tous les acteurs interrogés dans le cadre de notre étude. Comme nous l’a confié un des deux conseillers syndicaux interrogés :

« C’est la clé. Intéresser les gens au syndicat permet de leur faire comprendre la logique derrière les actions et les manœuvres des syndicats. […] Les infos sont parfois dures à obtenir, il faudrait avoir de l’information lorsqu’elle est sollicitée, mais aussi il faut qu’elle vienne spontanément. »

Délégué syndical, cas A

De son côté, le syndicat sert de support technique et juridique. Il peut apporter son expertise, mais la participation des membres reste essentielle, puisque ce sont ces derniers qui doivent orienter les actions des syndicats sur des problèmes qu’ils considèrent les plus importants :

« […] s’il n’y a pas de participation, [les membres] ne prennent pas part aux décisions et ils ne vont pas remontrer les informations. Comme le syndicat n’est pas sur place il faut absolument que les membres le disent, sinon le syndicat ne peut rien faire. »

- Présidente de la section locale

Enfin en période de négociation, bien que le syndicat soit là pour apporter une aide logistique, il incombe aux membres de prendre part nombreux aux moyens de pression préconisés afin de dénoter une certaine efficacité.

Prédominance dans la perception des conditions de travail

Comme nous l’avons déjà évoqué, le désir de syndicalisation pour un groupe de travail sera conditionné par ses conditions de travail. Si celles-ci sont bonnes, les salariés ne formuleront pas la volonté de les améliorer via le processus syndical.

Cependant nous avons également vu que selon Gottleib et Copping (1998), ce n’est pas tant les conditions de travail qui importent que la manière dont celles-ci sont perçues par le collectif de travail. Cet élément de théorie classique se voit confirmé dans notre recherche, car nous avons constaté que les deux collectifs de travail étudiés se caractérisent par des conditions de travail très similaires. Un des premiers facteurs à déterminer le niveau de participation est donc la perception des conditions de travail : dans un cas, elles sont considérées comme acceptables, avec des avantages qui viennent compenser les désavantages, et dans l’autre, elles sont considérées comme mauvaises et génératrices de problèmes personnels pour certains salariés, ce qui a contribué à une plus haut niveau participation syndicale.

Importance de l’instrumentalité syndicale

Une fois les conditions de travail perçues comme mauvaises, le désir de syndicalisation se manifestera si le syndicat est vu comme une ressource utile pouvant effectivement apporter des améliorations dans les conditions de travail.

Là aussi notre étude illustre ce point de théorie classique, car nous avons dans l’exemple du cas B un collectif de travail étant déjà passé par plusieurs âpres batailles

syndicales ayant débouché sur des grèves et un lockout, avant toutefois parvenir à obtenir des améliorations significatives dans certains domaines clés de la négociation, tels que la rémunération. Dans ce cas, les membres du collectif sont conscients des limitations du syndicat dans sa capacité à améliorer les conditions de travail, et on constate que cet état de fait s’accompagne d’une participation syndicale faible.

À l’inverse, en ce qui concerne le cas A, la syndicalisation est un événement bien plus récent, et la seule négociation collective menée jusque là, en 2015, peut être vue par les membres comme étant une victoire pour leur collectif. Le sentiment d’utilité du syndicat se trouve donc renforcé, ce qui contribue à une participation syndicale accrue par rapport au cas B.

Stratégies antisyndicales aux effets escomptés

Une autre confirmation des éléments théoriques déjà avancés concerne la prévisibilité des effets des actions antisyndicales de la part de la direction en fonction de la nature de celles-ci. En effet, à l'aide de la typologie de Laroche, Bernier et Dupuis (2015), il est possible de prédire quel sera l’effet d’une mesure antisyndicale donnée. On constate que ces prévisions peuvent s’avérer correctes, car en ce qui concerne le cas B, les stratégies mises en place par la direction ont eu l’effet escompté.

Une stratégie de type blocage consiste à susciter de la frustration chez les salariés en adoptant une attitude non coopérative. Pendant des années, la direction du cas B a refusé tout dialogue hors négociation avec le syndicat, et s’opposait systématiquement à toute demande formulée par le collectif de travail. Cette attitude a pu contribuer à la vision fataliste que membres du collectif ont adopté, et qui consiste à dire qu’il n’est pas possible de faire évoluer les conditions de travail dans le bon sens. Les manœuvres de contrôle qui ont également été évoquées par l’un des délégués interrogés peuvent là aussi diminuer la portée des actions des délégués syndicaux vis-à-vis de leurs membres.

On remarque cependant que les stratégies antisyndicales peuvent s’avérer à double tranchant pour la direction de l’entreprise, comme nous le verrons dans la prochaine section consacrée à l’infirmation des éléments de théorie classique.

Orientation de l’identité du groupe vers une opposition à la direction

Une autre différence entre nos deux cas qui fait écho aux théories classiques concerne la formation de l’identité du groupe, et son orientation. Sainsaulieu (2014) rapporte qu’une fois l’identité du groupe formée, un des dénominateurs communs aux membres doit trouver sa source dans la situation de travail. Pour que ce sentiment d’identité soit également efficace pour susciter de la participation syndicale, il faudrait que le collectif de travail se cimente autour d’une opposition de type « nous » contre « eux » avec la direction.

En ce qui concerne nos deux cas d’étude, on se rend compte que le collectif de travail ne s’est pas initialement formé dans un esprit d’opposition à la direction, mais qu’en ce qui concerne le cas A, le sentiment d’opposition a pu être suscité par le syndicat avec plus de succès que dans le cas B.

Comme déjà évoqué, de nombreux éléments démontrent que la formation d’une identité collective forte est bien plus aboutie en ce qui concerne le cas A : identité cantonnée à un seul établissement où tous les membres se côtoient, opposition de type « nous » contre « eux », utilisation de ressources narratives. Les théories classiques de l’identité collectives prévoient que cette situation engendrera un plus haut taux de participation syndicale, et c’est en effet ce que nous avons pu constater sur le terrain.