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Localisation d’Anderson dans les atomes froids

1.5 Conclusion

2.1.4 Localisation d’Anderson dans les atomes froids

C’est dans ce contexte qu’il a été proposé pour la première fois en 2003 de réaliser des études sur la localisation d’Anderson dans les atomes froids [39]. Plusieurs groupes, dont le groupe d’Optique Atomique à Orsay, se sont alors lancés dans la "quête" de la localisation d’Anderson d’ondes de matière créées à partir de condensats de Bose-Einstein.

2.1.4.1 Les atomes froids : un système très bien contrôlé

Comme nous l’avons déjà mentionné en introduction, les condensats sont bien adaptés à l’étude des problèmes de la matière condensée, et en particulier à l’étude de la localisation d’Anderson. Ces systèmes sont remarquablement bien

contrôlés, peuvent être obtenus dans des géométries variées (1D, 2D, 3D, réseaux) et observés à l’aide de différentes techniques [6] : la possibilité d’imager direc- tement leur fonction d’onde est ainsi particulièrement intéressante pour l’étude de la localisation d’Anderson. Ils offrent aussi un bon contrôle des interactions inter-atomiques via les résonances de Feshbach [5] ou par modification de la den- sité spatiale du gaz. Enfin, il est possible de créer des potentiels désordonnés contrôlés et sans phonons, en particulier à l’aide de potentiels lumineux [49]3.

Ces derniers peuvent par exemple être obtenus en faisant l’image d’une surface rugueuse sur les atomes [42]. Néanmoins cette technique nécessite d’utiliser un très bon système d’imagerie. On peut aussi réaliser le potentiel désordonné à l’aide d’un champ de speckle [134]. Cette technique a déjà été utilisée [43, 44]. C’est aussi celle que nous utilisons : nous reviendrons ultérieurement sur ses pro- priétés (§.2.3). Enfin, il est possible de créer un "pseudo-désordre" en réalisant des réseaux optiques bichromatiques : ceux-ci sont obtenus en superposant deux réseaux optiques de longueurs d’ondes incommensurables et d’amplitudes très différentes [135].

2.1.4.2 "Quête de la localisation d’Anderson"

Après une première réalisation de condensats en présence de désordre [136], plusieurs tentatives expérimentales, utilisant comme onde de matière un conden- sat de Bose-Einstein en expansion dans un guide, ont alors eu lieu en 2005 à Hannovre, Florence et Orsay [42–44]. Ces expériences n’ont néanmoins pas per- mis l’observation de la localisation d’Anderson, en partie en raison d’interactions inter-atomiques trop importantes. Elles ont suscité un intense travail théorique que ce soit dans des systèmes unidimensionnels [46, 49, 50] ou en dimensions supérieures [45, 47, 48, 51].

Finalement, la localisation d’Anderson a été observée en 2008 à Florence et Orsay dans des systèmes 1D exempts d’interactions [52, 53]. Si la décroissance exponentielle des fonctions d’ondes localisées a été observée dans ces deux expé- riences, les systèmes utilisés sont toutefois différents et complémentaires :

- l’équipe de Florence a créé un fort désordre à l’aide d’un réseau bichro- matique et est parvenue à supprimer les interactions à l’aide de résonance de

3D’autres méthodes peuvent être envisagées : les potentiels désordonnés peuvent par

exemple être créés magnétiquement en utilisant la rugosité propre aux fils conducteurs à la surface d’une puce atomique [131] ou à l’aide d’antennes radio-fréquence [132]. Néanmoins, il est difficile de connaître précisément les propriétés statistiques des potentiels aléatoires ainsi réalisés. Il a aussi été proposé [133] de créer un potentiel aléatoire en utilisant deux espèces atomiques interagissant l’une avec l’autre en présence d’un réseau : l’idée est de créer un réseau optique d’amplitude élevée pour l’une des espèces atomiques et d’amplitude quasi-nulle pour l’autre espèce. Ainsi les atomes de la première espèce, placés aléatoirement dans les différents puits du réseau, sont vues comme des impuretés par les atomes de la seconde espèce. Les récentes réalisations de mélanges d’espèces dans des réseaux [15–17] vont dans ce sens.

2.1 Localisation d’onde dans le désordre 59

Feshbach. L’expérience ainsi réalisée se rapproche du modèle d’Anderson dans le sens que les atomes se propagent dans un réseau principal dont les énergies sur site sont perturbées par la présence d’un deuxième réseau d’amplitude faible. Néanmoins, ce système, décrit par l’hamiltonien d’Aubry-André [137], présente une transition de phase entre un régime diffusif et un régime de localisation, même en 1D [53].

- sur notre expérience, nous avons utilisé un condensat très dilué pour sup- primer les interactions. Nous avons alors observé la localisation d’Anderson en laissant l’onde de matière, créée par le condensat en expansion dans un guide d’onde 1D, se propager sur de grandes distances en présence d’un désordre (créé par un speckle) faible [52]. Ce travail sera présenté en détails dans la suite.

Il paraît clair que ces deux expériences sont le point de départ à des études expérimentales de la localisation d’Anderson en dimensions supérieures : à 2D [45, 47] et surtout à 3D [48, 51] où elles pourraient permettre de répondre aux questions qui restent ouvertes, à savoir la position exacte du mobility edge et la valeur des exposants critiques.

Enfin, pour être le plus complet possible, signalons que des expériences ont été menées avec des atomes froids pour étudier le phénomène dit de localisa- tion dynamique dans des systèmes de rotateurs forcés (kicked-rotor systems) à 1D [40] et à 3D [41]. Il existe en effet une correspondance entre la localisation d’Anderson 1D et le comportement d’un "kicked rotor" quantique excité à une fréquence particulière, pour lequel une localisation est observée dans l’espace des impulsions. Par ailleurs, il a été montré que l’analogue 3D d’un tel système, ob- tenu par l’ajout de fréquences d’excitation supplémentaires, est substantiellement équivalent au modèle d’Anderson 3D [138]. L’expérience réalisée à Lille [41] a en particulier permis de déterminer des exposants critiques (ν ≈ 1.4) très proches des résultats obtenus par des simulations numériques.

2.1.4.3 Désordre et interactions

Comme nous l’avons mentionné auparavant, la localisation d’Anderson consi- dère des particules sans interactions et est donc intrinsèquement un phénomène à une particule. En particulier le modèle d’Anderson ne prend pas en compte l’interaction coulombienne entre électrons, pourtant inhérente aux systèmes élec- troniques : la transition métal-isolant est induite par le désordre. Cette approche est ainsi complémentaire de l’approche proposée par Mott [139] qui considère un système sans désordre, la transition métal-isolant étant alors induite par les interactions. Naturellement, chacune de ces deux approches ne peut à elle seule décrire des systèmes électroniques réels, pour lequels il faut tenir compte de la présence d’impuretés et des interactions.

La prise en compte des interactions fait donc l’objet de nombreux travaux théoriques et en particulier dans le cadre des atomes froids [49,140], où les interac- tions inter-atomiques sont aisément contrôlables via des résonances de Feshbach. L’effet des interactions sur la localisation d’Anderson n’est que partiellement connue aujourd’hui et fait l’objet de débats toujours ouverts : l’idée commu- nément admise est que de faibles interactions suffisent à détruire la localisation. Néanmoins des résultats obtenus récemment semblent contredire cette idée : dans le cas de condensats en expansion, des simulations numériques [141,142] indiquent que les interactions répulsives entre atomes ne détruisent la localisation d’An- derson que lorsqu’elles dépassent une valeur critique. D’autres résultats [143] prédisent que la localisation devrait persister même en présence d’interactions4. Il a aussi été suggéré récemment, en considérant la transmission d’une onde de matière quasi-monochromatique à travers un milieu désordonné, que les interac- tions répulsives induisaient une diminution des longueurs de localisation avant de détruire complètement la localisation [31, 33]. Enfin notons que très récemment, en 2009, cette question des interactions a commencé à être abordée expérimen- talement à Florence [147].

De manière plus générale, l’effet combiné du désordre et d’interactions sur des nuages d’atomes froids donne lieu à une physique très riche : en particulier en présence d’interactions fortes, il est prédit l’apparition de nouvelles phases quantiques, comme par exemple le verre de Bose [148, 149], donnant lieu à des diagrammes de phases complexes [3, 150–152]. Ceux-ci permettent de décrire la transition d’Anderson en l’absence d’interactions comme la transition de Mott en l’absence de désordre. Ce domaine de recherche est particulièrement actif actuellement, donnant lieu à de nombreuses propositions théoriques pour l’étude de ces phases, en particulier dans des réseaux optiques [3], de même il existe des propositions similaires pour étudier des gaz de fermions ou des mélanges boson- boson ou fermion-boson. Ces systèmes désordonnés en présence d’interactions font aussi l’objet d’études expérimentales, que ce soit par la mesure d’oscillations dipolaires [153] ou d’oscillations de Bloch [154], qu’elles concernent des bosons en interaction dans un réseau optique [135, 155] ou des mélanges d’espèces [15– 18]... En conclusion, les travaux qui seront présentés dans la suite s’inscrivent dans un contexte scientifique en pleine émulation et extrêmement compétitif, la démonstration de la localisation d’Anderson 1D étant considérée comme un "milestone" du domaine.

4Notons aussi les travaux réalisés sur la localisation des excitations de Bogolyubov [144–