• Aucun résultat trouvé

2-a- Livres, chapitres, tables alphabétiques : des ouvrages plus pratiques

Les emprunts faits à différents types d’ouvrages posent le défi de leur intégration, les informations compilées n’étant pas forcément de même nature. Les herbiers adoptent généralement l’ordre alphabétique pour étudier les plantes particulières. Dans les traités plus généraux consacrés aux plantes, la difficulté de l’organisation du savoir se pose davantage. Les auteurs de traités botaniques peuvent choisir de les juxtaposer en les distinguant par livres, rubriques ou chapitres. C’est le cas d’Albert le Grand. Dans les cinq premiers livres, il tâche d’organiser les propos de sa source pour donner la cohérence qui manque au De Plantis. Cela s’observe tout d’abord à travers l’organisation en chapitres, les titres indiquant le thème traité :

- chapitre I : « la diversité des parties des arbres qui sont les plantes les plus

achevées »,

- chapitre II : « les qualités des parties des grandes plantes comparables à celles des

animaux et celles qui ne le sont pas »,

148

- chapitre III : « la diversité des parties des plantes en général qui conviennent à toutes

les plantes ou à plusieurs d’entre elles »,

- chapitre IV : « la variété des parties essentielles des plantes », - chapitre V : « les différentes espèces de plantes »,

- chapitre VI : « la diversité provenant de la culture »,

- chapitre VII : « la diversité des fruits venant de leurs sucs, de leurs compositions et

de leurs apparences »,

- chapitre VIII : « la diversité des plantes aromatiques »,

- chapitre IX : « la diversité des modes de production des plantes », - chapitre X : « les différentes altérations que peuvent subir les plantes », - chapitre XI : « les différents lieux où poussent les feuilles et les fruits », - chapitre XII : « bilan ».

Roger Bacon donne également la structure manquante au texte du pseudo-Aristote et les choix de ses titres révèlent son approche de l’étude des plantes. En effet, il dresse la liste de toutes les questions posées, celles-ci relevant de considérations philosophiques. Toutes les thématiques abordées par le texte pseudo-aristotélicien, que ce soit à propos de l’âme des plantes, de la comparaison avec l’animal, de leur sommeil, des nutriments, de leur sexe, de leurs parties… sont détaillées sous formes de questions concernant des points précis. Albert le Grand, lui, a préféré regrouper les informations par thèmes, ceux-ci étant résumés dans les titres de chapitres. Les deux suivent plus ou moins l’ordre des questions abordées par Nicolas de Damas. Si on prend l’exemple des données relatives à la racine, Roger Bacon en fait plusieurs questions : « est-ce que la racine est une partie de la plante, est-elle une partie nécessaire, est-elle composée de parties semblables ». Albert le Grand l’intègre dans un chapitre plus général consacré aux parties essentielles de la plante. Autre exemple, alors que ce dernier consacre un chapitre général aux plantes aromatiques, intitulé « la diversité des plantes aromatiques », Roger Bacon détaille toutes les questions pouvant en découler : « qu’est-ce qui explique que des plantes soient aromatiques, la cause matérielle, la sécheresse, la cause efficiente, quelle plante peut-être aromatique, toutes les plantes sont-elles aromatiques… ». Le commentaire de Roger Bacon se veut une collection de questions de physique pour des débats universitaires alors qu’Albert le Grand veut clarifier les propos du pseudo-Aristote en donnant notamment la structure manquante au texte d’origine.

Vincent de Beauvais ne divise pas considérations générales sur les plantes et herbier en livres distincts, mais il essaie de donner une certaine cohérence à ses livres neuf à douze en

les organisant en chapitres149. Il souhaite d’abord traiter des plantes en général et de ce qui est commun aux herbes. Il veut ensuite étudier les herbes qui poussent dans les lieux cultivés, puis les graines et les sucs. Enfin, il veut en venir aux arbres en général et aux arbres cultivés150. Pour chacun de ces thèmes, il compile différentes sources. Selon Serge Lusignan, dans sa préface au Speculum maius151: « Le Speculum maius constitue le résultat de l’effort d’une intégration ordonnée en un seul ouvrage du contenu d’une multitude de livres, pour répondre aux besoins de ceux qui n’ont pas le temps de tout lire, en même temps que pour fournir un outil de repérage de l’information que la mémoire humaine est incapable de retenir adéquatement. Sa réalisation exige de développer des techniques de synthèse des textes pour pouvoir fondre en un seul livre le contenu de plusieurs. Par ailleurs, la nécessité de présenter d’une manière ordonnée toutes les connaissances et d’assurer leur repérage subséquent exige l’élaboration d’un plan d’organisation de l’oeuvre et de moyens techniques pour s’y retrouver ». Ses propos sont organisés selon ses choix. C’est visible par exemple dès le livre neuf. Après avoir traité dans le premier chapitre de la première germination de la terre, il aborde la question de la variété des plantes dans le chapitre deux. Il expose les différents types de plantes, arbres, herbes, arbrisseaux… avant d’évoquer dans le chapitre trois d’autres éléments de diversité, tels que les différentes parties qui composent les plantes : écorce, racine, nœuds... Nicolas de Damas fait le contraire. Il énumère les parties de la plante avant de présenter les différents types de plantes. Vincent de Beauvais revoit donc l’ordonnancement des idées, peut être pour répondre à une logique qu’il trouve plus cohérente. L’exposé de la variété des plantes est suivi de celui de leur composition et de leur complexion, ce qui permet ensuite d’aborder la question des quatres éléments et de leurs qualités. Puis il s’intéresse au sexe des plantes et à leur mode de reproduction. Il enchaîne sur leur alimentation, leur croissance, leur digestion, la production des feuilles, les fleurs, les fruits, la graine, la

149

On pourra consulter M. Paulmier-Foucart, « Une des tâches de l’encyclopédiste : intituler. Les titres des chapitres du Speculum naturale de Vincent de Beauvais », dans L’enciclopedismo medievale, a cura di M. Picone, Ravenna, 1994, p. 147-62.

150

Plan du livre IX du Speculum naturale, éd. de Douai : « Nonus liber incipit agere de secundo opere diei

tertii. Hoc est de terrae germinatione, et agit de plantis in generali, postea de herbis communibus. Habens CLVI capitula. Decimus liber agit de caeteris herbis, videlicet quae nascuntur in locis cultis, et in hortis, et agris. Et habet iste CLXXI capitula. Undecimus liber agit, de his quae procedunt de herbis, scilicet seminibus, et granis, ac succis. Et habet liber iste CXXXIV capitula. Duodecimus liber agit primo in communi de arboribus, et postmodum specialiter de arboribus communibus, videlicet sylvaticis, et agrestibus. Habet quoque CXII capitula. Tertiusdecimus liber agit de arboribus cultis et frugiferis, et praecipue de illis quarum fructus in humanos sumuntur cibos, ut sunt amigdalus, malus, pirus, cerasus, et huiusmodi. Et habet CXV capitula. Quartusdecimus liber agit de arborum fructibus, et succis a quibusdam earum profluentibus. Et habet liber iste CXL capitula ».

151 Dans Préface au Speculum Maius de Vincent de Beauvais : réfraction et difraction, Montréal et Paris, 1979, p. 94.

plantation, la transplantation… Après avoir abordé ces données concrètes, Vincent de Beauvais revient sur la Création dans les chapitres quinze et seize, évoquant également la composition de la plante. Il aborde à nouveau la question des nutriments, puis enchaîne sur les herbes aromatiques et termine les considérations générales sur les plantes dans un vingtième chapitre consacré à leur dénomination. Ensuite, il consacre de nombreuses monographies à des espèces particulières d’herbes, commençant par l’absinthe. Sa volonté d’organiser les chapitres pour donner une certaine cohérence à l’étude des plantes se voit également dans le livre onze qui traite des herbes produisant des graines et de la sève. Il s’intéresse d’abord aux herbes à graines, telles que l’aneth, l’anis, le carvi, le melon, la nigelle, puis à la culture des céréales et des legumineuses. Il évoque à leur propos les travaux des champs, les modes de préparation des pains, les différentes sortes de céréales et les plantes à sucs… Toujours dans le livre onze, à propos des arbres, il donne d’abord une vision globale des connaissances sur l’arbre, y consacrant plusieurs chapitres généraux, avant de traiter d’espèces particulières. Le premier chapitre a pour titre : « les arbres en général ». Dans celui-ci, il commence par reprendre les propos d’Isidore de Séville pour définir l’arbre, l’arbuste, le buisson… Cette introduction permet au lecteur de se familiariser avec le vocabulaire spécifique aux arbres. Il cite ensuite Pline pour souligner notamment l’intérêt qu’ils peuvent avoir pour l’homme, donnant des exemples d’essences associées à des divinités du panthéon grec : par exemple, le laurier pour Appolon ou l’olivier pour Minerve. Dans un seul chapitre, le lecteur voit donc la juxtaposition de deux approches différentes, l’une liée à l’analyse étmologique et l’autre à la mythologie. Dans le chapitre deux, il s’intéresse à la création des arbres. Il a tendance à répéter le même type d’information au fur et à mesure qu’il cite ses sources. Par exemple, que ce soit pour Isidore de Séville, le pseudo-Aristote, Pline ou Saint-Augustin, il reprend l’information comme quoi un arbre peut-être issu d’une graine. Sa volonté est bien de faire la synthèse du savoir disponible. Dans le chapitre trois, il étudie les parties de l’arbre, puis donne des détails sur chacune d’elles dans les chapitres suivants, traitant de la racine, de l’écorce, des branches, des feuilles et y consacrant plusieurs chapitres sur des thématiques différentes telles que leurs couleurs ou le fait qu’elles soient persistantes ou annuelles. Il s’intéresse ensuite aux questions relatives à la culture des arbres, que ce soit à partir d’une graine ou d’une transplantation, ainsi qu’à la question des greffes, des modes de croissance, de la floraison, de la fructification, de ce qui fait mourir un arbre, des maladies qui peuvent l’affecter, des lieux où ils poussent, des usages que l’on peut en faire… Les thèmes abordés sont riches et permettent d’avoir une vision d’ensemble, avec différents types d’approches.

On trouve ainsi des considérations qui relèvent de la physique ainsi que des chapitres plus pratiques. Vincent de Beauvais est parfois amené à traiter du même thème dans différents livres. On peut prendre l’exemple des fruits qui sont mentionnés à plusieurs reprises, dans un contexte différent. Par conséquent, il se répète parfois. Mais certaines remarques tendent à prouver qu’il est soucieux de ne pas le faire trop souvent. Il peut préciser par exemple : « comme cela a été vu précédemment ». D’ailleurs, les livres douze, treize et quatorze, qui traitent successivement des arbres communs sauvages et cultivés, des arbres cultivés et des arbres fruitiers, ne se répètent pas. Pour éviter les redites, il fait parfois des renvois, comme par exemple au sujet de l’aneth évoquée dans le livre XI. Reprenant les propos de Platearius comme quoi la plante a beaucoup d’utilité en médecine, il ajoute que cela a été vu dans un livre précédent : « de qua scilicet dictum est in praecedenti libro ». Vincent de Beauvais a donc donné la priorité à l’organisation du savoir, veillant à rassembler les très nombreuses connaissances issues de sources diverses dans une somme qui soit la plus facile à consulter.

De son côté, Barthélémi l’Anglais adopte l’ordre alphabétique, plus pratique. C’est un moyen pour le lecteur de disposer d’un outil lui permettant de mieux comprendre les Écritures. En effet, au XIIIᵉ siècle, les encyclopédies ne sont plus seulement considérées comme un exposé des choses de la nature. Elles deviennent progressivement plus pratiques, consultables par catégories. C’est dans ce contexte que les tables alphabétiques sont inventées. Avec les rubriques, elles rendent les sources plus accessibles, que ce soit dans leur consultation ou dans leur compréhension. Cependant, ce mode de présentation ne permet pas toujours de conserver la cohérence de l’ensemble. Gossuin de Metz152 préconise au contraire une lecture complète et ordonnée de l’ouvrage de manière à être en accord avec la démarche encyclopédique qui doit permettre au lecteur d’avoir une vision d’ensemble des choses de la nature. Le dilemme entre la volonté de se conformer à l’esprit encyclopédique et la tentation d’offrir un ouvrage pratique se perçoit dans le livre XVII du De Proprietatibus rerum. Barthélémi l’Anglais traite en effet de l’arbre en général avant d’aborder l’amandier, « amigdalo », ne respectant pas de manière scrupuleuse l’ordre alphabétique. Ce premier chapitre consacré à l’arbre est également représentatif de l’organisation des traités consacrés aux plantes, les auteurs commençant par exposer des considérations générales avant d’évoquer des espèces particulières dans leurs herbiers. Barthélémi l’Anglais débute le livre XVII du De Proprietatibus rerum par deux chapitres de généralités, sur la classification, la

152 On pourra consulter en ligne sur le site Gallica de la BNF : Gossuin de Metz, Le mirouer du monde, impr. par J. Vivian (Genève), 1517.

description des parties de l’arbre et les procédés généraux de culture. Les chapitres suivants sont des monographies sur les plantes ou sur les parties des plantes classées par ordre alphabétique. Les deux premiers chapitres s’inspirent très largement du pseudo-Aristote car les autres sources fréquemment citées, notamment Pline et Isidore de Séville, ne consacrent pas vraiment de partie spécifique aux plantes en général. Pline en vient rapidement à énoncer des cas particuliers. Le livre XII de son Histoire Naturelle s’intéresse aux arbres. Il ne consacre que les deux premiers chapitres à des considérations générales, à savoir le « rang honorable des arbres dans la nature », en venant rapidement à évoquer des espèces particulières d’arbres exotiques : platane, arbres de l’Inde, ébène… Il ne donne des indications générales sur les arbres qu’au milieu d’autres chapitres consacrés à des espèces particulières. L’organisation de son analyse correspond à des catégories d’arbres : arbres exotiques (livre XII), histoire des arbres exotiques et des parfums (livre XIII), arbres fruitiers (livre XIV), arbres sauvages (livre XVI), arbres cultivés (livre XVII), céréales (livre XVIII), nature du lin et horticulture (livre XIX). Il traite des remèdes dans le livre XX… Le livre XVII des

Etymologies, autre modèle d’encyclopédie, n’aborde pas non plus les plantes selon les mêmes

modalités que le De Vegetabilibus ou les encyclopédies du XIIIᵉ siècle. En effet, Isidore de Séville commence par traiter de l’agriculture (chapitres 1 à 5) avant de s’intéresser à la botanique (chapitres 6 à 11). Dans l’organisation des connaissances relatives aux plantes, chaque auteur fait donc des choix qui ne sont pas seulement tributaires des sources qu’il compile.

La façon d’organiser le savoir compilé de sources variées permet aux auteurs d’ouvrages de type encyclopédique d’apporter leur contribution. Ils sont souvent motivés par leur volonté d’offrir des ouvrages pratiques et pédagogiques. Mais si des auteurs comme Albert le Grand, Barthélémi l’Anglais ou Vincent de Beauvais sont amenés à aborder différents aspects de la botanique, ils n’établissent pas de liens entre eux. Les descriptions trouvées dans les herbiers ne servent pas aux réflexions générales sur les plantes. De la même façon, les considérations générales ne figurent que très rarement dans les parties consacrées aux espèces particulières. Ainsi, les progrès éventuels dans l’identification des plantes, ainsi que dans leur description, ne semblent-ils pas pouvoir avoir d’effets sur la connaissance de la biologie végétale, fortement dépendante de l’héritage d’Aristote. En effet, Barthélémi l’Anglais, Albert le Grand, Vincent de Beauvais et Thomas de Cantimpré se réfèrent surtout à Nicolas de Damas dans les parties générales de leurs ouvrages consacrées aux plantes.